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"Les trottinettes, c'est le truc le plus romantique" : avant le référendum à Paris, le lobbying des opérateurs qui les proposent en libre-service

Dimanche, la maire de Paris organise une "votation citoyenne" pour décider si elle interdit ou non les trottinettes électriques en libre service dans la capitale. Pour influencer le vote, les opérateurs des trottinettes ont engagé un grand plan de lobbying.
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les Parisiens sont appelés à voter dimanche 2 avril pour se prononcer sur l'existence des trottinettes en libre-service à Paris. (VALERIE DUBOIS / HANS LUCAS)

"Pour ou contre les trottinettes en libre-service à Paris ?" c’est la question à laquelle les Parisiens sont appelés à répondre dimanche 2 avril dans certains bureaux de vote de la capitale. Un référendum local voulu par la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, sur les 15 000 trottinettes en libre-service de la capitale qui a été l'objet d'une bataille sans merci et d'un lobbying parfois limite de la part des grands opérateurs de trottinettes qui ont beaucoup à perdre.

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Depuis qu'Anne Hidalgo a annoncé en janvier dernier la tenue de cette votation citoyenne, les trois grands noms de la trottinette à Paris, l'américain Lime, l'allemand Tier et le franco néerlandais Dott ont uni leurs forces pour déjouer les pronostics qui les voient perdants dans ce drôle de référendum. Depuis janvier, leur cible, c'est les 18-35 ans qui représenteraient 70% de leur clientèle. Les trois opérateurs financent, depuis un mois et demi, une vaste campagne de communication sur Facebook, Snapchat et Instagram sur le thème : "Ne laisse pas les boomers décider pour toi". Un site web "trottinonsmieux.com" a été lancé, des mails ciblés sont envoyés, des éléments de langage pour communiquer sur les réseaux sont utilisés derrière le hashtag #SauveTaTrott.

Appel aux influenceurs

À la fin du mois de février, Lime échange dix minutes gratuites contre une preuve d'inscription sur les listes électorales. Au début de la dernière semaine de mars, tandis que l'Assemblée nationale commence à parler de la régulation des influenceurs, une dizaine de tiktokeurs et d'instagrameurs, dont certains sont suivis par plus d'un million d'abonnés, postent en même temps des messages de ce genre : "Les trottinettes, c'est le truc le plus romantique. Dans une semaine, les amis, il faut aller voter pour sauver les trottinettes. Allez voter pour que je continue à pécho". Ou encore : "Alerte catastrophe! Je vais t'expliquer comment tu vas m'aider. La mairie de Paris a envie d'interdire les trottinettes électriques en libre service dans toute la capitale, c'est pas cool. Les trotts électriques, c'est vraiment pas cher. Les prix sont vraiment vraiment hyper attractifs."

"On aurait acheté une page d'un journal, ça aurait été la même chose."

Maggy Gerbeaux, directrice des Affaires publiques chez Dott 

à franceinfo

Mardi 28 mars, tous ces influenceurs ont fini par mentionner sous leurs vidéos “partenariat rémunéré” car évidemment les trois opérateurs de trottinettes sont derrière cette campagne-éclair, qu’assume totalement Maggy Gerbeaux. La directrice des Affaires publiques chez Dott rappelle que le scrutin a lieu un jour de marathon sur seulement 21 lieux de vote, sans vote électronique ni procuration : "Les réseaux sociaux, Instagram, Tik Tok, pour moi, ce n'est pas de l'agressivité, c'est de la communication. Aujourd'hui, c'est comme ça qu'on communique. En fait, il n'y a rien de caché, ce sont des contenus sponsorisés, on a le droit de le faire. On a juste fait une communication qui parle aux gens qui utilisent nos trottinettes."

"On est à la limite de l'achat de vote"

"Il y a une zone grise, dans l'usage qu'on peut faire de ces influenceurs ou en tout cas de cette forme de lobbying auprès des plus jeunes. Et moi, ça m'interroge", réagit David Belliard, l'adjoint aux mobilité à la Ville de Paris. Et de quoi irriter un peu plus celui qui est à l'origine de la votation, les opérateurs annoncent aussi une journée trottinette gratuite pour aller voter dimanche. "On est à la limite de l'achat de vote", affirme l'élu écologiste : "Là, on voit que lorsqu'on a affaire à des intérêts particuliers très forts, avec beaucoup d'argent, cet argent est massivement utilisé avec l'achat de votes. Donc on voit bien qu'il y a une zone d'ombre". Ce référendum inédit à Paris est toutefois supervisé par une commission de contrôle indépendante.

Les opérateurs des trottinettes ne sont pas restés passifs face à ce vote. Car si le vote "contre" l'emporte, Lime, Dott et Tier devraient retirer des rues ses 15 000 trottinettes utilisées chaque mois par 400 000 usagers. Le vote "contre" menacerait aussi 800 emplois rien qu'à Paris affirment les opérateurs. Erwann Le Page est directeur des affaires publique chez Tier qui a compté quatre millions de trajets l’an dernier à Paris : "Aujourd'hui, nous voulons structurer nos acquis sur les 600 villes dans lesquelles nous sommes. Paris a un leadership là dessus, c'est une ville symbolique. Ce serait une décision plutôt à contre courant. Nous sommes à Lyon, Londres, Rome, Madrid, Washington qui vient d'augmenter sa flotte de trottinettes. Maintenant, le courant est lancé. Les villes ne retournent pas en arrière." Derrière le calme apparent, c’est pourtant bien l’incertitude qui règne parmi ces trois startup qui ne sont pas habituées à laisser leurs intérêts entre les mains du hasard. Pour eux, la chasse aux voix se déroulera jusqu'au dernier moment.

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