: Grand entretien "70% de la lutte contre le changement climatique se joue au niveau local" : l'eurodéputé Damien Carême imagine la ville écologique de demain
#EtAprès. Pour réfléchir à la période qui succède à la crise du Covid-19, franceinfo donne la parole à des intellectuels, experts et activistes. Pour ce cinquième épisode, nous avons interrogé Damien Carême, eurodéputé EELV et ancien maire écologiste de Grande-Synthe.
Qu'il s'agisse de questions sociales ou environnementales, pour Damien Carême, "le changement doit se faire par le bas". Deux mois après les élections municipales, cet eurodéputé d'Europe Ecologie-Les Verts, ancien maire de Grande-Synthe, reste persuadé que les municipalités ont un rôle essentiel à jouer dans la protection de l'environnement. De 2001 à 2019, l'élu écologiste a fait de la ville du Nord un laboratoire social et vert dans un contexte difficile – un taux de chômage proche de 25%, près de 65% de logements sociaux, le tout dans un bassin économique en perte de vitesse, à proximité directe d'une quinzaine de sites industriels dangereux classés Seveso. Durant les trois mandats de Damien Carême, Grande-Synthe s'est engagée dans la création d'éco-quartiers, de jardins partagés, d'une cantine 100% bio. La ville a ainsi été nommée "capitale de la biodiversité" en 2010 et a remporté le trophée "fleur d'or" ou encore le prix "zéro phyto, 100% bio"en 2015.
Le parcours de Damien Carême reste toutefois marqué par des confrontations. Avec le Parti socialiste d'abord, qu'il a quitté en 2014. Puis face aux plus hautes administrations, au sujet de l'accueil de migrants sur sa commune notamment, ou lorsqu'il a porté plainte contre l'Etat pour "inaction climatique" en 2018. Quel regard porte-t-il sur les récents succès électoraux des écologistes ? Et quel rôle les mairies peuvent-elles jouer dans la transition écologique ? Au cours de cet entretien réalisé le 28 juillet, Damien Carême revient sur son expérience de maire écologiste, mettant en lumière les nombreux domaines où les villes peuvent agir sans devoir attendre des consignes étatiques.
Il s'agit du cinquième grand entretien de franceinfo, après ceux de la climatologue Valérie Masson-Delmotte, de l'économiste Thomas Piketty, du comédien Philippe Torreton et du médecin Rony Brauman, pour mesurer les conséquences de la crise du Covid-19 et tenter de comprendre de quoi sera fait le "jour d'après".
Plusieurs grandes villes de France, comme Lyon, Bordeaux ou Strasbourg, viennent d'élire un maire "vert". Peut-on parler d'une prise de conscience écologiste des Français ?
Damien Carême : On pourrait rajouter aussi Poitiers, Tours ou Besançon, ce sont des villes importantes. Poitiers, c'est 187 000 habitants, ce n'est pas négligeable. Je pense qu'il y a une prise de conscience, mais je pense que les citoyens sont beaucoup plus en avance que leurs représentants élus en matière de lutte contre le changement climatique, sur le changement de société qu'ils attendent. Il y a une prise de conscience évidente. Il y a une prise de conscience que cette société va mal parce qu'on parle beaucoup de la crise du Covid-19, mais on a quand même une crise climatique. On a une crise de la biodiversité, on a une crise économique, on est en crise financière, en crise démocratique, en crise sociale, en crise énergétique, en crise écologique.
C'est la première fois que dans notre société, dans l'histoire de l'humanité, on rencontre autant de crises simultanées qui sont la résultante du système dans lequel on évolue depuis une soixantaine d'années, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je suis atterré de voir dans les interventions que je peux faire partout en France, depuis 3 ans maintenant que je sillonne le territoire national, que les gens ont peur de ce qu'ils mangent, de l'air qu'ils respirent, de ce qu'ils boivent.
Les jeunes couples se demandent pourquoi ils devraient faire des enfants, parce qu'ils ne savent pas dans quel monde ils vont vivre demain. Quand on en est là, c'est que la société va vraiment mal.
Damien Carêmeà franceinfo
La crise, à l'origine, n'est pas qu'écologique. C'est bien la crise de notre modèle de développement qui est en cause. Et je pense que les Français, peut-être grâce à cette crise sanitaire, se rendent compte de tout cela. On met l'accent dessus, on va en chercher les causes. Beaucoup s'interrogent aujourd'hui. Je rencontre énormément de gens qui veulent changer de métier. J'ai rencontré, il n'y a pas longtemps, une journaliste qui me disait : "J'arrête, je trouve que ça n'a pas de sens. Je vais faire complètement autre chose, je me réoriente." Et il y a beaucoup de gens qui pensent comme ça. On voit une forme d'exode urbain en ce moment avec des gens qui ont eu la chance de pouvoir partir à la campagne pendant la période de confinement et qui finalement y restent. On s'interroge quand même sur le modèle.
Donc oui, il y a une prise de conscience évidente, qui s'est exprimée en partie lors de ces élections municipales, mais en partie seulement parce qu'il y a eu quand même une faible participation [41,6% au second tour au niveau national]. Je pense que le score des écologistes aurait pu être beaucoup plus important si l'ensemble de la population s'était déplacée. Je vois chez moi à Grande-Synthe, aux dernières élections 2014, il y avait 64% de participation. Là, il y avait 37% de participation [au premier tour]. On voit bien cette peur qu'il y a eue, avec le Premier ministre qui s'exprime le vendredi soir en disant que le lundi suivant, on se confine. Comment voulez-vous que ces gens aillent aux urnes le dimanche matin ou dans la journée ? Je pense donc que s'il y avait eu une véritable expression, le score aurait été plus important encore.
