L'extension du pass sanitaire est-elle conforme au droit ?
La légalité de l'extension du pass sanitaire aux lieux de culture et de loisirs et la vaccination obligatoire pour certaines professions divise les spécialistes du droit constitutionnel.
Un document bientôt passe-partout. Afin d'inciter le maximum de Français à se faire vacciner, Emmanuel Macron a annoncé, lundi 12 juillet, une extension du pass sanitaire en deux étapes. A partir du 21 juillet, l'accès aux lieux de loisir et de culture et, début août, l'accès aux restaurants et aux trains, seront réservés aux personnes munies de ce document. La loi actuellement en vigueur, adoptée fin mai ne prévoit la présentation du pass sanitaire que pour des rassemblements de loisir de plus de 1 000 personnes, mais un nouveau texte est en préparation pour permettre son élargissement.
Ces annonces ont été mal reçues par les personnes réticentes à la vaccination, mais aussi par certains spécialistes du droit qui craignent des difficultés d'application et estiment qu'elles sont disproportionnées par rapport à la situation. Ces mesures sont-elles attentatoires à plusieurs libertés fondamentales ? Peuvent-elles poser un problème de constitutionnalité ? Franceinfo a interrogé les constitutionnalistes Annabelle Pena et Jean-Philippe Derosier.
Une entrave à "la liberté de mener notre vie comme on l'entend" ?
Dans un peu moins d'une semaine, il faudra présenter un test PCR négatif, un certificat d'immunité ou un schéma vaccinal complet pour pouvoir accéder aux lieux de loisirs et de culture de plus de 50 personnes. Début août, ce sera au tour des cafés, restaurants et des transports de longue durée d'être concernés. Pour la juriste Annabelle Pena, ces extensions touchent directement plusieurs libertés fondamentales garanties par la Constitution. "Il y a tout d'abord le droit au respect de la vie privée et la liberté de la définir. La nécessité d'avoir un pass sanitaire peut entraver la liberté de mener notre vie comme on l'entend", explique-t-elle.
Pour accéder à ces lieux, les personnes qui ne souhaitent pas être vaccinées peuvent toujours montrer un test PCR négatif. "Il n'y a pas d'obligation vaccinale, il y a une incitation vaccinale", a ainsi insisté le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, sur Europe 1. Pourtant, les annonces d'Emmanuel Macron peuvent être reçues par une partie de la population comme une obligation dissimulée. "Ce qui est difficile à percevoir dans le pass sanitaire, c'est ce qu'il concerne directement et ce qu'il provoque indirectement", nuance Annabelle Pena. Le record de créneaux de vaccination réservés sur Doctolib après les annonces d'Emmanuel Macron en est l'exemple, selon la juriste. "On ne sait pas si ces gens adhèrent à la vaccination ou s'ils veulent pouvoir partir en vacances. Pour moi, c'est un changement de paradigme."
L'objectif de "préservation de la santé publique"
Cette situation n'est pour autant pas contraire à la loi, juge Jean-Philippe Derosier. "Ces restrictions s'expliquent par un autre objectif constitutionnel : la préservation de la santé publique. C'est sur ce même objectif que le gouvernement a pu justifier le confinement, les couvre-feux, la fermeture des commerces…" explique-t-il. De plus, la situation sanitaire actuelle le permet. "Aujourd'hui, les doses de vaccin sont disponibles, les gens peuvent se faire vacciner. Si la décision avait été prise il y a trois mois, quand c'était impossible, cela aurait posé question." Autre argument : le contexte sanitaire exceptionnel.
"Depuis le début de la pandémie, le Conseil d'Etat a eu des jurisprudences souples et le Conseil constitutionnel n'a jamais censuré aucune mesure du gouvernement."
Jean-Philippe Derosier, constitutionnalisteà franceinfo
Mais plus d'un an après le premier confinement, l'exceptionnalité n'est plus valable, estime Annabelle Pena. "Montesquieu disait que dans les situations graves et exceptionnelles, on pouvait mettre à l'arrêt nos libertés pour l'intérêt général. Mais cela vaut lorsque ces circonstances ne sont pas amenées à durer", souligne-t-elle. "Ce qui caractérise nos démocraties modernes, c'est qu'il n'y a justement pas de hiérarchie entre intérêt général et libertés individuelles."
"L'objectif du juge n'est pas de trouver un équilibre parfait entre intérêt général et libertés individuelles, mais que le déséquilibre ne soit pas trop grand."
Annabelle Penaà franceinfo
Cette recherche d'équilibre devrait d'ailleurs être au cœur des débats parlementaires lors de l'examen du nouveau projet de loi de sortie de la crise sanitaire, que le gouvernement doit adopter en Conseil des ministres le 19 juillet.
"Tout repose sur l'interprétation"
D'ores et déjà, un avis du Conseil d'Etat pourrait être brandi pour orienter les débats. Le 6 juillet, l'institution avait fait savoir qu'elle ne s'opposait pas au pass sanitaire puisqu'il n'était, à l'époque, pas requis pour les activités quotidiennes. Or, l'extension concerne désormais ces activités. "Je ne pense pas que ça change les choses, en droit, 'activité du quotidien', ça ne veut rien dire. On n'est pas dans les activités impératives. Aller au restaurant, au cinéma ou prendre un train longue distance, rien ne vous impose de le faire", juge Jean-Philippe Derosier.
"Tout dépend de ce que l'on entend par 'activité quotidienne'. Pour moi, les nouveaux lieux concernés en font partie, comme les centres commerciaux où l'on fait ses courses", rétorque Annabelle Pena. "Là, on est dans la démesure. On ne recherche pas un équilibre ni une logique, quand on sait notamment qu'il va y avoir des contrôles en terrasse alors qu'on peut circuler sans masque dans la rue", estime-t-elle.
Des responsables de cafés et de restaurants ont déjà fait savoir qu'ils ne comptaient pas effectuer ces contrôles ou qu'ils n'en avaient pas les moyens, bien qu'ils s'exposent à une amende de 45 000 euros et d'un an d'emprisonnement. "Ils pourraient faire valoir la notion de 'rigueur excessive' en cas de recours devant un juge", ajoute-t-elle.
"Il y a les règles de droit et le fait. Et le fait, comme la possibilité ou non de contrôle du pass sanitaire par un restaurateur, est interprété par le juge."
Annabelle Penaà franceinfo
Par ailleurs, le gouvernement n'a pas donné de précisions pour les personnes ne pouvant pas se faire vacciner pour des raisons médicales, comme les personnes immunodéprimées ou les femmes enceintes de moins de trois mois. Certains pointent donc le risque de "rupture d'égalité" entre elles et ceux qui pourront être vaccinés. "Il faudra que la loi leur prévoie des dispositions spécifiques", commente Jean-Philippe Derosier.
Quand les tests PCR seront payants…
Elles peuvent toujours présenter un test PCR négatif en attendant, mais lorsque ces tests ne seront plus gratuits, "il y aura une obligation vaccinale de fait", tranche Annabelle Pena. "Quand on voit qu'un test PCR devrait coûter 50 euros et qu'il faudra en effectuer un toutes les 48 heures pour aller au restaurant ou au café... D'autres questions juridiques se poseront et le Conseil constitutionnel pourrait émettre des réserves."
Le gouvernement pourrait toutefois changer de position d'ici là. Selon l'avant-projet de loi sanitaire consulté par franceinfo, l'exécutif se donne une "possibilité de suspension de l'obligation vaccinale". Le document précise : "Un décret peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie de la population, les obligations prévues."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.