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"On est tout à fait dans l'inédit" : comment les préfectures gèrent l'organisation des municipales en pleine épidémie de coronavirus

A l'approche du premier tour, les équipes préfectorales de l'Oise, des Yvelines ou des Hautes-Pyrénées interrogées par franceinfo tentent de faire le tampon entre le ministère et les élus.

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Un électeur se désinfecte les mains, le 6 mars 2020, à Perpignan (Pyrénées-Orientales). (MAXPPP)

Ce jeudi matin, comme tous les jours, le préfet de l'Oise réunira ses proches collaborateurs aux alentours de 8h30 pour passer en revue les sujets du jour. Mais Louis Le Franc gardera ses distances : pas de serrage de main, aucun contact physique avec quiconque. La dernière fois qu'il a salué quelqu'un de trop près, ça lui a valu dix jours de confinement dans son appartement de fonction. Pas de chance : ce jour-là, son interlocuteur, un maire du département, était infecté par le coronavirus.

"Vous comprendrez que nous sommes très heureux de le voir de nouveau totalement libre de ses mouvements, se félicite Cyriaque Bayle, son directeur de cabinet. Même si le travail était réalisé normalement, c'est évident que ce n'était pas tout à fait idéal de ne se parler que par téléphone ou par visioconférence, notamment avec les dossiers que nous avons à gérer en ce moment." Avec dix décès recensés à ce jour, l'Oise fait en effet partie des départements de France les plus touchés par le virus. Un retour du préfet plus que bienvenu aussi... à trois jours du premier tour des municipales.

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Lui et son "dircab" ne se sont d'ailleurs jamais autant appelés. "Une vingtaine de fois en moyenne par jour", calcule de tête Cyriaque Bayle. Parmi les interlocuteurs privilégiés, il y a aussi le président des maires de l'Oise. "Je lui fais remonter ce que j'entends des élus qui me contactent, précise Alain Vasselle. Je lui ai redit pas plus tard qu'il y a une heure que certains étaient perdus dans l'organisation du scrutin, entre ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils peuvent faire, ce qu'ils ne peuvent pas faire... Bref, c'est encore un peu le bazar."

Le préfet de l'Oise Louis le France lors d'une réunion, le 29 février 2020, à Beauvais (Oise). (MANON LE CHARPENTIER / FRANCE TELEVISIONS)

"A la préfecture, on me dit de me débrouiller"

Alain Vasselle et les 35 000 maires de France trouveront quelques réponses dans la circulaire que leur a envoyé le ministère de l'Intérieur, dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 mars. Le texte, que franceinfo a pu consulter, détaille sur sept pages les "mesures de précautions sanitaires" à adopter dans les bureaux de vote pour "garantir la tenue du scrutin". Afin d'éviter de propager le virus, il est par exemple "recommandé aux électeurs de ramener leur propre stylo d'encre bleue ou noire indélébile pour émarger". Beauvau met également l'accent sur le nettoyage des lieux et du matériel. On apprend aussi qu'il sera possible de glisser un bulletin dans l'urne avec un masque... à condition d'être toujours reconnaissable.

Une fois de plus, je le répète, voter est sans danger.

Christophe Castaner

dans une circulaire du ministère de l'Intérieur

Voilà pour la communication gouvernementale. Dans les faits, "c'est quand même un peu plus compliqué que ce qui est écrit", recadre Alain Vasselle. "Par exemple, moi, il me faudrait une quinzaine de masques et une bouteille de gel hydroalcoolique. Sauf qu'en pharmacie, on me dit que c'est réservé aux professionnels de santé. Et à la préfecture, on me dit de me débrouiller. Je fais comment ?", s'interroge celui qui est aussi maire d'un village.

"Qui aurait pu imaginer pareil scénario ?"

Cet autre élu de l'Oise l'a tout aussi mauvaise : "J'ai commandé du gel et des masques pour les assesseurs et les présidents de bureaux. Mais je ne sais toujours pas où ça en est. Nos demandes remontent en préfecture mais après, je ne sais pas, ça traîne."