Pensez-vous que rester chez soi pendant le confinement permette de se recentrer, de mieux réfléchir à son empreinte carbone par exemple ?
Je ne suis pas sûr que ce soit sur l'empreinte carbone que les gens s'interrogent, parce que je pense qu'ils ne la mesurent pas. C'est aussi un problème, on ne connaît pas le poids des choses, le poids de nos modes de vie. C'est une question d'ailleurs qui est extrêmement intéressante. Il y a un collectif qui a fait un petit livre qui s'appelle Retour sur terre : 35 propositions, que j'ai là. Je vous le conseille parce qu'il est extraordinaire.
Les gens ont réalisé, durant ce confinement, que c'est quand même extrêmement dur. On l'a tous vécu de manière différente, si on avait des enfants, ou pas, à la maison, un logement suffisamment vaste, si on avait de bonnes conditions, si on avait une connexion internet qui nous permettait de télétravailler, si on avait suffisamment de matériel informatique pour les enfants et la famille quand on travaille en même temps. Et malheureusement, ceux qui ont le plus pâti de cette situation, ce sont encore les gens les plus défavorisés qui vivent dans des petits appartements, qui n'ont pas les moyens d'avoir une connexion haut-débit, qui n'ont pas forcément un ordinateur pour chacun des membres de la famille.
Deux mois, c'est long, et chacun s'est interrogé sur ses conditions de vie.
Damien Carêmeà franceinfo
Cette période m'effraie. L'économiste Eloi Laurent a publié un livre fin 2019 qui s'appelle Sortir de la croissance : mode d'emploi, dans lequel il y a tout un chapitre sur le bonheur. Parce que c'est ça qui compte, finalement : c'est d'être heureux, quel que soit l'environnement. Dans les études qui ont été menées, ce qui fait la part la plus importante du bonheur chez l'être humain, c'est le lien social, mais pas le lien social à travers une caméra et un dispositif comme Zoom ou autre chose, mais le vrai lien social, aller à la rencontre des gens. On a été coupés de ça pendant deux mois et je pense que cela aura des conséquences psychologiques et psychiatriques extrêmement importantes. D'ailleurs, on commence à avoir des signaux d'alerte du monde de la psychiatrie en France avec toute une nouvelle population qui est en train de consulter. Et toute l'ancienne, qui suivait des traitements, qui n'y est pas encore retournée. Le monde de la psychiatrie allait déjà mal et je pense qu'il va aller encore plus mal dans les semaines et les mois qui viennent.
On s'est quand même interrogé. Pourquoi on en arrive à quelque chose d'aussi choquant et traumatisant que le confinement ? Et aujourd'hui, on ne rencontre plus de visage dans la rue mais des moitiés de visages couvertes par un masque... Là aussi, pour créer le lien social, quand vous n'avez que des yeux qui vous répondent ou qui vous regardent, vous n'avez plus cet échange-là. Je trouve ça dramatique. Tout le monde s'est interrogé, tout le monde s'est dit : "Mais qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi on en est là ?" Il y a plusieurs explications. Celle qui tient, pour moi, c'est quand même que le dérèglement du monde a favorisé cette transmission de virus des animaux sauvages à l'homme [cette hypothèse est notamment analysée et développée par le docteur Didier Sicard]. C'est le début d'une séquence parce qu'on aura d'autres périodes comme celle-là.
Je parlais tout à l'heure de ceux qui fuient la ville pour aller à la campagne. Beaucoup s'interrogent sur le sens de leur métier, quand ils ont le choix aussi, quand ils n'ont pas un métier qui est subi, comme malheureusement beaucoup de salariés en France aujourd'hui, ou s'ils ont le choix d'avoir un métier, parce que beaucoup aussi étaient de côté. Il y a une demande, on voit bien l'explosion de la pratique du vélo aujourd'hui. Les gens se sont interrogés. Peut-être qu'ils se sont rendus compte qu'ils avaient vécu deux mois sans aller trop consommer dans les hypermarchés et que finalement ils ne sont pas morts. Ils n'en sont pas moins heureux de ne pas avoir consommé donc ça aussi, ça nous interroge sur notre monde.
Pendant le confinement, plusieurs villes ont tracé de nouvelles pistes cyclables temporaires ou permanentes, distribué des paniers de légumes locaux... Le déconfinement s'est également accompagné d'une aide de l'Etat de 50 euros pour faire réparer son vélo. Faut-il forcément une crise majeure pour que l'on se tourne vers ces mesures écolos ?
C'est assez malheureux. Je vous parlais tout à l'heure d'un certain nombre de personnalités, il y en a beaucoup d'autres quand même, depuis 30 ans, 40 ans, qui écrivent au sujet de cette trajectoire. Et moi, ça me met vraiment en colère de me dire que les gouvernements successifs, depuis ces années-là, n'avaient qu'une lubie, c'était la croissance, le plein-emploi lié à la croissance. Certes, il y a eu des améliorations des conditions de vie d'un certain nombre de personnes, mais on est arrivés au bout de ce système et toutes les crises que je décrivais tout à l'heure sont l'aboutissement de ce système qui nous a poussés dans cela et qui remet en cause l'existence même de l'homme sur Terre, de la vie sur Terre.
