Covid-19 : entre points-presse et médecins stars, comment nos voisins européens sont-ils informés des mesures sanitaires ?
Alors que le gouvernement français doit annoncer de nouvelles mesures contre l'épidémie de Covid-19 dans les prochains jours, franceinfo s'est penché sur les stratégies de communication des dirigeants européens.
Rumeurs, consultations ministérielles et allocution présidentielle. En France, l'annonce d'un confinement face à la propagation du Covid-19 suit le même schéma depuis le début de la crise sanitaire. Lorsque l'évolution des mesures est moins stricte, l'option d'une conférence de presse de Jean Castex, entouré d'une poignée de ministres, est privilégiée. Pour ce qui est des chiffres de l'épidémie, le point-presse quotidien des autorités sanitaires a été remplacé par un communiqué détaillé. Qu'en est-il chez nos voisins ? Petit tour d'Europe des annonces gouvernementales relatives à la crise du coronavirus.
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De l'autre côté de la Manche, les Britanniques se sont habitués à ce rendez-vous. Deux à trois fois par semaine, à 17 heures, Downing Street organise un point-presse sur l'évolution de l'épidémie et des mesures sanitaires. Un exercice assuré, graphiques à l'appui, en duo ou en trio : un ministre accompagné d'un ou deux responsables sanitaires.
Des points-presse quasi quotidiens
Le Premier ministre, Boris Johnson, et le ministre de la Santé, Matt Hancock, se succèdent ainsi derrière un pupitre aux inscriptions tape-à-l'œil, en lettres capitales noires sur fond jaune et rouge : "Stay home, protect the NHS, save lives" ("Restez à la maison, protégez le système de santé, sauvez des vies").
Watch today's coronavirus press conference live on our channels at 5pm. pic.twitter.com/3IuMejTO37
— UK Prime Minister (@10DowningStreet) January 26, 2021
Instaurées en mars, ces conférences de presse, retransmises à la télévision et sur les réseaux sociaux, se tenaient initialement tous les jours, avant de devenir plus ponctuelles, à partir de juin, selon The Independent*. Depuis décembre et la découverte d'un nouveau variant au Royaume-Uni, leur rythme s'est à nouveau "nettement intensifié", constate Matthieu Boisseau, correspondant de France Télévisions à Londres.
En Italie, lors de la première vague qui a durement touché le pays, le chef de la protection civile, Angelo Borrelli, présentait chaque jour un bilan sanitaire très suivi. Ses interventions sont désormais moins fréquentes et plus rarement diffusées par les chaînes d'informations, rapporte Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Rome.
De rares allocutions solennelles
En Belgique, l'infectiologue et porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19, Yves Van Laethem, présente, plusieurs fois par semaine, des points de situation épidémique. Mais ce sont surtout les conférences de presse du Premier ministre, Alexander De Croo, qui sont scrutées, à chaque sortie du comité de concertation, l'équivalent belge du conseil de défense sanitaire. Le comité, qui réunit politiques et responsables sanitaires, se tient "à peu près toutes les deux semaines", décrit Julien Gasparutto, correspondant de France Télévisions à Bruxelles.
La conférence de presse reste ainsi le format privilégié. A l'inverse, l'exercice de l'allocution solennelle du président de la République, auquel Emmanuel Macron s'est adonné six fois depuis le début de l'épidémie, est moins courant chez nos voisins. En Italie, la primeur de l'annonce des grandes mesures est réservée au président du Conseil, Giuseppe Conte, dont la communication s'est ajustée au fil de l'épidémie. Les allocutions ont laissé la place à des conférences de presse. "Giuseppe Conte prenait parfois la parole après minuit, pour annoncer des mesures effectives dès le lendemain matin à neuf heures", se souvient Alban Mikoczy.
Certains italiens qui n'avaient pas suivi l'intervention nocturnes n'étaient donc pas au courant des règles applicables à leur réveil.
Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Romeà franceinfo
Aux Pays-Bas, le Premier ministre, Mark Rutte, s'est récemment prêté à l'exercice de la déclaration formelle, en annonçant un confinement national, mi-décembre, depuis son bureau à La Haye. Dans ce pays attaché aux libertés individuelles, le dirigeant a annoncé ce tour de vis dans "un message empreint d'une inhabituelle solennité (…) prononcé depuis un lieu que les chefs de gouvernement réservent aux situations de véritable crise", souligne Le Monde (article payant). Outre-Manche, Boris Johnson a également officialisé, lundi 4 janvier, l'instauration d'un nouveau confinement, lors d'une déclaration depuis Downing Street. Un format d'intervention "extrêmement rare", souligne le journaliste Matthieu Boisseau.
Des régions plus impliquées dans les décisions
Ces allocutions sont tout aussi exceptionnelles en Allemagne. En mars, Angela Merkel s'est ainsi adressée à ses concitoyens pour évoquer "le plus grand défi" du pays "depuis la Seconde Guerre mondiale". Sa première intervention de crise en quinze ans à la Chancellerie. "C'est la seule fois [au cours de la crise sanitaire] où elle s'est montrée un peu lyrique", analyse Laurent Desbonnets, correspondant de France Télévisions à Berlin.
L'Allemagne n'est pas un pays où le président décide de tout. C'est certainement pour ça qu'Angela Merkel ne multiplie pas les déclarations solennelles.
Laurent Desbonnets, correspondant de France Télévisions à Berlinà franceinfo
En Allemagne, où le pouvoir est partagé entre le niveau fédéral et celui des Länder, un mot résume la gestion de la crise sanitaire : la concertation. Les décisions sont prises "en commun", souligne Laurent Desbonnets, lors de sommets entre Angela Merkel et les représentants des 16 Länder. Ces derniers bénéficient d'importantes prérogatives, y compris en matière sanitaire. "La Bavière a imposé le masque FFP2, mais pas le reste de l'Allemagne", illustre le correspondant de France Télévisions. De l'extérieur, une sorte de "cacophonie" peut sembler régner, mais la situation "n'est pas vécue comme telle par les Allemands", habitués à ce fonctionnement politique, note le journaliste.
En Italie, les règles sanitaires varient également d'une région à l'autre. Le pays compte "un équivalent du ministre de la Santé" pour chaque région, relève Alban Mikoczy. Ces responsables détaillent les annonces sanitaires sur les chaînes télé et radios locales, ou via des communiqués. Même fonctionnement en Espagne, "pays très décentralisé", note Mathieu de Taillac, correspondant à Madrid pour Radio France.
Le gouvernement central pose un cadre légal par décret, et les régions peuvent moduler les mesures.
Mathieu de Taillac, correspondant à Madrid pour Radio Franceà franceinfo
Les régions y disposent d'une bonne marge de manœuvre et "peuvent par exemple annoncer la fermeture des bars et des commerces", détaille Mathieu de Taillac. Elles n'ont cependant pas la possibilité d'étendre la durée du couvre-feu généralisé, qui ne peut commencer avant 22 heures et doit obligatoirement se terminer à 6 heures du matin.
Les réseaux sociaux sollicités
Outre les canaux de communication traditionnels, l'épidémie de Covid-19 a donné l'occasion à certains dirigeants européens d'accroître leur présence sur les réseaux sociaux. Sur son compte Instagram suivi par 366 000 abonnés, le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a par exemple lancé un appel à participer au dépistage massif organisé dans le pays, en décembre.
Voir cette publication sur Instagram
Angela Merkel évoque régulièrement la situation sanitaire du pays dans une vidéo hebdomadaire publiée sur son compte Instagram, qui rassemble 1,6 million d'abonnés (celui d'Emmanuel Macron en affiche 2,2 millions). Déjà très présent sur les réseaux sociaux avant la pandémie, Boris Johnson relaie régulièrement les dernières mesures en vigueur sur Twitter. En vidéo, il répond également aux questions de citoyens Britanniques.
