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Vaccins contre le Covid-19 : on vous explique ce qu'est la "balance bénéfices-risques" évaluée par les autorités de santé

L'Agence européenne des médicaments a reconnu pour la première fois que le vaccin d'AstraZeneca pouvait provoquer, dans de très rares cas, des thromboses. Elle estime que la "balance bénéfices-risques" reste favorable au vaccin.

Article rédigé par franceinfo
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Dans un centre de vaccination contre le Covid-19, le 7 mars 2021 à Toulouse (Haute-Garonne). (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

Les cas de thromboses atypiques signalés après une injection du vaccin d'AstraZeneca sont suffisamment rares pour ne pas remettre en cause la poursuite de la campagne de vaccination contre le Covid-19, a estimé l'Agence européenne des médicaments (EMA), mercredi 7 avril. Quelque 222 cas de caillots sanguins combinés à des niveaux bas de plaquettes sanguines, avec au total 18 décès, sur 34 millions d'injections dans l'espace économique européen. Pour l'EMA, la balance la "balance bénéfices-risques" reste largement favorable au vaccin.

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A quoi sert cette balance ?

Tous les médicaments peuvent entraîner des effets indésirables, y compris les placebos (on parle alors d'effet nocebo). Le rôle des régulateurs comme l'EMA est donc d'identifier ces risques et de les mettre en relation avec les avantages attendus du médicament, avant d'autoriser ou non la mise sur le marché d'un produit de santé. Pour émettre ses avis, l'Agence européenne s'appuie sur les examens menés par le comité d'évaluation des risques de pharmacovigilance (Prac) et le comité des médicaments à usage humain (CHMP). Elle a également convoqué un comité ad hoc d'experts (hématologie, médecine cardiovasculaire, neurologie…), afin d'apporter une contribution externe à l'évaluation du vaccin d'AstraZeneca.

Les recommandations de l'EMA donnent une base aux Etats de l'UE pour mettre en œuvre leurs propres campagnes de vaccination, qui peuvent varier selon le taux d'infection, les publics prioritaires ou les taux d'hospitalisation. En France, la Haute Autorité de santé et l'ANSM réalisent également ces évaluations.

Comment est évaluée cette balance ?

Les autorités prennent en compte les données des essais cliniques et des études ultérieures, mais également les différents indicateurs épidémiques et hospitaliers, ainsi que les données de pharmacovigilance, centralisées sur la plateforme EudraVigilance. "On ne peut pas réellement parler de 'rapport' bénéfices-risques, car cela ne repose pas sur un chiffre ou un calcul", prévient Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie au CHU de Bordeaux (Gironde). Cette balance repose sur "une estimation, une mesure d'arbitrage" entre des bénéfices et des risques, dont les critères sont parfois difficiles à mettre en équation (indicateurs hospitaliers, contraintes sociales, mortalité, effets secondaires…). Il s'agit donc d'une "photographie à un moment donné, dans un contexte donné, avec une efficacité donnée et un bénéfice attendu".

Cette balance entre les risques et les bénéfices, en effet, fait l'objet d'une évaluation constante. "Cet arbitrage est évolutif", souligne Mathieu Molimard, c'est-à-dire qu'un risque jugé "acceptable" à un moment peut devenir "inacceptable", si le contexte épidémique ou les données cliniques évoluent. En cas d'alternative disponible, par exemple, la balance pourrait devenir défavorable. "Ce n'est pas le cas aujourd'hui", insiste le pneumologue, qui rappelle que des cas de thromboses ont également été signalés avec les autres vaccins disponibles sur le marché. L'EMA précise d'ailleurs qu'elle continuera de surveiller le vaccin d'AstraZeneca, afin de "fournir les dernières informations" permettant de réévaluer la balance.

A-t-on tout de même une idée chiffrée de cette balance pour le vaccin d'AstraZeneca ?

Le centre Winton de l'université de Cambridge (Royaume-Uni) a tout de même tenté d'évaluer cette balance (étude en anglais). Les auteurs y rappellent tout d'abord que les bénéfices escomptés peuvent varier en fonction de plusieurs critères, à savoir la probabilité d'être exposé au virus (taux d'incidence) et la probabilité de développer une forme grave du Covid-19 (facteurs de risque). Par ailleurs, le bénéfice de la vaccination se cumule jour après jour, car le vacciné est susceptible d'être exposé au virus dans la durée.

Les auteurs ont ensuite comparé "les admissions en soins intensifs pour cause de Covid-19 évitées sur 16 semaines" (bénéfice du vaccin) et la probabilité de développer une thrombose (risque lié au vaccin), pour cinq classes d'âge, de 20 à 69 ans. Trois scénarios ont été envisagés, à partir du taux d'incidence quotidien dans la population générale (2 cas, 6 cas et 20 cas pour 10 000 personnes). Pour rappel, début avril, le taux d'incidence en France s'élève à plus de 400 cas pour 100 000 habitants.


 (CENTRE WINTON)

Il est considéré que la vaccination réduit de 80% les admissions en soins intensifs. Ces données sont de plus en plus favorables au vaccin, à mesure que l'âge augmente et quand la circulation du virus est importante dans les populations.

Il n'y a, selon cette étude, qu'un seul cas de figure où le risque de développer une thrombose apparaît supérieur à celui d'un passage en soins intensifs : pour la catégorie des 20-29 ans avec une faible circulation du virus (2 cas quotidiens pour 10 000 personnes). Les 20-29 ans présentent trois ou quatre fois plus de risques d'être admis en soins intensifs que de développer une thrombose après vaccination.

La recommandation de la HAS, qui restreint l'usage du vaccin d'AstraZeneca aux plus de 55 ans, n'est pas synonyme de dangerosité pour les catégories d'âge inférieures, insiste Mathieu Molimard, qui évoque une "maximisation du bénéfice-risque, cohérent avec une situation d'attente".

Pourquoi cette notion est-elle si complexe ?

Ce travail du centre Winton présente une partie seulement des données nécessaires à l'arbitrage sur les bénéfices et les risques, car il ne prend pas en compte les formes longues de la maladie ou les "simples" hospitalisations. Ce bénéfice, par ailleurs, augmente durant toute la période de protection acquise après vaccination, tandis que le risque ne survient qu'après l'injection : "les avantages augmenteront, pas les risques", résument les auteurs. Enfin, d'autres éléments peuvent entrer en compte comme l'intérêt, pour les pouvoirs publics, d'obtenir une large couverture vaccinale en vue d'atteindre une immunité collective, encore hypothétique à ce jour, et de mettre fin à ces vagues épidémiques qui érodent la santé psychologique des populations.

Enfin, l'évaluation de la balance entre les risques et les bénéfices comporte également une dimension individuelle. "Si je suis seul sur une île déserte, par exemple, le bénéfice de la vaccination deviendrait nul, résume Mathieu Molimard, mais en cas d'insuffisance respiratoire, au contraire, le bénéfice serait accru." Le rôle des médecins est donc important pour mener cette évaluation individuelle, d'où l'intérêt de disposer d'informations complètes sur les risques des vaccins.

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