Etats-Unis : les "fêtes Covid-19", destinées à transmettre volontairement le virus, existent-elles vraiment ?
Des rumeurs font état de "fêtes" durant lesquelles les participants chercheraient à s'infecter volontairement. Mais rien n'indique qu'elles existent, à l'image des "grippes parties" en 2009 lors de l'épidémie de grippe A (H1N1), qui reposaient sur de fausses informations.
Des fêtes en pleine épidémie de Covid-19 ? Depuis plusieurs semaines, les rumeurs se multiplient autour de possibles "coronavirus parties", selon leur appellation en anglais. L'objectif pour les participants : inviter des personnes porteuses du virus pour s'infecter volontairement. Le 1er juillet, c'est la ville de Tuscaloosa, dans l'Alabama, dans le sud-est des Etats-Unis, qui a attiré l'attention de la chaîne américaine ABC News*, alors que le pays compte 128 677 morts du Covid-19.
Une conseillère municipale, Sonya McKinstry, rapporte dans cette interview que des étudiants de la ville auraient organisé de telles "fêtes" avec une récompense à la clé pour le premier infecté : "Ils achetaient des billets pour venir à la fête et ensuite ils invitaient quelques étudiants testés positifs [au coronavirus]." Quiconque attrapait le virus en premier "gagnait alors l'argent" de la vente des billets, affirme la conseillère. Une histoire relayée par la chaîne américaine CNN* et diffusée dans d'autres médias comme Le Point, et qui fait écho à d'autres rumeurs diffusées durant l'épidémie. Qu'en est-il réellement ?
Un manque de sources
Des étudiants américains ont-ils vraiment organisé de telles fêtes pour s'infecter volontairement en dépit du danger de cette maladie ? Comme le rapporte l'agence américaine Associated Press*, le chef des pompiers de la ville, Randy Smith, n'a confirmé qu'une partie du récit auprès du conseil municipal.
"Nous avons vu persister ces dernières semaines dans le comté (...) des fêtes auxquelles se rendent des étudiants ou des enfants en se sachant positifs [au Covid-19], explique le pompier. Nous pensions au départ que c'était une sorte de rumeur. (...) Non seulement les cabinets de médecins nous ont aidés à confirmer [ces faits] mais l'Etat [de l'Alabama] détenait aussi la même information."
A aucun moment le pompier ne fait état d'un quelconque "concours" pour récompenser le premier infecté, ni même d'une volonté des participants d'être atteints par le Covid-19.
D'autres doutes subsistent autour de ces "fêtes", précise la même dépêche : aucun établissement scolaire n'est cité par les deux représentants, notamment celui de l'université de l'Alabama, dont pourraient provenir les participants de ces fêtes. Le 2 juillet, l'établissement a même publié un communiqué*, affirmant avoir "eu connaissance de rumeurs autour de 'Covid parties' depuis des semaines". Après "une enquête approfondie", l'université explique qu'elle "n'a pas été en mesure d'identifier des étudiants qui auraient participé" à de tels rassemblements.
Dans un autre communiqué relayé par les chaînes locales WVUA* et WBRC*, le département de la Santé publique de l'Alabama a affirmé qu'il ne pouvait "vérifier si une ou plusieurs fêtes avaient réellement eu lieu et si des personnes étaient effectivement présentes à ces fêtes [en étant porteuses du coronavirus]." Il a même ajouté n'avoir identifié "aucun cas de Covid-19" lié épidémiologiquement à une ou plusieurs fêtes. Le conseil municipal ainsi que les pompiers de la ville se sont par ailleurs abstenus, depuis, de commentaires auprès des médias locaux.
Les mêmes rumeurs dans d'autres Etats
Pour le magazine américain Wired*, ces "fêtes Covid-19" où les participants souhaiteraient s'infecter volontairement ne sont rien d'autre que des rumeurs. Celles-ci seraient colportées depuis plusieurs semaines à travers les Etats-Unis, analyse le mensuel : au mois de mars, le gouverneur du Kentucky avait annoncé qu'une personne avait été contaminée après avoir participé à une "coronavirus party". Mais comme le souligne le Washington Post*, l'expression elle-même n'avait pas été explicitée : "L'expression utilisée par le gouverneur s'applique probablement à tout événement assimilé à une fête qui a lieu" pendant l'épidémie et où les participants se trouvent "dans des espaces confinés", conclut le quotidien.