Quant à la fréquence des annonces chez nos voisins européens, l'évolution de la situation sanitaire, semble, comme en France, donner le tempo. A la mi-janvier, la chancelière allemande s'est concertée en urgence avec les dirigeants des Länder, en vue d'un nouveau tour de vis. Une réunion initialement programmée pour la fin du mois, mais avancée face aux craintes liées aux nouveaux variants.
Au Royaume-Uni, le rythme des décisions est "difficile à anticiper", concède Matthieu Boisseau. L'instauration d'un confinement en Angleterre, début janvier "n'était pas le plan" du gouvernement, raconte BBC News*. L'annonce de Boris Johnson a en partie été précipitée par la décision de son homologue Nicola Sturgeon, d'instaurer un confinement total en Ecosse.
Boris Johnson a toujours attendu de subir la pression politique et scientifique pour prendre des mesures.
Matthieu Boisseau, correspondant de France Télévisions à Londresà franceinfo
Les gouvernements européens doivent également composer avec les fuites – plus ou moins volontaires – dans les médias. Au Royaume-Uni, comme en France, les mesures circulent "tout le temps" dans la presse avant les annonces officielles, témoigne Matthieu Boisseau. A l'automne, la décision d'un confinement en novembre, prise lors d'une réunion ministérielle en comité restreint, avait été dévoilée quelques heures après dans les médias. Boris Johnson avait alors été contraint d'officialiser la mesure dans la foulée, "bien que de nombreux détails soient encore en cours de finalisation", rapporte le Daily Mail*.
Ces fuites sont beaucoup moins fréquentes en Allemagne et en Italie, où la dernière indiscrétion politique concernait le reconfinement du pays pour les fêtes de fin d'année, une rumeur confirmée par Giuseppe Conte lors de son allocution du 18 décembre dernier.
Des médecins devenus des stars
Partout en Europe, la crise sanitaire et son lot d'annonces ont également fait apparaître de nouveaux visages publics. En France, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, est ainsi devenu l'une des figures de la lutte contre le Covid-19. Côté italien, l'uniforme bleu nuit et la mine austère d'Angelo Borrelli sont connus de tous. Outre-manche, Chris Whitty, médecin chef pour l'Angleterre est de toutes les conférences de presse. L'épidémiologiste a aussi incarné plusieurs spots télé de prévention, et est devenu "plus célèbre que Britney Spears" pour certains, comme l'a rapporté BBC News*.
L'Espagne a elle aussi trouvé son "monsieur Covid", en la personne de Fernando Simón, directeur du Centre de coordination des urgences sanitaires du ministère de la Santé, rapporte Mathieu de Taillac. Son regard perçant et son ton pédagogique ont "rassuré, voire séduit les Espagnols", observe le journaliste. Le quinquagénaire à la voix rauque s'est également illustré en faisant la couverture d'un magazine, vêtu d'un blouson de motard, ou en participant à une émission populaire de défis sportifs, en octobre 2020, "ce qui a fait bondir l'opposition espagnole", relève Mathieu de Taillac.
Ces responsables ont inspiré quantité de photomontages, de vidéos humoristiques, mais aussi de produits dérivés. Tasses, masques et thermos à l'effigie de l'imperturbable Chris Whitty se vendent outre-Manche. De quoi imaginer des serviettes de plage Jérôme Salomon sur le littoral français cet été ? La tendance traverse en tout cas les frontières. En Espagne, le visage du docteur Fernando Simón a été imprimé sur des t-shirts et des sacs, comme l'a relevé Euronews. Le médecin a réagi avec le sourire, suggérant tout de même qu'une partie des bénéficies des ventes soit "reversée à des ONG".
*Les liens marqués d'un astérisque renvoient vers des articles en anglais.
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