La Terre, je ne m'en inquiète pas. On a vu qu'en deux mois d'arrêt des activités, les choses étaient en train de se régénérer.
Damien Carêmeà franceinfo
Si on laissait du temps à la nature, elle se referait calmement, à son rythme. Et moi, ça me met en colère, ces dirigeants qui étaient obsédés par les lobbys, par l'ultralibéralisme, par le profit immédiat, sans jamais tenir compte des alertes des climatologues, des glaciologues, des météorologues, des naturalistes, des environnementalistes, tous ces spécialistes qui annonçaient les choses. Ils le hurlaient, et malheureusement, il faut peut-être attendre cette crise pour voir des embryons de démarrage de quelque chose qui pourrait changer les choses.
Je suis un peu atterré de la réponse politique de ceux qui ont le pouvoir aujourd'hui face à cette crise. Est-ce que cela devrait enclencher ce qu'on appelle "le monde de demain" ? Il y a discussion autour de cette expression qui vient du président, même si d'autres l'ont utilisée avant, mais je ne vais pas m'engouffrer dedans. Nous voulons simplement vivre, c'est-à-dire nous assurer un avenir et assurer un avenir aux générations futures. J'ai mené dans ma commune des politiques écologistes, mais ces politiques sont tout sauf punitives. Elles sont redistributives, équitables, elles luttent contre les inégalités, elles sont sociales.
Quand on met en place un plan vélo sur la commune avec une subvention pour l'achat d'un vélo, des gens qui ne se déplaçaient pas se déplacent à nouveau à vélo d'une ville à l'autre.
Damien Carêmeà franceinfo
Si on refait complètement le transport sur une agglomération pour mettre 80% de la population à moins de 300 m d'un arrêt de bus, où les bus passent toutes les 10-15 minutes, que l'on met toujours le même temps pour aller au centre de l'agglomération, que l'on décide la gratuité des transports, alors on réduit le nombre de voitures, on remet la nature en ville, on redonne du pouvoir de vivre aux habitants qui prennent le bus. On amène la mobilité aux habitants qui n'avaient pas beaucoup de moyens, parce que pour moi, la mobilité est un bien commun aujourd'hui. Il y a donc des choix qui doivent être faits au niveau local comme au niveau national. Et tout est affaire de courage, d'audace, de choix politiques de nos gouvernants.
Ça ressemble à quoi, pour vous, une vraie ville verte ?
On y explore toutes les politiques locales. C'est une ville où l'habitat est passif [avec une très basse consommation énergétique au m2]. C'est une ville où la nature est présente en ville. Nous [à Grande-Synthe], on avait 127 m2 d'espaces verts par habitant. 95% de la population vit à moins de 300 m d'un espace naturel. C'est de la mobilité douce. On oublie souvent la marche à pied, mais c'est agréable de se promener sur des trottoirs où il y a des arbres qui nous protègent, où c'est beau. C'est la pratique du vélo sur des pistes cyclables avec une aide à l'achat de vélos. C'est une politique de transports en commun sur l'agglomération et sur la place de la voiture. C'est une politique énergétique. C'est être une ville où il y a 100% d'électricité renouvelable et 75% de gaz renouvelable. En 2021 [à Grande-Synthe], ça sera 0% de gaz renouvelable, et uniquement de la récupération de chaleur du gros groupe industriel ArcelorMittal, qui est derrière, pour chauffer tous les équipements de la ville, des logements sociaux, la polyclinique de la ville. C'est 200 000 euros d'économies sur le budget de la ville, c'est 5 600 tonnes de CO2 qu'on ne relâchera pas dans l'atmosphère. C'est une politique culturelle qui émancipe les habitants, qui les sort du système dans lequel on est, avec la culture et l'éducation populaire. Avec ces deux outils-là, c'est aussi une sensibilisation, un accompagnement de la population vers ce nouveau monde. C'est une ville qui lutte contre les perturbateurs endocriniens partout, en forçant les habitants à se préparer des produits ménagers, des cosmétiques à base de produits naturels. C'est du 100% bio dans les cantines, mais du 100% bio local, avec des maraîchers qu'on implante à la lisière de la ville, qui fournissent l'alimentation pour la restauration scolaire et pour les habitants.
La société écologique est sociale et empathique. C'est de l'empathie avec la nature, avec son semblable.
Damien Carêmeà franceinfo
C'est mettre en place l'économie du partage et de la fonctionnalité avec un petit local qu'on appelle le "Troc Et Co", où les gens, plutôt que de s'acheter une perceuse, par exemple, la partagent. On achète là parce que c'est moins de consommation, c'est moins de matières premières, c'est moins de matériaux rares, c'est moins de consommation d'eau, de pétrole pour construire ces choses-là. Donc c'est une revisite de la politique de consommation. C'est aussi porter un autre regard sur l'autre. On ne peut pas travailler sur un secteur et pas un autre. Il faut qu'on soit sur tous les champs des politiques de la collectivité.
Certaines villes d'Europe ou d'ailleurs vous ont-elles inspiré pour vos politiques à Grande-Synthe ? Quels sont, pour vous, les exemples à suivre ?
