Espace : "Il faut que l'Europe s'organise" face à SpaceX qui "a acquis un poids géopolitique considérable", estime le patron d'Arianespace
"L'Europe est une grande puissance spatiale", assure samedi 11 novembre sur franceinfo Stéphane Israël, le président exécutif d'Arianespace, l'entreprise qui commercialise les lanceurs spatiaux, alors qu'Ariane 6 effectuera son vol inaugural en 2024. Stéphane Israël a toutefois mis en garde face à la concurrence d'Elon Musk et sa société SpaceX. "Cet acteur a acquis un poids géopolitique qui est considérable", a-t-il indiqué. "Il faut que l'Europe s'organise, qu'elle soit toujours plus agile et toujours plus innovante".
franceinfo : Un sommet européen sur le spatial s'est tenu cette semaine à Séville, on y a parlé d'un "changement d'air", pour le spatial européen, est-ce-que c'est une manière polie de dire qu'on n'est pas passé loin d'un crash industriel pour le spatial en Europe ?
Stéphane Israël : C'est surtout une manière de dire que ça a été un grand sommet pour l'Europe spatiale. C'est d'abord une très bonne nouvelle pour Ariane 6, pour les milliers d'ingénieurs, d'opérateurs, qui travaillent sur cette fusée dans toute l'Europe, et en France particulièrement, et qui ont désormais une perspective. C'est une très bonne nouvelle pour nos clients, puisque cette fusée a une perspective pour les dix prochaines années, et une très bonne nouvelle pour l'économie stratégique spatiale.
Il y a une sécurisation du financement d'Ariane 6, mais cela ne se fait pas sans contrepartie, il y a aussi l'ouverture à la compétition du marché des lancements. Cela va changer quelque chose sur le spatial européen ?
Oui, et c'est d'ailleurs la deuxième nouvelle très importante. D'abord, les industriels prennent des engagements de réduction de coûts. L'ensemble de la chaîne industrielle, et Arianespace en fait partie, s'engage à réduire les coûts de 10 %. Et il y a l'ouverture d'un modèle plus compétitif, avec davantage de compétition en Europe. On était jusqu'à présent, et Arianespace en a été l'expression, dans un modèle 100 % coopératif. On va désormais se projeter dans un modèle où il y aura de la coopération, mais aussi de la compétition, pour préparer la suite. Ça s'appelle marcher sur ses deux jambes.
L'idée de réduire les coûts pour rester compétitifs, dans un contexte qui est quand même ultra délicat : les retards d'Ariane 6. D'ailleurs, quand est-ce que la première fusée va décoller ?
La prochaine étape importante pour Ariane 6, c'est un essai qui va se passer à Kourou. Le 23 novembre, on va allumer le premier étage de la fusée, ce qu'on appelle le corps central, pendant huit minutes, ce qui est une façon de faire une simulation d'un premier vol. La date, en 2024, sera annoncée par l'Agence spatiale européenne quelques jours après cet essai.
En face, il y a la concurrence d'acteurs comme SpaceX, les Indiens. Tout cela met à mal aussi le modèle historique du spatial européen ?
Vous citez les Indiens, ce sont un partenaire exceptionnel pour Arianespace. On a lancé 25 satellites pour l'Inde. On travaille beaucoup avec eux, je les vois plutôt comme un partenaire. Ensuite, évidemment, l'éléphant dans la pièce, c'est Space X [d'Elon Musk]. Ce n'est pas simplement le concurrent d'Ariane. SpaceX, aujourd'hui, c'est 5 200 satellites en orbite, sur à peu près 8 000 opérationnels.
"Deux satellites sur trois au-dessus de vos têtes appartiennent à un homme qui s'appelle Elon Musk"
Stéphane Israël, président exécutif d'Arianespaceà franceinfo
SpaceX est devenu le premier constructeur de satellites au monde et ce sera bientôt le premier opérateur de satellites, à travers sa filiale Starlink. Cela veut dire que c'est l'ensemble de la chaîne : les fusées évidemment, les constructeurs de satellites, les opérateurs. D'où l'importance d'une mobilisation européenne.
Mais est-ce qu'on fait le poids, quand on voit qu'aux Etats-Unis il y a beaucoup plus d'argent public, beaucoup plus d'argent privé ? On peut concurrencer Elon Musk, SpaceX ?
Il y a à peu près cinq fois moins d'argent public que chez les Américains. Il y a beaucoup moins de lancements à opérer, c'est un fait. Maintenant, l'Europe est une grande puissance spatiale. Elle est en train de s'organiser. Le commissaire Thierry Breton était à Séville, aux côtés du patron de l'Agence spatiale, et il a redit sa volonté de faire, par exemple, une grande constellation européenne. Voilà un projet qui a du souffle, de l'ambition, une vision et qui va nous permettre d'être dans la course.
Alors, expliquez-nous très concrètement, c'est quoi le risque ? D'un point de vue opérationnel, commercial et en termes de souveraineté, que tous les satellites ou presque, appartiennent à Elon Musk ?
On l'a vu avec la capacité de M. Musk à couper le signal en Ukraine. C'est une situation qui fait qu'aujourd'hui cet acteur a acquis un poids géopolitique qui est considérable. Il faut que l'Europe s'organise, qu'elle soit toujours plus agile et toujours plus innovante. Il faut qu'elle ait des grands projets. J'ai évoqué le projet de Constellation européenne qui est un très grand projet qui permettra à l'Europe d'avoir une souveraineté en orbite basse. Il faut qu'on soit tous unis derrière ce projet.
Mais on voit néanmoins que l'Europe a confié à SpaceX le lancement de ses satellites Galileo, le GPS européen. Ça veut dire que ces dernières années, on a raté quelque chose ?
On est dans un moment difficile, on ne va pas le cacher. Il y a des lanceurs qui sont en fin de vie, comme Ariane 5. Un lanceur qui arrive avec du retard, il ne faut pas le cacher. Il y avait aussi un lanceur qui aurait pu et qui aurait dû faire l'affaire, c'était d'avoir le projet Soyouz en Guyane. Ce projet s'est arrêté brutalement avec l'invasion de l'Ukraine, car c'est Soyouz qui aurait dû le lancer. Comme il y a des retards, la Commission européenne doit utiliser Space X, mais elle a bien dit que c'était à titre provisoire.
Néanmoins, on a l'impression que l'Europe est un peu sur la défensive. Sur le spatial, on n'est pas à rêver, à parler de la Lune, de très grands projets. On est un peu en train de consolider ce qui reste du spatial européen ?
On a participé au projet le plus important : Ariane 5 qui a lancé le télescope James Webb, le projet le plus important de la Nasa. Donc ça veut dire qu'on sait aussi faire rêver. Il y a un très beau projet Euclid, qui donne des images en ce moment. La Lune, on ira un jour avec des astronautes européens. Mais c'est vrai qu'en matière d'exploration, il va falloir que l'Europe continue d'accélérer. Il y a encore un peu de travail à faire, mais là aussi à Séville, il y a eu des premières décisions.
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