"On ne peut pas accepter qu'on nous prenne notre liberté" : aux Pays-Bas, le couvre-feu est le déclic d'un rejet violent du gouvernement
Les Pays-Bas ont connu trois nuits d'émeutes depuis l'instauration d'un couvre-feu entre 21 heures et 4h30. Le gouvernement a toutefois annoncé qu'il le maintiendrait au moins jusqu'au 9 février.
Le calme semble revenu aux Pays-Bas après trois nuits de violentes émeutes qui ont secoué le pays depuis l'instauration d'un couvre-feu samedi. Plusieurs villes avaient accordé des pouvoirs supplémentaires aux forces de l'ordre après un nouvel appel sur les réseaux sociaux à manifester mardi 26 janvier au soir contre le couvre-feu, notamment à Rotterdam.
La police néerlandaise a quadrillé tout un quartier populaire au sud de la ville : canons à eau, police montée pour éviter la casse et les pillages. Dans la rue, des petits groupes de jeunes se formaient encore à la tombée de la nuit, prêts à en découdre. Il y a eu plus d'une trentaine d'arrestations à Rotterdam.
Les habitants, eux, ont encore en tête les scènes d'émeutes : "Ils ont brûlé des magasins, des voitures, tout !, raconte Malissa, 18 ans. Ils se sont même battus entre eux ! Et on ne comprend pas pourquoi, personne ici ne comprend parce que le couvre-feu, c'est à cause du gouvernement, pas à cause des commerçants !"
"Juste des enfants qui deviennent fous"
Sur les vitrines fracturées, il y a maintenant des planches de bois, comme sur cette bijouterie pillée. Un boulanger, Mike, broie du noir : "Je suis en colère et triste pour ma ville. Ce sont juste des enfants qui deviennent fous. Ils s'en prennent à nos vitrines. Nos commerces sont déjà dans une situation difficile avec le coronavirus. Mais même avant ça... J'espère que ça va bientôt se calmer. Mais je pense que ça va devenir de pire en pire." Un peu plus loin, Akan, lui, fait le guet devant la porte brisée de son magasin de vêtements :"Si tu viens dans mon magasin pour faire ça maintenant, moi aussi je vais m'en prendre à toi", avertit-il. Aux fenêtres, beaucoup observent, sidérés, le ballet des uniformes. Il faut dire que les émeutes de ces derniers jours, ce sont les pires depuis 40 ans aux Pays-Bas, selon les syndicats de police.
Cette poussée de fièvre s'explique en partie par ce couvre-feu mis en place de 21h00 à 4h30 pendant deux semaines et demie, en plus de la fermeture déjà en place des écoles, des commerces non essentiels. Mais voilà, ce couvre-feu, c'est le premier depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est imposé. Et ça, les Néerlandais n'ont pas l'habitude. Ismaël, 18 ans, a participé aux protestations "parce que maintenant, ils disent que tout le monde doit rentrer chez soi, explique-t-il. Avant, ils demandaient. Maintenant, ils commandent. Ils disent : 'Vous ne pouvez pas sortir, sinon vous paierez une amende. Vous serez arrêtés'. Je n'aime pas cette façon de faire. On ne peut pas accepter qu'on nous prenne notre liberté. C'est impossible", affirme Ismaël.
Une crise plus profonde
Le couvre-feu a servi de déclic mais il y a d'autres raisons à cette colère, si l'on en croit Tom Postmes, chercheur en psychologie sociale à l'université de Groningen. Selon lui, la colère gronde depuis déjà quelque temps aux Pays-Bas. "De façon similaire avec la France, il y a une partie assez importante de la population qui ne se sent pas entendue, vue et représentée par les politiques. C'est comme les 'gilets jaunes' ou ceux qui supportent le Rassemblement national ou d'autres mouvements politiques, peut-être aussi à gauche."
Il y a donc un rejet du gouvernement, accentué par la crise sanitaire. "La politique contre le coronavirus et ce couvre-feu, ce confinement que nous avons aux Pays-Bas, cela a cristallisé le ressentiment de beaucoup de gens vis-à-vis du gouvernement. Ils pensent qu'il décide de façon autoritaire, qu'il les prive d'une partie de leurs libertés civiles. Et les gens n'aiment pas ça. Ils veulent résister." La crise du coronavirus a eu en quelque sorte un effet révélateur puisque, selon une étude menée par l'université de Groningen il y a un an, un quart des Néerlandais se disaient déjà prêts à avoir recours à la violence pour changer de système politique.
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