Il y en a. Par exemple, pour parler d'habitat passif, comme on avait un projet d'écoquartier en 2006, je suis allé visiter un certain nombre d'écoquartiers en Suède, au Danemark et en Allemagne pour voir où ils en étaient. Il y a des choses extraordinaires. Et des choses qui sont ratées, mais bon...
J'ai vu une maison, par exemple, à Hanovre (Allemagne), beaucoup plus au nord que Grande-Synthe, qui avait été construite il y a 40 ans et dans laquelle il n'y avait que deux radiateurs. Sur ces deux radiateurs, l'un n'a jamais servi et l'autre, c'était le sèche-serviette de la salle de bain. En 40 ans, on a un retour d'expérience, quand même. Pourquoi on ne développe pas ça partout ailleurs ? Chez nous, je peux comprendre. En France, on a de l'énergie à revendre. Donc on a fait pendant longtemps des passoires thermiques, une aberration, car on ne se souciait pas du climat à l'époque, ni de l'énergie d'ailleurs.
Dans certaines villes, c'est sur l'habitat que ça fonctionne. D'autres villes, c'est la mobilité. On connaît Amsterdam, Copenhague. Les politiques de vélo, ils les ont décidées au moment du choc pétrolier [de 1973]. Il faut voir les photos qui circulent d'Amsterdam en 1973 : la ville est complètement différente aujourd'hui. Elle est apaisée, elle est agréable à vivre. La nature a repris des routes où il y avait des parkings pour les voitures avant. Ça, c'est quelque chose d'assez extraordinaire. Je ne sais pas exactement ce que ces villes font en matière d'éducation populaire, mais il y a beaucoup d'accompagnement des habitants. Il y a beaucoup de démocratie participative dans ces communes-là.
A Grande-Synthe, je n'ai rien inventé. Je suis allé chercher du bon sens un peu partout et on a essayé de rendre ça cohérent.
Damien Carêmeà franceinfo
Nous, à la collectivité [Damien Carême était élu jusqu'en 2019], on faisait tous nos produits d'entretien parce que ça nous permettait de ne pas mettre notre personnel en danger en manipulant des produits toxiques à longueur de journée. Finalement, on a fait contrôler la qualité de l'air dans nos écoles et elle est meilleure que quand on utilisait des produits d'entretien classiques. Donc on est gagnants sur les plans sanitaire, environnemental, économique, parce que c'est beaucoup moins cher de faire ses produits soi-même que de les acheter.
Il y a beaucoup d'expériences en Europe. Il n'y a pas de ville idéale, mais certaines tendent vers le modèle qu'il faudrait développer partout. Surtout, il faut arrêter ce phénomène de métropolisation qui est lié à cette compétitivité économique des territoires. Ça flingue une ville comme Nantes, qui accueille 6 000 nouveaux habitants par an, ou comme Montpellier, qui en accueille 12 000 [plutôt 9 000 dans toute l'agglomération montpelliéraine, selon l'Insee]. Quand j'interroge les Nantais, ils me disent : "Ça n'arrange pas notre quotidien parce que ça nous retire des espaces verts, des lieux de vie." Les habitants qui vivent là se fichent d'avoir 150 000 habitants ou 80 000. Ces phénomènes de métropolisation sont en train de nous poser d'énormes problèmes.
La crise des "gilets jaunes" est en partie liée à ça. Comme on concentre l'économie dans le centre des métropoles, on surenchérit sur les loyers dans le centre. On pousse des populations dans les périphéries et on les oblige à avoir une voiture pour venir travailler parce qu'ils n'ont plus les moyens de vivre localement. En plus, on taxe le gazole. Ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ils ne sont pas contre l'écologie. En fait, ils subissent sans arrêt des décisions qui les dépassent. Il faut tirer les bons enseignements des expériences qui seront menées partout en Europe et les adapter à la sauce locale. Parce que ce qui se fait en Suède ne peut pas forcément se faire chez nous.
Manger local, éviter la voiture ou l'avion, faire attention à ses factures d'énergie, consommer différemment... Quel est le pouvoir d'une mairie sur des gestes et des habitudes qui semblent appartenir avant tout aux individus ?
70% de la lutte contre le changement climatique se joue au niveau local, parce que c'est à ce niveau que les élus décident de la cible énergétique [l'efficacité] des logements. Soit du logement social, soit du logement privé. Quand vous dites "Voilà, j'ai un terrain et on va faire une opération immobilière dessus", vous avez des candidats qui viennent voir, vous faites un concours et vous dites : "On délivrera le permis de construire à l'opération qui aura la meilleure cible énergétique." Et c'est comme ça que nous, avec des bailleurs sociaux, on a livré des logements passifs à des habitants. Au bout de trois ans de vie des locataires, on s'aperçoit qu'on a divisé la facture énergétique de ces foyers par huit, ce n'est pas négligeable. On a envoyé beaucoup moins de gaz à effet de serre et en plus, on a eu un impact social sur le montant des charges derrière.
Il y a donc une capacité d'action des élus locaux sur le logement. Mais aussi sur l'alimentation, les cantines scolaires bio ou la restauration collective, comme dans les Ehpad, les maisons de retraite. Tout ce qui dépend de la collectivité. Il faut pouvoir dire : "On a des terres sur la commune et plutôt que de faire des constructions de lotissements, on va replanter ces terres, les mettre à disposition, les louer à des maraîchers pour avoir de la production locale."
