: Témoignages Vaccin contre le Covid-19 : "On n'a pas un très bon taux de conviction chez les soignants"
Ils sont en première ligne pour répondre aux doutes du public. Pourtant, certains professionnels de santé ne cachent pas leur réticence face à l'arrivée rapide du vaccin de Pfizer-BioNTech.
"J'avoue que j'ai été assez ahurie de voir des réactions aussi virulentes." Quand le sujet du vaccin contre le Covid-19 arrive sur la table de son service hospitalier le soir de Noël, Marie* ne s'attend pas à une telle hostilité de la part de ses collègues. "La majorité ne voulait pas en entendre parler, témoigne cette infirmière de nuit, qui a raconté la scène sur les réseaux sociaux. Sur les huit autour de la table, cinq étaient totalement opposés, deux étaient indécis et j'étais la seule convaincue."
"Tout ce que j'avais lu sur les réseaux sociaux en mode complotiste ressortait dans la discussion."
Marieà franceinfo
L'ambiance de cette soirée de Noël est plutôt bonne entre soignants, mais Marie constate vite que ses collègues, pour la majorité des infirmiers et des aide-soignants, expriment une inquiétude par manque de connaissance sur le sujet. "J'aurais voulu des retours argumentés, mais je n'avais rien. Quand j'ai parlé de l'étude menée par les laboratoires sur les différentes phases, personne ne l'avait lue, poursuit l'infirmière. Je peux comprendre, ce n'est pas facile de se plonger dans une étude scientifique. Mais je trouve dommage pour un soignant de se dire contre le vaccin sans chercher des infos, de prendre une décision basée sur des rumeurs, et non sur des faits."
"Trop rapide", "manque de recul", "ça cache quelque chose", "et pourquoi ils n'ont toujours pas trouvé de vaccin contre le sida ?"... Marie retrouve dans la bouche de ses collègues les arguments habituels des antivaccins. "Il y avait un manque de littérature scientifique, parce qu'il existe des réponses, notamment sur le sida." Marie est depuis ce soir-là surnommée par taquinerie "la pro-vaccin" dans son unité de soins. "D'autres soignants m'ont répondu sur Twitter en disant qu'ils se sentaient également un peu seuls dans leur service. Tout cela montre qu'on n'a pas un très bon taux de conviction chez les soignants."
"Je trouve qu'on manque de recul"
"En tant que soignante, je n'ai pas envie de faire le cobaye pour le compte de certains laboratoires", témoigne ainsi Cédrine*. Infirmière dans un groupement hospitalier de l'Isère, elle sera concernée seulement par la troisième phase de la campagne de vaccination, qui doit débuter au printemps, mais a commencé à en parler avec ses patients. Si elle salue les avancées rapides de la recherche scientifique, elle fait part aussi de ses doutes : "Je trouve qu'on manque de recul, d'autant qu'il y a déjà une nouvelle souche... donc pas mal de questions se posent. Moi, j'envisagerai de faire le vaccin si je vois que ça se passe bien."
"Il y a une frousse face au virus, mais aussi une frousse face au vaccin et ses possibles effets secondaires."
Cédrineà franceinfo
"Hors de question que je me fasse vacciner, c'est trop tôt, confirme Dominique*, une aide-soignante de 59 ans qui exerce à Melun. Ces vaccins ont été conçus dans la précipitation, j'ai l'impression que c'est une course à l'argent des laboratoires... Dans mon service, c'est un avis largement partagé." Dominique n'est pas antivaccin. Ses enfants sont à jour sur leur carnet de vaccination et elle s'est fait vacciner contre la grippe, mais ce nouveau vaccin ne parvient pas à la convaincre.
"Je suis jeune et sans souci de santé, donc je ne me précipiterai pas, je préfère faire preuve de prudence", ajoute Sabine*, infirmière libérale dans les Bouches-du-Rhône. Vincent, infirmier libéral à Nantes qui est parfois appelé en renfort en Ehpad, n'a pas non plus prévu de recevoir une dose. "Il faudrait que je lise les 1 200 pages pour avoir un avis libre et éclairé, mais je n'ai pas trop le temps. En attendant, je fais ce qu'il faut, je respecte les gestes barrières avec les résidents."
Francis*, aide-soignant en Ehpad dans le Rhône, est du même avis. "Je n'ai pas confiance dans ce vaccin à base d'ARN messager, car on ne connaît pas vraiment les effets secondaires sur le long terme, sur 5 ou 6 ans. Quand il y aura l'autre vaccin, avec un virus désactivé, je pense qu'il y aura plus d'adhésion des soignants", explique l'aide-soignant de 59 ans, qui a répondu à un appel à témoignages lancé par franceinfo. Il évoque aussi les "scandales sanitaires" des dernières années, du Mediator à la Dépakine, qui ont érodé la confiance dans les laboratoires pharmaceutiques. Comme d'autres soignants, il évoque enfin l'affaire du vaccin de l'hépatite B accusé dans les années 1990 d'avoir causé des scléroses en plaques, même si plusieurs études scientifiques ont conclu à une absence de lien de causalité.
"Je rencontre de plus en plus d'antivaccins"
"Les soignants en France sont parmi ceux qui présentent le moins d'adhésion au vaccin", souffle Bénédicte Simovic, du pôle de gérontologie du CHU de Lille. David Colmont, directeur des soins à l'Institut mutualiste Montsouris, à Paris, confirme cette tendance. "On rencontre déjà chaque année une méfiance avec le vaccin contre la grippe, et les premiers retours sur le vaccin contre le Covid-19 révèlent pas mal de réticences."
"Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés."