En avril, l'épidémiologiste Greta Bauer a alerté sur les "rumeurs" qui circulaient autour de fêtes où les participants cherchaient à s'infecter volontairement. L'objectif des "fêtards" ? Acquérir une hypothétique immunité contre la maladie, un raisonnement qui ferait aussi écho au concept d'immunité collective, rappelle la chercheuse au New York Times*. Cette notion signifie qu'une population peut être immunisée collectivement si une certaine proportion est infectée par le virus – mais les avis des scientifiques divergent autour de cette question, notamment autour de la part de la population qui permet d'atteindre l'immunité collective. Pour l'épidémiologiste, chercher à s'infecter volontairement est "une idée vraiment affreuse", écrit-elle avant de lister sept bonnes raisons de ne pas participer à de telles "fêtes".
Le 6 mai, les autorités de l'Etat américain de Washington (nord-ouest du pays) ont également alerté* sur l'existence de supposées "fêtes Covid-19" dans le comté de Walla Walla, rapporte France 24. Pourtant, le lendemain, les autorités du comté sont revenues sur leurs affirmations, affirmant qu'à la lueur de nouveaux renseignements "il n'y avait pas eu de 'Covid parties' intentionnelles", a relayé l'agence Associated Press*.
Si ces exemples de "fêtes" semblent donc n'être que des rumeurs, il est certain que des rassemblements ont eu lieu durant l'épidémie au mépris des risques sanitaires. Le 1er juillet, le New York Times* a rapporté que près d'une centaine de personnes s'étaient réunies le 17 juin dans le comté de Rockland (Etat de New York) pour une fête en violation des restrictions sur les rassemblements. L'hôte, qui présentait alors des symptômes, a par la suite été testé positif, de même que huit convives. Les autorités ont depuis menacé huit participants d'une amende de 2 000 dollars s'ils ne coopéraient pas avec elles pour connaître le nom des autres convives, rapporte le quotidien.
Des "fêtes" similaires pour d'autres virus ?
Ce n'est pas la première fois que des fêtes se retrouvent mêlées à des infections volontaires. A l'occasion de "fêtes de la varicelle" (en anglais, "chickenpox parties"), des parents exposeraient volontairement leurs enfants non immunisés à la varicelle en organisant des "fêtes" chez un jeune malade, en espérant qu'ils contractent la maladie (afin que les enfants soient, ensuite, immunisés lorsqu'ils seront adultes). Une pratique qui semble plutôt relever aujourd'hui de la légende urbaine, et à laquelle s'oppose fermement le Centre de contrôle et de prévention des maladies* américain, citant les potentielles complications de la varicelle et encourageant plutôt les parents à faire vacciner leurs enfants.
En 2009, la grippe A (H1N1) s'était elle aussi invitée dans des "fêtes" similaires au Royaume-Uni, rapportaient la BBC* et Le Journal du dimanche. Une rumeur née d'une chronique tronquée d'une adolescente dans le quotidien britannique The Independent, alertait alors Libération : "A ce jour, nul n'a pu apporter la preuve qu'une seule de ces 'grippe parties' ait jamais eu lieu", soulignait la correspondante à Londres du quotidien. Le média de fact-checking Snopes* est également revenu sur de supposées "fêtes de la rougeole" qui auraient eu lieu en 2015 en Californie sur le même principe. Là aussi, aucune preuve formelle n'atteste de leur existence.
Un autre virus, et non des moindres, est au centre de rumeurs du même type : le VIH. Comme le rapporte le documentaire américain The Gift, sorti en 2003 et réalisé par Louise Hogarth, des hommes appelés "bugchasers" chercheraient à avoir des relations sexuelles non protégées avec des hommes séropositifs, les "gift givers", résume la réalisatrice sur le plateau de CNN*. En 2006, le journaliste Ricky Dyer, auteur d'une émission sur la séropositivité pour la BBC*, expliquait que de prétendues "fêtes de conversion" qui avaient lieu pour permettre ces contaminations n'étaient, dans l'ensemble, que "de la pure fantaisie" amplifiée par internet, et qui risquait de donner "de mauvaises idées aux jeunes hommes gays mal informés". Mais selon plusieurs témoignages recueillis en 2018 par le média The Conversation*, le "bugchasing" en tant que tel serait bel et bien une pratique avérée, mais très marginale.
*Ces liens renvoient vers un article en anglais.
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