S'orienter vers l'agriculture urbaine, pour moi, c'est l'un des axes prioritaires et en plus, c'est générateur d'emplois.
Damien Carêmeà franceinfo
On a bien vu pendant cette crise qu'on a risqué d'être en rupture alimentaire dans certains endroits parce qu'on n'avait plus les salariés qui allaient cultiver dans les champs [la situation était toutefois plus nuancée, comme l'explique franceinfo dans cet article]. Il faut donc rapprocher les lieux de production des lieux de consommation, c'est indispensable. C'est le local qui peut décider aussi parce qu'on crée un marché, on ouvre notre restauration collective à du bio local et on favorise l'implantation et la conversion d'un certain nombre de fermes au bio. On élimine les surcoûts liés aux transporteurs puisqu'on est local et du coup, on peut s'alimenter bio.
C'est peut-être un peu plus cher que le conventionnel, mais quand on fait du bio local, on s'inquiète aussi de la qualité de vie des fermiers. Et on sait aujourd'hui que les agriculteurs ne vivent qu'avec 350 à 500 euros par mois alors qu'ils ont des journées de fous, du surendettement par-dessus la tête. C'est malheureusement la profession dans laquelle il y a le plus de suicides aujourd'hui, parce qu'ils ne gagnent pas assez leur vie [ce chiffre est discuté, d'autres professions semblent être autant, voire un peu plus, touchées]. La part de l'alimentation dans le budget des ménages a beaucoup chuté. Il faudrait qu'elle remonte un peu pour permettre à ces agriculteurs de bien nous nourrir. C'est extrêmement important parce que si on est bien nourris, on est en meilleure santé. Donc ça évite des dépenses de santé, que ce soit dans nos cotisations sociales ou dans nos mutuelles.
Sur la mobilité, on peut dire aux gens de ne pas rouler en voiture car ce n'est pas bien, mais si on ne fait pas de pistes cyclables, si on ne refait pas les réseaux de transports en commun, si on n'accepte pas la gratuité de ces transports en commun... Oui, c'est au niveau local que ça se décide. L'avion, ça n'est plus du niveau local, mais on peut avoir des politiques nationales qui favorisent le train en baissant son coût. Il ne devrait pas y avoir de lignes intérieures, c'est une hérésie. Ensuite, il faudrait que le public favorise davantage le train dans notre pays. En ce moment, on parle de remettre des trains de nuit, de remettre du fret, mais là aussi, ça fait des années que des gens le disent, dont des syndicats de la SNCF qui ont fait des grèves assez soutenues pour râler contre la disparition des petites lignes et des postes de la SNCF. Ils ont raison et aujourd'hui, on voit bien qu'on est en train de faire le chemin inverse. C'est plutôt une bonne nouvelle.
Concernant le transport local, l'habitat, l'alimentation, l'énergie, toutes les villes pourraient aussi décider de s'alimenter en énergie renouvelable, voire locale. C'est possible de faire des sociétés coopératives, d'associer des habitants qui peuvent eux aussi se servir de leur toiture et d'un certain nombre de choses, dans certains endroits, comme la géothermie, pour pouvoir se chauffer, s'éclairer dans leur maison.
Le niveau local est extraordinaire. Après, il y a les autres politiques et c'est vrai que ça ira mieux le jour où les politiques européennes et nationales accompagneront le local mieux qu'elles ne le font aujourd'hui.
Damien Carêmeà franceinfo
Justement, plusieurs maires de grandes villes, de gauche ou écologistes, se sont réunis à Tours fin juillet. Que peut apporter un tel "réseau de maires" à l'écologie, selon vous ?
J'attends de voir. Il ne suffit pas de signer des engagements et de se rassembler, il faut voir ce qui sera réalisé. Ils se sont engagés à mettre en œuvre ce que la convention citoyenne a décidé. C'est très bien. J'attends de voir comment ils vont le mettre en œuvre au niveau local et comment ils vont, peut-être, à certains moments, aller au rapport de force avec l'Etat, parce qu'il faudra y aller. Si effectivement ils le font tous, ça va créer une puissance des collectivités. Ils vont faire de la pédagogie auprès des populations. Cette prise de conscience va se mettre en route, on va montrer que c'est possible.
S'il y a autant de villes et que ça représente beaucoup de grosses communes, ça veut dire des millions de Français. S'ils s'aperçoivent qu'il est possible de prendre ces mesures sans que cela soit punitif, ils verront que c'est même drôle et amusant parce que cela recrée du lien social. Quand je fais des jardins partagés au pied des immeubles dans ma ville, au départ, je me dis que c'est du social, parce que les gens vont pouvoir cultiver une partie de leur alimentation, ils dépenseront moins et ils mangeront mieux parce qu'ils vont cultiver du bio. Mais après, ils se voient les uns les autres et du coup, ils mettent une table, ils prennent l'apéro ensemble, discutent, échangent des recettes. Notre monde nous pousse à l'individualisation, au chacun pour soi, on regarde l'autre en chien de faïence, on est compétitifs.
On a six ans pour agir et ne pas perdre un semestre de ces six années-là.
