Une sortie du confinement dès le 11 mai : un compromis entre la situation sanitaire et économique
Le retour des élèves sur les bancs de l'école, programmé le 11 mai, va de pair avec la volonté affichée par Emmanuel Macron de relancer l'économie.
Le secret avait été bien gardé. En annonçant une reprise des cours "progressive" dans l'Education nationale le 11 mai, Emmanuel Macron a fait mentir les rumeurs qui prédisaient un retour sur les bancs de l'école repoussé à la rentrée de septembre. "A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées", a-t-il déclaré lors de son allocution, lundi 13 avril, ajoutant que cette date serait également synonyme de "redémarrage de notre industrie, de nos commerces et de nos services", et de retour au travail pour "le plus grand nombre".
Pourquoi avoir choisi la date du 11 mai pour mettre fin au déconfinement strict ? Critère sanitaire, économique ou sociétal… Emmanuel Macron n'a pas détaillé au cours de son allocution les raisons pour lesquelles il avait choisi telle échéance plutôt qu'une autre. Mi-mars, l'exécutif avait justifié l'annonce des premières mesures de restriction par "les données scientifiques" du conseil d'experts spécialement mis en place par le chef de l'Etat. Lundi soir, en 27 minutes d'intervention, Emmanuel Macron n'a fait aucune mention du Conseil scientifique censé éclairer ses décisions. Interrogé par franceinfo sur le fait de savoir s'il avait été consulté avant cette annonce, le président de ce Conseil, Jean-François Delfraissy, s'est refusé à tout commentaire, se bornant à indiquer que l'instance rendrait un nouvel avis d'ici la fin de la semaine.
Un cadeau au Medef ?
L'annonce d'un déconfinement dans un mois, alors que la bataille contre le coronavirus est encore loin d'être gagnée, a été diversement appréciée. Soulagement pour certains parents qui pourront remettre leurs enfants à l'école, inquiétudes d'ordre sanitaire pour les syndicats enseignants… et satisfaction du Medef. "Nous sommes satisfaits que le président ait fixé un cap pour remettre le pays en marche (...), cela permet aux entreprises de bien préparer la reprise, et aux enfants de retrouver le chemin de l'école" a ainsi déclaré un porte-parole de l'organisation patronale.
Reprise des cours et reprise de l'activité économique sont en effet intimement liées, nombre de parents étant dans l'impossibilité d'aller travailler s'ils doivent s'occuper de leurs enfants. Sur les réseaux sociaux, des militants politiques ou syndicaux n'hésitent d'ailleurs pas à s'offusquer de ce "cadeau" au Medef que représenterait la réouverture des écoles le 11 mai.
Ce soir, @EmmanuelMacron choisit de répondre favorablement au @medef : #allezbosser dès le 11 mai, voilà le message.
— Maxime Combes (@MaximCombes) April 13, 2020
Tout le reste en découle :
➡️réouverture des écoles le 11 mai pour "libérer" les parents
➡️promettre (sans garantie) que masques & tests seront au RDV
Ce soir #Macron20h02 a tenu le discours attendu par le #medef qui veut renvoyer les gens au travail
— SNES-FSU Limoges (@sneslimoges) April 13, 2020
Quant à savoir comment maintenir les gestes barrières dans les écoles le 11 mai ? Les masques pour les profs (il en faut 4 millions par semaine, des ffp2) ? Le gel ?
La réouverture des écoles à partir du 11 mai annoncée par @EmmanuelMacron n'est pas justifiée sauf à vouloir libérer les parents pour qu'ils travaillent plus comme le souhaite le Medef...une nouvelle preuve de la gestion incohérente de la crise sanitaire
— Jean-Marc Coppola (@JeanMarcCoppola) April 14, 2020
Dans son allocution, Emmanuel Macron a justifié la réouverture des écoles –"une priorité"– par "la situation actuelle [qui] creuse des inégalités". "Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées", a-t-il souligné.
Une date qui "force tout le monde à se préparer psychologiquement"
"Malheureusement, la date du 11 mai paraît moins dictée par des raisons rationnelles que par la volonté de renvoyer un maximum de Français au travail", déplore le député de La France insoumise Eric Coquerel, qui ne voit pas "comment on va rouvrir les écoles sans risquer que l'épidémie flambe à nouveau".
L'idée qui jusqu'à maintenant prévalait c'était qu'on allait attendre d'avoir suffisamment de masques et de tests avant de déconfiner. Là, on a plutôt l'impression d'un compromis peu rassurant qui vise à relancer la machine économique.
Eric Coquerel, député LFI
à franceinfo
Selon un proche du chef de l'Etat cité par Le Monde, Emmanuel Macron a nourri son intervention en consultant tous azimuts durant le week-end : des médecins et des scientifiques mais aussi des dirigeants comme Angela Merkel, ou encore l'ancien président Nicolas Sarkozy. "Le président a cherché un chemin de crête entre les injonctions des médecins, pour qui il faut renforcer le confinement, et celles des économistes, qui redoutent une récession massive si celui-ci dure trop longtemps", explique au quotidien l'un de ses soutiens.
En fixant une date de reprise relativement lointaine, l'exécutif semble avoir voulu donner un cap clair, tout en se donnant le temps d'y parvenir. "Les échéances et les dates butoirs sont importantes, car cela force tout le monde à se préparer psychologiquement", applaudit la députée LREM Marie Lebec.
On doit être en capacité d'être ingénieux et innovant, dans le but que les salariés puissent retourner au travail sans danger.
Marie Lebec, députée LREM
à franceinfo
"Et si le 11 mai certains secteurs ne sont pas encore prêts, on ne prendra pas le risque de déconfiner", veut croire la députée, rappelant que le chef de l'Etat avait évoqué une réouverture "progressive" des classes. "Peut-être faudra-t-il organiser la rentrée des classes en fonction des métiers des parents, ou alors selon le degré de fracture numérique ? Il faut que toutes les options soient sur la table", souligne Marie Lebec.
Interrogé mardi matin sur franceinfo, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a précisément tenu à rassurer sur les modalités de reprise des cours, qui sera "très personnalisée". "On ne peut imaginer que des petits groupes dans de telles circonstances, donc ce sera un aménagement du temps et des contenus très particuliers", a-t-il expliqué. "On va élaborer une méthodologie de retour progressif à la scolarisation qui passe par de très grands aménagements. Personne ne peut imaginer qu'en mai-juin ce sera comme avant. Ce sera autre chose."
Le gouvernement a désormais un mois pour faire la démonstration que la décision de sortir du confinement le 11 mai était justifiée. Et surtout faire en sorte que les conditions sanitaires de ce déconfinement, à l'école comme au travail, soient réunies. Le compte à rebours a commencé.
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