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Témoignages
"Quand je sors de ma voiture, trois mecs me tombent dessus et me rouent de coups" : victimes de guets-apens homophobes, ils racontent leurs traumatismes au quotidien
Derrière les chiffres des agressions, il y a la réalité des témoignages des victimes. Dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie le 17 mai, l'association SOS Homophobie révèle avoir recensé une agression physique tous les deux jours en France contre un membre de la communauté LGBT+. Les victimes des agressions tombent parfois dans des guets-apens, dont ils portent des mois, voire des années après, les stigmates physiques ou psychologiques.
C'est ce qui est arrivé à Kevin, en 2019, et qui le poursuit encore. À l'époque, il a 32 ans et se met à discuter en ligne avec un autre jeune homme : "On s'est rencontrés sur un site qui n'était même pas un site gay d'ailleurs, on est passés très vite sur Snapchat. Et on décide de se rencontrer trois jours plus tard", raconte-t-il à franceinfo. Le rendez-vous a lieu un soir, après minuit : ce garçon prétend en effet travailler dans un restaurant. Kevin se rend alors à Drancy, en Seine-Saint-Denis. Le piège se referme alors : "Quand je sors de ma voiture, trois mecs me tombent dessus. Je me prends des coups de poing et des coups de pied... C'est comme je le dis, moi : ils voulaient casser du pédé. C'est une activité comme une autre, apparemment", glisse-t-il.
"J'étais tétanisé"
Lors de cette agression, Kevin prend même un coup de couteau qui lui perfore le poumon, dont il mettra des mois à s'en remettre physiquement. Il garde aujourd'hui encore un traumatisme au quotidien. "Aujourd'hui, je n'arrive plus à prendre le métro par exemple", confie-t-il. Avant d'ajouter : "Je me suis retrouvé bloqué dans un magasin au rayon surgelés parce qu'un monsieur parlait tout seul et je me suis dit 'il est fou, il peut faire n'importe quoi'. J'étais tétanisé, je ne pouvais pas bouger. Ce sont des situations où je me dis qu'il y a quelqu'un qui peut arriver, me mettre un coup de couteau et partir".
Conséquence indirecte de son agression, Kevin a perdu son travail et vit au RSA. Quatre ans après les faits, ses agresseurs ont été condamnés et ont même déjà effectué leur peine. Mais Kevin, lui, attend toujours d'être indemnisé.
Car face à ce type d'agressions, la justice n'est pas toujours au rendez-vous : en plus des lenteurs liées au manque de moyens de certains tribunaux, comme c'est le cas pour Kevin à Bobigny, par exemple, parfois la circonstance aggravante d'homophobie n'est pas toujours retenue. "Lorsqu'il s'agit d'homophobie, on peut toujours discuter de ce qu'il y avait dans la tête de l'agresseur, et c'est pour ça que le parquet, parfois, ne reconnaît pas cette circonstance aggravante dès lors que cela prête à discussion", confirme l'avocat Etienne Deshoulières dont le cabinet gère en ce moment 90 dossiers sur des agressions homophobes.
"Une victime de guet-apens toutes les semaines en France"
C'est aussi ce qu'il s'est passé pour Stéphane, 47 ans, victime en novembre 2022 d'un guet-apens à la sortie d'une boite de nuit gay à Poitiers : un groupe d'hommes le tabasse après être venu le repérer sur la piste de danse. Dès son dépôt de plainte au commissariat de police, il raconte : "L'enquêtrice est partie sur 'violences en réunion' et 'vol de portable', parce qu'ils m'ont piqué mon portable. Ils m'auraient dit 'Sale pédé ! Sale homo !' Là, ça aurait été de l'homophobie. Mais, là, tu racontes tout et ce n'est même pas reconnu quoi !", regrette-t-il.
Sur cet aspect du problème, les associations, notamment SOS Homophobie, appellent à une meilleure formation des autorités sur ces sujets et souhaitent que le gouvernement encourage les juges à reconnaître plus systématiquement cette circonstance aggravante d'homophobie lors d'agressions.
S'il n’existe pas de statistiques officielles sur la fréquence de ces actes, des associations tentent un travail de recensement. C’est aussi ce qu’a fait Nicolas Scheffer, journaliste au magazine Têtu. Il s’est lancé dans ce travail de documentation en consultant la presse quotidienne régionale sur trois ans. "On s'est lancé dans un travail assez fastidieux pour aller repérer le maximum d'articles qui faisaient état de guet-apens, par mots-clés, sur les sites de 14 titres de PQR. On est alors tombé sur ce chiffre d'une victime toutes les semaines en France", détaille-t-il. Le chiffre d'un cas de guet-apens homophobe par semaine en France est éloquent, alors même que l'enquête n'est pas exhaustive. Le phénomène est donc nécessairement sous-évalué.
Afin de minimiser les risques, associations et presse spécialisée rappellent régulièrement des lignes de bonne conduite et de prudence lors de rencontres avec des inconnus, qui tiennent souvent en quelques conseils.
"Prévenir un ami qu'on va voir quelqu'un et donner l'heure de retour envisagée, ou bien rencontrer pour la 1re fois une personne dans un lieu public, voire d'envoyer sa géolocalisation par exemple sur WhatsApp, c'est très simple..."
Nicolas Scheffer, journalisteà franceinfo
Enfin, le ministère de l'Intérieur va demander aux préfets de cartographier les actes anti-LGBT dans une trentaine d'agglomérations, pour que les patrouilles des forces de l'ordre soient ensuite mieux gérées. C'est la seule mesure concrète, présentée cette semaine par le gouvernement, pour lutter précisément contre ces pièges tendus aux homosexuels.
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