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Confinement : "On ne peut pas laisser les maires agir comme des shérifs" estime Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des Droits de l’Homme

L'avocat de la Ligue des Droits de l'Homme Patrice Spinosi estime sur franceinfo que les maires "n’ont pas le pouvoir de rendre plus contraignantes les mesures du confinement". Pour lui, c'est à l'Etat de prendre ce type de décisions.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
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Patrice Spinosi, avocat, le 22 mars 2016 (THOMAS SAMSON / AFP)

"On ne peut pas laisser les maires agir comme des shérifs pour décider de ce qui doit être fait à l’égard des citoyens", déclare ce jeudi sur franceinfo Me Patrice Spinosi, avocat qui représente la Ligue des Droits de l’Homme, alors que le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a demandé aux préfets de "retirer les arrêtés" pris par des maires pour rendre obligatoire le port de masque dans la rue. Ce jeudi, c’est la justice administrative, par l’intermédiaire du tribunal de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), qui a suspendu l’arrêté de la ville de Sceaux (Hauts-de-Seine).

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Également avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, spécialiste des libertés publiques, Me Spinosi considère que "le port du masque dans le cadre du déconfinement n’a vocation qu’à être engagé uniquement lorsqu’il sera ordonné nationalement par le gouvernement, et non pas par une autorité locale".

franceinfo : Êtes-vous d’accord avec la demande de Christophe Castaner de retirer les arrêtés de port de masques pris par les maires ?

Me Patrice Spinosi : Oui, ils ne doivent pas être maintenus. Les maires n’ont pas le pouvoir de rendre plus contraignantes les mesures du confinement. Cela appartient au gouvernement et à lui seul. On ne peut pas laisser les maires comme des shérifs décider chacun dans leur ville de ce qui doit être fait à l’égard des citoyens. On touche là aux limites de leur pouvoir de police.

Ce qui pose problème, c’est donc l’échelon dans lequel ces décisions ont été prises ?

Il y a un double problème. On voit bien que décider d’un confinement plus strict ou d’imposer de porter des masques dans l’espace public est une atteinte, voire même une restriction de nos libertés. Or, la décision de restreindre nos libertés peut être admise lorsque deux critères entrent en jeu : si elle est prise par une autorité légitime, ce qui n’est pas le cas ici ; et ensuite, elle doit être strictement proportionnée, ce qui n’est, là, pas non plus le cas. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en considérant que l’atteinte qui était portée à l’ensemble des habitants de Sceaux était disproportionnée à la nature de l’avantage qui pouvait être tiré du port du masque.

Pour Christophe Castaner, il n’y a pas de preuve médicale ou scientifique que le port du masque puisse être efficace. Trouveriez-vous légitime, si la communauté médicale proclame l’obligation du port du masque, que de tels arrêtés municipaux soient pris ?

Pas forcément, en tout cas certainement pas si ces arrêtés sont pris par des maires. Le port du masque dans le cadre du déconfinement n’a vocation qu’à être engagé uniquement lorsqu’il sera ordonné nationalement par le gouvernement, et non pas par une autorité locale. Ensuite, il faudra que des magistrats administratifs puissent juger si oui ou non cette restriction est bien proportionnée, si le port du masque dans l’espace public pour tout le monde est une nécessité ou pas. Ces questions restent en suspens et seront jugées le cas échéant.

Les restrictions de circulation, notamment pour les joggeurs, sont-elles également attentatoires à nos libertés ?

C’est certainement attentatoire lorsque la décision est prise par un maire. Mais pas lorsque c’est le préfet qui intervient, soit l’autorité qui représente l’État. Nous, avocats, avions par exemple attaqué l’arrêté pris par la ville de Sanary-sur-Mer qui avait proposé un confinement qui interdisait aux personnes de se déplacer à plus de dix mètres de leur domicile. Dix mètres ! On voit bien là le danger de certaines dérives, celles où les maires sont susceptibles de décider dans le ressort de leur municipalité d’atteintes extrêmement graves à la liberté des citoyens. Dans ces conditions, ça n’est évidemment pas envisageable.

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