David Colmontà franceinfo
"La mouvance antivaccin augmente chez les soignants, s'inquiète aussi Laurent, aide-soignant dans une unité de soins intensifs, à Gap (Hautes-Alpes). J'en rencontre de plus en plus, au point qu'il faille se justifier de promouvoir le vaccin, y compris auprès de certains médecins." Jocelyn Raude, enseignant-chercheur à l'Ecole des hautes études en santé publique, rappelle tout de même que "la grande majorité des généralistes soutiennent la vaccination". Selon lui, l'inquiétude gagne plutôt les professions paramédicales (infirmières, kinés, ostéopathes…), plus sensibles aux théories concurrentes de la médecine conventionnelle. "Les aides-soignants, les infirmiers sont beaucoup plus récalcitrants que les médecins, c'est aussi en fonction du niveau d'étude", estime ainsi Cédric, médecin spécialisé en ophtalmologie dans une clinique privée, qui a répondu à notre appel à témoignages.
"L'adhésion des soignants est un des premiers éléments de réussite de la stratégie vaccinale", prévient David Colmont. Pour lui, la méfiance des blouses blanches pourrait compromettre l'efficacité de la campagne de vaccination. La défiance des soignants peut entraîner l'hésitation du public. Seulement 54% des Français interrogés disent avoir l'intention de se faire vacciner, selon un sondage Ipsos (en anglais) réalisé en octobre. La France figure en dernière position des 15 pays étudiés par cette enquête d'opinion, loin derrière l'Inde, la Chine, la Corée du Sud et le Brésil, qui dépassent les 80%. Cette faible adhésion explique aussi en partie pourquoi la France prend son temps pour vacciner.
"La mobilisation du personnel, c'est vraiment un enjeu, admet Bénédicte Simovic. A Lille, on est en train de réfléchir là-dessus, car à partir du personnel du CHU, on peut faire tache d'huile sur l'ensemble de la population." Pour David Colmont, chaque établissement doit mettre en place une communication auprès de ses soignants, mais il faut également que l'Etat s'engage un peu plus. "Il faut un discours ciblé sur les soignants qui vont vacciner, et qui vont ensuite transmettre le discours à la population, estime-t-il. Faire peur aux gens, ça ne suffit pas, il faut aussi s'appuyer sur le sentiment d'appartenance à une société, à une communauté." Et si ces efforts ne suffisent pas, David Colmont s'interroge sur la possibilité d'une obligation vaccinale pour les soignants.
"Je fais de la vulgarisation médicale"
Le dialogue entre soignants et patients au sujet du vaccin a en tout cas commencé depuis plusieurs semaines. Pour les professionnels dubitatifs, difficile d'encourager les patients à se faire vacciner. "C'est difficile de motiver les résidents quand on n'y croit pas soi-même, mais vu leur âge et la menace représentée par le Covid-19, on leur dit de regarder la balance bénéfice-risque", confie Francis, aide-soignant en Ehpad. "Je ne me permets pas de donner un conseil ou un avis, je préfère rester neutre", explique Sabine. "Je ne compte pas mentir aux résidents de mon Ehpad, ajoute Vincent. S'ils me demandent les effets indésirables, je vais leur lire ce qu'il y a sur leur étiquette, et s'ils me demandent si ça va marcher, je vais leur dire qu'on manque de recul."
Pour les autres soignants convaincus par l'efficacité du vaccin, il s'agit de rassurer et d'informer. "Je fais de la vulgarisation médicale. Je leur fais même parfois un dessin. J’insiste cependant sur le fait qu’ils sont libres de choisir de se faire vacciner ou non", explique Sophie. "C'est important de délivrer un message clair", explique la docteure Bénédicte Simovic, qui a organisé, dimanche 27 décembre, la vaccination des premiers résidents de l'Ehpad Les Bâteliers, situé à Lille. Elle a à ce titre mené des entretiens préalables de "plus d'une demi-heure" avec les personnes à vacciner et leurs proches ou tuteurs. "Il faut expliquer par exemple qu'on ne peut pas mélanger de l'ADN et l'ARN, mais aussi pourquoi on a pu mettre au point ce vaccin si rapidement. Je fais parfois un dessin, avec des wagons représentant chaque phase pour l'évaluation du vaccin afin de montrer que cette fois les phases se sont chevauchées, mais qu'aucune des phases n'a été raccourcie."
"Je m'adapte en fonction de la personne que j'ai en face de moi, de son niveau de compréhension."
Bénédicte Simovicà franceinfo
"Je leur explique que c'est le seul moyen de retrouver une vie normale", estime Frédéric, préparateur en pharmacie à Fréjus (Var). "Il faut faire beaucoup de pédagogie et que tout le monde apporte sa petite pierre à l'édifice : les pharmaciens, les infirmières, les médecins..." Au-delà de la protection individuelle apportée par le vaccin, beaucoup insistent sur la démarche altruiste que représente le fait de se faire vacciner afin d'obtenir au plus vite une immunité collective. "Certaines personnes âgées me disent : 'Ça me sert à rien, car dans un an je serai mort'. Du coup, je leur réponds : 'Faites-le pour aider les autres'…" explique Gaëlle, infirmière libérale à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
"Je leur dis que moi personnellement j'irai dès que ce sera possible, c'est très important de donner l'exemple, comme pour les gestes barrières. Et je leur dis aussi que ce vaccin n'est pas un référendum pour ou contre le gouvernement", estime Christine, médecin spécialiste à Lyon. "J'utilise beaucoup l'humour pour faire passer le message, ajoute Gaëlle. Car dans cette crise, à part l'humour, il ne nous reste pas grand-chose."
* Les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés.
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