Damien Carêmeà franceinfo
Il y a une extrême urgence à mettre en œuvre des décisions très rapidement pour opérer cette bascule. Et puis, il y a urgence aussi à regrouper ces citoyens et citoyennes qui verront qu'ils peuvent faire pression sur le pouvoir politique, pour qu'on aille beaucoup plus vite que ce qu'on entend aujourd'hui. Non, on n'a pas le temps. Il faut faire très vite ces changements radicaux. Ce n'est même plus une transition aujourd'hui, c'est d'un changement radical dont on a besoin. La perspective est très claire et on sait mettre des cailloux pour arriver à cet objectif-là. C'est une décision politique. Ce sont des choix d'orientation budgétaire dans notre pays, dans l'Europe et dans les collectivités, dans les intercommunalités.
Vous répétez que la transition écologique "ne peut pas attendre" et que seules les villes ou les intercommunalités peuvent agir suffisamment vite… L'Etat n'est-il pas capable d'apporter des solutions efficaces lui-aussi ?
C'est évident. Je n'ai pas dit que la transition allait se jouer seulement au niveau local, qui représente 70% de cette transition et de cette lutte contre le changement climatique. L'Etat, bien évidemment, doit prendre sa part de responsabilité. J'ai porté plainte en octobre 2018 contre l'Etat pour son inaction en matière de lutte contre le changement climatique. J'espère qu'on aura la réponse du Conseil d'Etat d'ici la fin de l'année. Sur ma commune [Grande-Synthe, dont il n'est plus maire], on s'engage fortement. Les habitants s'engagent aussi fortement à leur niveau. Celui qui manque à l'appel, c'est l'Etat.
A Grande-Synthe, qui est un territoire de polders [une étendue artificielle de terre] gagnés sur la mer par les moines au Moyen-Age, qui a un réseau d'irrigation qu'on appelle, dans le Nord, des watergangs, qui rejettent les eaux de pluie à la mer avec un système gravitaire, ce territoire est menacé. Quand j'ai porté plainte en octobre 2018, le rapport du Giec disait qu'on connaîtrait des phénomènes de submersion marine et de pluies importantes qui fait que le territoire serait inondé régulièrement à partir de 2100. Dans le rapport de l'année dernière, en septembre 2019, ce n'était plus en 2100, mais c'était en 2050. Parce qu'entre temps, l'Etat n'a pas bougé. Au contraire, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté, alors que la France avait pris des engagements en 2015 lors de la COP 21 à Paris, pour faire baisser nos émissions.
L'Etat ne respecte pas les conventions internationales qu'il signe.
Damien Carêmeà franceinfo
Là, il faut attendre cette crise et quand même une pression populaire pour remettre des trains de fret, pour s'interroger sur les lignes intérieures aériennes. Mais on met quand même 15 milliards sur l'aviation et pas beaucoup sur le train. Je n'ai pas entendu de chiffres sur l'aide à la SNCF, je trouve que l'Etat est très en retard. D'ailleurs, le Haut Conseil sur le climat l'a dit dans un rapport récemment.
Vous êtes familier des négociations municipales, mais aussi européennes. Comment faire en sorte que les mesures vertes prises par les mairies, les départements, l'Etat et même l'UE ne se parasitent pas entre elles ?
Si elles sont toutes écologiques, elles iront dans le même sens et on ne peut pas avoir des interprétations différentes. Il faut que l'on mesure chacune des activités et des compétences dont on dispose. Prenez la région, qui a les compétences économiques par exemple. Si on n'aide que les entreprises qui ont un faible impact environnemental, ça se déclinera avec une politique d'une agglomération qui va dans le même sens, une politique locale qui va dans le même sens. Si la région fait un plan voiture au lieu de faire un plan de TER ou de fret ferroviaire, et relance en même temps le transport fluvial, ce n'est pas cohérent. Ce n'est pas de l'écologie, c'est du greenwashing. On se donne bonne conscience en étant sur un secteur, mais si on a une vraie politique écologique, on est sur tous ces champs à la fois.
Si tout le monde s'oriente vers cela, on sait que ça va être générateur d'emplois. Oui, ça va supprimer des emplois dans un certain nombre de secteurs, mais ça va en générer dans d'autres. Dans l'agriculture par exemple. On sait qu'on va créer plusieurs centaines de milliers d'emplois si on relocalise une agriculture respectueuse des sols, parce qu'il faut moins d'intrants et plus de main d'œuvre sur les fermes.
Le Premier ministre Jean Castex défend la décentralisation en France. Plus d'autonomie pour les territoires, est-ce là une condition nécessaire à la transition écologique ?
Non. Je suis peut-être un peu dur quand je dis ça et je vais peut-être m'attirer les foudres des collègues, mais je suis réservé quand on dit : "On va transférer aux intercommunalités." C'est l'Etat qui disparaît, ce n'est plus sa responsabilité, mais celle des intercommunalités.
Je pense que l'Etat a un rôle majeur à jouer sur la non-artificialisation des sols, il faut qu'il y ait une loi et que ce soit l'Etat qui soit avec les préfets, donc les représentants de l'Etat, à la manœuvre pour limiter cette artificialisation. Regardez ce qui se passe avec le gel des grands projets de zones commerciales. C'est demandé par la convention citoyenne climat et beaucoup de spécialistes. Aujourd'hui, on n'arrive pas à prendre la décision au niveau français. Qui va prendre cette décision ? Ce sont les territoires ou c'est l'Etat français qui doit la prendre ? L'Etat a son rôle à jouer là-dedans, je pense que c'est extrêmement important [le Premier ministre Jean Castex a promis un moratoire sur cette question].
