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Crimes de guerre en Ukraine : la difficile recherche de preuves

En Ukraine face aux bombardements de l’armée russe, la Cour Pénale Internationale a décidé d'ouvrir une enquête sur les exactions russes. En parallèle des citoyens, des ONG, des enquêteurs indépendants se sont lancés dans la chasse aux preuves sur les crimes de guerre. Photos, vidéos ou carte satellite à l'appui.

Article rédigé par franceinfo - Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
À Irpin, les secours profitent d’un moment de répit pour évacuer les civils, et en particulier les hôpitaux et maisons de retraite. (LAURENT MACCHIETTI / RADIO FRANCE)

Une maternité bombardée à Marioupol dans le sud du pays, une famille tuée par un obus de mortier en pleine rue à Irpin dans la banlieue de Kiev... Ces vidéos, presque tournées en temps réel, vous les avez sans doute vu circuler sur la toile. Ils sont nombreux à utiliser les réseaux sociaux pour informer sur la guerre en Ukraine. Ilias Shcherbakov, ingénieur chimiste ukrainien de 40 ans, utilise notamment son compte Twitter pour montrer ce qu'il se passe à Kharkiv.

La deuxième ville du pays, éventrée, est désertée par les journalistes étrangers. Dans la neige, tous les jours entre deux attaques, Ilias prend son vélo et son téléphone portable pour témoigner des frappes contre les civils. "J'y vais en vélo parce que c'est plus rapide et j'essaye de tourner des séquences très courtes pour montrer les dégâts sur les infrastructures", raconte-t-il.

Mon objectif, c'est de montrer ce qui se passe ici. Tout ce qui est touché, les jardins d'enfants, les écoles, les quartiers résidentiels. Et j'espère que mes vidéos serviront à faire condamner, les responsables de ces crimes.

Ilias Shcherbakov, habitant de Kharkiv

à franceinfo

Comme lui, Maria Avdeeva, 50 000 followers, ne lâche plus Twitter. Dans ses vidéos, qu'elle poste chaque jour, cette directrice de recherche à Kharkiv interpelle les occidentaux pour dénoncer les atteintes sur les civils. "Ils disent qu'ils ne visent pas les zones résidentielles, mais moi, je vois que tous les soirs, ils envoient des bombes sur ces quartiers. Ils ont déjà détruit 300 bâtiments historiques et des appartements aussi. Tout le centre historique de Kharkiv a été ravagé par les bombardements russes".

Malgré une ville en état de siège, Ilias et Maria n'ont pas l'intention de partir. Et peu importe les nombreuses menaces de mort qu'ils reçoivent directement.

40 ONG mobilisées dans la collecte preuves

Photos, vidéos ou cartes satellites... tous ces précieux documents sont notamment collectés par des ONG qui les analysent et les consignent. En ce moment, 40 ONG travaillent sur le recueil de preuves en Ukraine. Parmi elles, le site d’investigation Open Facto, équivalent français du site britannique Bellingcat, pionnier en la matière.

"On a tendance à penser que sur Internet tout reste disponible. La réalité c'est que les éléments les plus intéressants et notamment ces faits-là tendent à disparaître", expose le cofondateur d’Open Facto, qui préfère rester anonyme. 

L'archivage est excessivement important. Il va falloir recouper, vérifier, géolocaliser une image, la dater, la remettre en perspective, et éventuellement transmettre ces éléments à une juridiction pour ce qu'on appelle en anglais l'accountability, ce besoin de rendre compte pour définir des responsabilités à la suite d'un conflit.

cofondateur d'Open Facto

franceinfo

Le laboratoire de preuves d'Amnesty international a d’ailleurs réussi à mettre en évidence un crime de guerre : une frappe aérienne russe a tué 47 civils dans la banlieue à Tchernihiv au nord du pays. Ces derniers faisaient la queue pour acheter du pain. "Ce n'est pas nouveau pour nous, mais c'est très dur de travailler sur cette séquence, de comprendre ce qui se passe dans ce conflit, de gérer les si nombreux contenus, confie Milena Marin, qui co-dirige ce laboratoire de preuve, basé à Londres.

"Même si on l'a fait en Syrie ou au Yémen, sur des manifestations, parfois sur des vidéos de torture, d'exécution, ça nous dépasse d'une certaine façon. Le travail qu'on fait est généralement difficile mais là, l'Ukraine, c'est très stressant de voir toutes ces destructions, les civils tués, là sous nos yeux, sur nos écrans, en continu. C'est assez dur", poursuit-elle.

Mais que faire de tout ce matériel ? Y a-t-il un espoir de voir un jour Vladimir Poutine traduit en justice ? Ces question ont été posées à celui qu'on surnomme le "traqueur de criminels" : le colonel Éric Emeraux. Ce gendarme à la retraite a dirigé pendant trois ans l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité. Il a lui même interpellé en banlieue parisienne, en 2020, un haut dignitaire du genocide rwandais, 26 ans après les faits. Pour lui, ces preuves sont une mine d'or pour la coopération internationale.

"Derrière, elles seront traitées par les services de police judiciaire des différents pays, des différents États membres, dont la France, mais aussi par la Cour pénale internationale. Ça signifie que tous les experts vont reprendre une par une chaque preuve, la confronter avec des témoignages. Toute cette matière va être ensuite entrée dans des bases de données, dans laquelle tous les États membres peuvent intégrer leurs preuves", , précise-t-il.

"Tous les experts vont reprendre une par une chaque preuve, la confronter avec des témoignages. Ce qu'on fait à chaque fois pour la Bosnie, le Rwanda, le Liberia, c'est refaire l'enquête. J'ai coutume de dire : si on avait interrogé Milosevic, en 1996 ou 1997, en lui disant 'tu vas finir tes jours dans une geôle a La Haye', je ne suis pas convaincu qu'il aurait été sûr de ce qu'on aurait pu lui dire. Ce qui me semble important est de se donner les outils et les procédures pour faire en sorte que ce type d'agression soit jugé et condamné.", conclut-il.

Le militaire regrette néanmoins que la France n'ouvre pas, comme viennent de le faire l'Allemagne ou l'Espagne, une enquête pour possible crime de guerre au nom de la compétence universelle. Il y a quelques semaines, sur cette base juridique, le tribunal de Coblence en Allemagne a réussi à faire condamner à la prison à vie un ancien colonel syrien du régime de Damas.

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