J'ai l'impression que les autorités ne comprennent pas ce qu'on vit. Elles nous écoutent, puis après, rien... Comme si elles improvisaient un peu.

Un maire de l'Oise

à franceinfo

Critique un peu facile, répond-on dans les couloirs de la préfecture. "On est en lien constant avec les maires du département, se défend Cyriaque Bayle. On est sur le coup 24h/24. On ne laisse personne dans l'interrogation." Surtout que les scrutins sous tension, ça le connaît : avant d'atterrir à Beauvais, l'actuel "dircab" s'est frotté pendant plusieurs mois au bureau des élections de la place Beauvau. Drôle d'ironie : c'est justement à ses anciens collègues du ministère de l'Intérieur qu'il se réfère en ce moment pour "évoquer les points d'organisation qu'il faut encore régler en vue de dimanche". Et notamment dans les communes touchées par le virus : dans celles-ci, c'est peu de dire qu'on ne se bouscule pas au portillon pour être assesseurs... 

La préfecture de l'Oise n'est pas la seule à avoir les oreilles qui sifflent ces jours-ci. Dans le département où il est en fonction, un représentant de l'Etat s'est attiré les foudres d'un maire "qui fait un foin pas possible autour de ça. Il est tout à fait excité, il m'appelle directement pour dire que ça ne va pas". A tort ? Pas toujours. "Effectivement, la livraison des masques est chaotique, concède ce haut-fonctionnaire qui préfère garder l'anonymat. D'ailleurs, je ne sais même pas où on en est, nous. Il y a des gros problèmes de stocks et d'approvisionnement." "Si Paris n'est pas clair, c'est nous qui prenons derrière", précise un autre agent en poste en Loire-Atlantique.

L'inscription "école fermée" scotchée sur l'entrée de l'école primaire de Crèvecoeur-le-Grand (Oise), le 9 mars 2020. (MAXPPP)

Toutes les préfectures que franceinfo a contactées assurent d'ailleurs être "totalement" mobilisées pour que le scrutin de dimanche se passe le mieux possible. "On est extrêmement réactifs, insiste-t-on par exemple à la préfecture des Hautes-Pyrénées. S'il y a des interrogations ou des questions, on y répond le plus efficacement et le plus clairement possible." Mais que voulez-vous... "Qui aurait pu imaginer pareil scénario ? questionne un fonctionnaire de l'Etat en poste dans l'est de la France. Cette double séquence coronavirus-municipales, c'est inédit."  Jean-Jacques Brot, le préfet des Yvelines, parle d'un "quotidien mono-thématique en ce moment". "J'ai vécu quelques petites choses dans ma vie, mais là, c'est du jamais-vu", remarque-t-il.

Evidemment, je n'étais pas là au moment de la crise de la grippe espagnole en 1919, mais je peux vous dire qu'on est tout à fait dans l'inédit.

Jean-Jacques Brot, préfet des Yvelines

à franceinfo

Jean-Jacques Brot, qui peut compter sur "une équipe habituée à gérer des crises", exige des points de situation réguliers : il faut dire que les Yvelines, qui comptent 1,5 million d'habitants, ont déjà enregistré deux morts et une centaine de cas avérés. Son directeur de cabinet, Thierry Laurent, passe son temps au téléphone avec l'Agence régionale de la santé

Jeudi après-midi, il était aux côtés des différents services de secours pour établir la marche à suivre si un électeur se sent mal le jour du vote. Il doit aussi encore trouver le temps de vérifier la liste d'anciens élus mobilisables dans les bureaux de vote en cas de défection de dernière minute d'assesseurs ou de présidents. Dimanche matin, il sera sur le pont "très tôt", "bien avant l'ouverture des bureaux de vote". Dans l'Oise, "on espère" avoir reçu les cartons de gel et de masques d'ici là.

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