Le problème en France, c'est qu'il y a des petits villages qui se disent qu'ils vont faire un lotissement parce que ce sont des recettes qui arrivent avec les taxes d'habitation et le foncier bâti. Et puis, ça repeuple nos écoles. Et puis, ça relance nos commerces. Oui, sauf que d'où vient cette population ? Dans la ville d'à côté, on ferme des écoles, on ferme des commerces et à partir d'un moment, ça devient une lutte entre des élus, des luttes de territoires. Or, c'est l'Etat qui devrait taper du poing sur la table. On appréciera, on n'appréciera pas, mais au moins la ligne qui suivra, c'est une ligne pour notre avenir commun, notre planète, pour la lutte contre le changement climatique. Cela devrait fait partie de l'article 1 de la Constitution : respecter les limites planétaires.
A Grande-Synthe, la mairie a financé ses politiques écologistes grâce aux recettes fiscales des gros sites industriels qui bordent la ville. Si vous n'aviez pas disposé d'une telle manne, comment auriez-vous fait ?
Vous partez d'un postulat qui n'est pas le bon. On a beaucoup de recettes fiscales, mais on a une charge aussi dans la collectivité depuis 2000. J'ai été élu en 2001 et on n'a pas eu d'augmentation de nos recettes fiscales. Au contraire, on nous a baissé les dotations d'Etat. Donc, ça veut dire que globalement, on a moins de recettes aujourd'hui dans la collectivité parce que l'écologie, c'est pas cher. Parce que planter des arbres, ça ne coûte rien. Faire des jardins partagés au pied d'immeubles, ça ne coûte rien. Créer un dispositif où les habitants suivent des cours pour faire des produits ménagers, ça ne coûte rien. Quand on a fait la cantine bio, ça nous a coûté 20% supplémentaires, au plus, les premières années, mais maintenant qu'on a relocalisé la production, on n'a plus de surcoût.
Sur la politique énergétique, on a payé un peu plus cher quand on a fait, il y a huit ou neuf ans, les 100% d'électricité renouvelable sur la ville. Aujourd'hui, on achète l'électricité renouvelable au même prix que l'électricité nucléaire. Je vais vous donner un exemple sur l'éclairage public de la ville. Je trouvais qu'on éclairait trop et ce n'est pas bon pour la biodiversité nocturne. On a décidé de refaire l'éclairage. On avait 7 000 points lumineux sur la commune, on en a retiré 3 000, qui éclairaient des rues où personne ne passait. Là où il y avait des candélabres trop près les uns des autres, on en a retiré un sur deux. On a changé toutes les lampes qui faisaient un éclairage un peu orange et on les a remplacées par des LED. Et à minuit, on baisse de 50% l'intensité. A deux heures du matin, on baisse l'intensité de 75%.
L'année où on a fini les travaux d'éclairage public, on a gagné 500 000 euros sur la facture énergétique. Ces 500 000 euros, on les a pris, on a créé un fonds qu'on appelle le minimum social garanti. Il vient en aide à toutes les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté pour les amener à ce seuil. C'est une mesure écologique et sociale. L'année prochaine, le réseau qui va récupérer de la chaleur sur un site industriel pour chauffer tous les équipements de la ville, va permettre une économie de 250 000 euros par an à la collectivité.
L'écologie, ça ne coûte pas d'argent, ça rapporte de l'argent et ça crée du lien entre les gens.
Damien Carêmeà franceinfo
Et ça, ça fait baisser les incivilités. Par souci d'économie de l'eau potable, sur tous les bâtiments de la ville, les eaux sont collectées dans des cuves enterrées et les agents de la ville viennent pomper dans le puits quand ils arrosent les fleurs ou nettoient la chaussée. On n'utilise plus d'eau du robinet pour cela. Ça nous fait économiser la ressource en eau, qui va être l'une des plus difficiles à gérer dans les années qui viennent. On le voit bien avec un certain nombre de départements qui sont en sécheresse et cela devient de plus en plus inquiétant.
On dit que l'écologie coûte cher, mais qu'est-ce que ça coûte ? Je prends un exemple. J'ai un parlementaire avec moi, le paysan Benoît Biteau. Il a écrit un livre dans lequel il parle d'une étude du Commissariat général au développement durable en France, qui prenait l'exemple d'une salade industrielle à 70 centimes d'euro et d'une salade bio à 1 euro. Mais ce commissariat a estimé [le coût] de ce que l'on appelle les externalités négatives, c'est-à-dire tout ce que génère la culture de cette salade industrielle : les pesticides, les tracteurs et donc le pétrole qu'il faut pour faire tourner. Tout ça, avec la perte de biodiversité, avec le traitement de l'eau, de l'air... La salade industrielle coûte en fait à la société entre 17 et 27 euros et non pas 70 centimes. Mais en fait, on ne le voit pas parce que ces coûts sont collectivisés.
L'écologie, c'est renverser le modèle de calcul. On ne parle plus de PIB quand on parle de bonne santé, de bonne éducation, de bonne culture.
