Non, une "étude" menée par 6 000 scientifiques n'affirme pas que l'hydroxychloroquine est le traitement le plus efficace contre le Covid-19
Il ne s'agit pas d'une étude scientifique sur le traitement, mais d'un sondage réalisé, auprès de ses abonnés, par un réseau social américain destiné aux médecins. Seuls un tiers des sondés ont donné leur avis sur la chloroquine.
Le ton d'Alain Houpert est péremptoire. Dans un tweet, partagé par des milliers d'internautes depuis vendredi 3 avril, le sénateur Les Républicains de la Côte-d'Or affirme que "6 000 scientifiques de 30 pays concluent que l'hydroxychloroquine est le plus efficace contre le Covid-19." L'élu dijonnais en veut pour preuve un article du Washingon Times, qu'il partage.
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Médecin de formation, comme il le rappelle dans sa biographie Twitter, Alain Houpert fait partie des nombreuses personnalités politiques de droite qui plaident pour l'emploi de la chloroquine pour lutter contre le coronavirus. Et défendent les recherches menées à Marseille par l'infectiologue Didier Raoult sur ce traitement expérimental.
L'élu n'est pas le seul à s'être saisi de cette parution pour réclamer la généralisation du médicament. L'éditorialiste de LCI et Sud Radio Françoise Degois ou l'économiste et essayiste Philippe Herlin en ont fait de même, relayés eux aussi par des milliers d'abonnés. Mais que dit vraiment cette "étude" qu'ils mettent en avant ?
6000 scientifiques de 30 pays concluent que l'hydroxychloroquine est le plus efficace contre le #COVID19. Pas suffisant pour l'administration française. Cet entêtement coûte chaque jour des vies ! https://t.co/WwAuRkO081
— Alain Houpert (@alainhoupert) April 3, 2020
L'article du Washington Times (en anglais), quotidien conservateur américain, fondé dans les années 1980 par les membres de l'Eglise de l'unification, plus connue sous le nom de secte Moon, se fait l'écho non pas d'une étude scientifique mais d'un sondage.
Cette enquête d'opinion a été réalisée par Sermo, un réseau social américain destiné aux médecins, auprès de ses abonnés entre le 25 et le 27 mars. Le panel comptait 6 227 médecins de 30 pays différents. L'entreprise n'indique pas, dans sa fiche méthodologique, avoir appliqué une quelconque pondération pour tenter d'obtenir un échantillon représentatif. Les praticiens américains y sont d'ailleurs surreprésentés (2 576). Viennent ensuite les médecins européens (2 305), notamment italiens (771) et espagnols (439), mais aussi français (277).
En tête des traitements jugés efficaces
Les sondés sont invités à répondre à 22 questions. Celles-ci vont du moment où le pic de l'épidémie sera atteint aux précautions prises à la maison pour éviter de transmettre la maladie à leur famille, en passant par les mesures décidées par les autorités, le risque de deuxième vague épidémique et les traitements prescrits aux malades. Les réponses à la treizième question sont celles qui apportent de l'eau au moulin des partisans de l'hydroxychloroquine.
"Parmi les médicaments que vous avez personnellement prescrits ou que vous avez vu utiliser, veuillez indiquer lesquels sont les plus efficaces", est-il demandé. Seuls 2 171 sondés sur 6 227 ont répondu. Soit 34,9% de l'échantillon. Ce gros tiers du panel a donc choisi les médicaments qu'il jugeait les plus efficaces, ce qui permet à Sermo d'établir un classement par ordre de préférence.
A peine plus que les antibiotiques ou analgésiques
L'hydroxychloroquine ou la chloroquine sont plébiscitées (37%) devant quatorze autres solutions thérapeutiques. Du côté des Européens, ce traitement arrive largement en tête chez les médecins italiens et espagnols (62%). Il est également préféré aux autres remèdes (44%) par les praticiens chinois. Et il remporte la majorité des suffrages (55%) dans le "reste du monde", qui rassemble les sondés (543 médecins) d'autres pays.
Mais à y regarder de plus près, les sondés accordent presque autant leurs faveurs à d'autres traitements : les antibiotiques (32%) et les analgésiques (31%). Voire à une autre solution thérapeutique radicale : ne rien faire (32%). Surtout, Sermo accompagne ces résultats d'une "remarque" de bas de page prudente : "Les données fournies ne sont pas censées être la base d'une recommandation médicale ou d'un programme de traitement. Si vous pensez avoir le Covid-19, veuillez suivre les protocoles locaux et contacter un professionnel de la santé."
Des tests en Europe sur les cas graves uniquement
En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) indique qu'"aucun traitement spécifique n'est recommandé pour les cas de Covid-19 pauci-symptomatiques [ayant peu de symptômes] ou présentant une infection respiratoire basse non compliquée". Il ne recommande l'administration de l'hydroxychloroquine que pour les cas graves nécessitant une hospitalisation, et "à défaut" des antiviraux Lopinavir et Ritonavir associés ou de l'antiviral Remdesivir dans les cas les plus sévères.
Un vaste programme européen d'essais cliniques, baptisé "Discovery", teste actuellement l'hydroxychloroquine ainsi que trois autres traitements. Les tests, dont les premières tendances ne seront pas connues avant fin avril dans le meilleur des cas, portent sur 3 200 patients gravement atteints en Europe, dont au moins 800 en France. Un comité international compilera et analysera les données brutes récoltées, afin d'aboutir à un consensus scientifique sur l'efficacité de ces traitements, notamment celle de la chloroquine.
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