Damien Carêmeà franceinfo
On a plus de 30 000 morts en France à cause du coronavirus. Mais en France, on a chaque année 67 000 personnes qui meurent de la pollution atmosphérique. 67 000 morts par an et on n'en fait pas autant qu'avec le Covid-19. La mort, ça a un coût pour la société. Donc manger sainement, avoir des modes de transport qui n'émettent plus ces micro-particules, ces produits toxiques, va permettre aux gens de bien vivre. La bonne santé a un prix. C'est ça, cette société qu'on appelle un changement radical.
On remarque que l'écologie coûte cher pour les ménages. L'isolation des logements, les voitures plus propres, l'alimentation bio et locale… Vous avez été maire d'une ville où un tiers des foyers vivent sous le seuil de pauvreté, quels sont vos conseils pour éviter la fin du monde sans oublier la fin du mois ?
Il faut des engagements politiques. En matière de déplacements, je prends l'exemple des bus gratuits, c'est un engagement politique. Paris l'annonce pour septembre, pour les moins de 18 ans. C'est un choix. J'espère qu'ils iront plus loin par la suite. Partout en France où il y a eu des expérimentations du transport gratuit, il y a eu des succès. Il y a quelques agglomérations et quelques villes en France qui s'y étaient mises des années auparavant [la perte de revenus est souvent compensée par des impôts ou un changement budgétaire].
L'alimentation de proximité est un peu plus chère, c'est vrai. Mais est-ce qu'avec le même budget d'alimentation, finalement, on ne va pas mieux vivre ? Parce que vous savez, quand on ne fait pas attention à ce qu'on mange, on achète des plats préparés, des choses pas forcément bonnes et des petits à-côtés dont on peut se passer. Si on met des jardins partagés dans les villes pour permettre aux habitants qui n'ont pas beaucoup de moyens de cultiver une partie de leur alimentation, on peut arriver à faire en sorte que tout cela soit accessible à la population.
Les logements sont mal isolés, je suis d'accord avec vous. Il faut un grand plan national et européen d'aide à la rénovation thermique des bâtiments. Il y a des choses qui se décident. Mais à la région Nord-Pas-de-Calais, à l'époque, on avait un plan de rénovation de 100 000 logements qui a été supprimé par le nouveau président de région. Et c'est une catastrophe parce qu'il ne faut pas que les gens tombent malades. S'ils chauffent, ils ont des factures énergétiques qui plombent leur budget.
Les scores des élus et des listes écologistes ont connu une hausse progressive ces dernières années, en Europe et en France. Pensez-vous qu'une candidate ou qu'un candidat écologiste pourrait être l'arbitre de l'élection présidentielle de 2022 ?
Je le souhaite vivement, pas qu'il ou elle soit l'arbitre mais gagne l'élection présidentielle, même si le système présidentiel de cette Ve République est un vrai piège. On voit bien ce qui va se passer et ce à quoi joue le président de la République aujourd'hui. Il investit complètement la droite pour être le candidat de la droite contre l'extrême droite au second tour. Pour cela, on a besoin de rassembler toutes les forces qui se reconnaissent dans cette nouvelle société écologique.
Alors, "gauche-droite", c'est peut-être un peu daté. J'ai discuté notamment avec des jeunes à un festival auquel je participais, Les Pluies de Juillet, en Normandie, [le week-end du 24 au 26 juillet 2020]. Ce qu'ils veulent, c'est une société qui leur assure un avenir. C'étaient des jeunes étudiants qui disent : "Je me demande si je vais continuer des études parce que de toute manière, je ne sais pas si je vais aller travailler un jour dans la société dans laquelle on est."
L'économie est pour moi au second rôle, parce qu'en fait, aujourd'hui – c'est Dominique Bourg qui dit ça – les politiques ont laissé le pouvoir à l'économie et ne sont plus que dans la posture. C'est l'économie qui fait l'autorité. Et il faut qu'on inverse ce paradigme-là.
Ce n'est pas l'économie qui doit dicter comment la société doit vivre. C'est vraiment le politique, celui qui, au sens étymologique du terme, doit gérer la cité. C'est lui qui doit donner l'impulsion.
Damien Carêmeà franceinfo
Pour cela, on a besoin de rassembler des hommes et des femmes qui se reconnaissent dans cette voie-là, c'est-à-dire qu'on ne soit plus des productivistes, que l'on sorte des pièges dans lesquels on est depuis un certain nombre d'années, que l'on sorte de ce système de la croissance, du PIB et que l'on propose une société alternative qui demandera aussi des efforts à nos concitoyennes et concitoyens, mais qui ne seront jamais des efforts aussi traumatisants que ce qu'on vient de vivre avec le confinement, avec les masques généralisés partout et avec cette distanciation sociale – ce mot est abominable.
C'est plus qu'un arbitre qu'il faut, c'est réellement mettre [un candidat écologiste] au pouvoir. Alors, il y a cette présidentielle et il y a un piège : l'homme ou la femme providentielle, qui pour moi n'existe pas. Je rêve d'un président ou d'une présidente qui soit comme en Allemagne, où on ne le connaît même pas. Ce n'est pas lui qui fait la politique. Je rêve d'une Assemblée qui délibère avec un gouvernement qui applique ses décisions. Et ça, c'est la vraie démocratie telle que je la respecte, qui associe les citoyens à tout ça, qui prend des orientations fortes, qui accompagne les plus démunis de notre pays et non les plus nantis de notre société.
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