Délit d'homicide routier, surpopulation carcérale, "casserolades", laxisme judiciaire, risque d'attentat en France… Ce qu'il faut retenir de l'interview de François Molins
François Molins, procureur général près la Cour de cassation, était l'invité du 8h30 franceinfo, mardi 30 mai 2023. Délit d'homicide routier, surpopulation carcérale, casserolades, laxisme judiciaire, risque d'attentat en France… Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia.
Homicide routier : "Quand on change la loi, il faut prendre le temps de la réflexion"
François Molins dénonce "la fait-diversification" du droit pénal, notamment après la série d'accidents mortels provoqués par des conducteurs sous l'emprise de stupéfiants. Les ministres de l'Intérieur et de la Justice réfléchissent actuellement à un "homicide routier" pour ne plus considérer seulement ces accidents comme des "homicides involontaires". "Qu'on l'appelle un homicide routier ou pas routier, à ma connaissance, il existe toujours deux catégories : les homicides volontaires et les homicides involontaires", explique le procureur général près la Cour de cassation. "Faut-il aller plus loin ? Peut-être", concède-t-il. "Mais encore faut-il prendre le temps de la réflexion." Le procureur général insiste : agir sur la circulation routière, c'est "agir sur l'alcool, les stupéfiants et la vitesse".
Surpopulation carcérale : construire "ne suffira pas à régler le problème"
Eric Dupond-Moretti veut faire construire 15 000 places supplémentaires dans les prisons françaises pour accueillir dignement tous les détenus, dont le nombre s'élève aujourd'hui à 73 162 pour 60 867 places. La surpopulation carcérale bat donc le record de 120,2%. "Il faut construire" de nouvelles places en prison pour lutter contre la surpopulation carcérale, "mais ça ne suffira pas à régler le problème", affirme le procureur général près la Cour de cassation. Cette surpopulation n'est "pas normale" et cela "empêche de faire des véritables actions de réinsertion". Il faut trouver un "dispositif autre". Parmi les pistes avancées, François Molins indique qu'"il faut plus travailler sur le sens de la peine, l'appréhension de la récidive, et densifier le milieu ouvert".
Interdiction de casserolades : "Ce n'est pas normal, la loi n'a pas été faite pour ça"
Certaines dispositions de la loi anti-terrorisme ont été utilisées durant la contestation contre la réforme des retraites. François Molins dénonce des "abus". "Le périmètre de protection, ce n'est pas fait pour empêcher les gens de manifester", assure-t-il. "Il faut appliquer la loi strictement, pour ce pour quoi elle a été faite", avance François Molins après les arrêtés préfectoraux qui ont pris durant les manifestations contre la réforme des retraites, certains interdisant notamment les casserolades.
Laxisme judiciaire : "Les peines prononcées n'ont jamais été aussi importantes"
Selon François Molins, les Français ont tort de penser que la justice est laxiste. "En six ou sept ans, la durée moyenne des peines prononcées par les juridictions correctionnelles a augmenté de plus de deux mois", note-t-il. "Les peines prononcées ne sont pas laxistes, elles n'ont jamais été aussi importantes dans l'histoire de la justice. Les problèmes qu'on a, c'est pour les ramener à exécution", martèle-t-il regrettant "la non-effectivité des peines". "On a en permanence un stock de peines inexécutées qui est de l'ordre de 95 000 à 100 000", explique François Molins qui met en avant la complexité de la procédure et le manque de moyens.
Risque d'attentat en France : "Daech au Moyen-Orient, ce n’est pas terminé"
François Molins a été procureur de la République de Paris de 2011 à 2018. Ayant une compétence nationale sur les affaires de terrorisme, il a été chargé des attaques terroristes majeures menées en France, notamment en 2012 par Mohammed Merah ou encore en 2015 avec Charlie Hebdo et le 13-Novembre, puis Nice en 2016. François Molins en garde "un sentiment extrêmement anxiogène". "Les images sont toujours là", avoue le haut magistrat, qui admet avoir eu recours à un psychologue, "comme ses collègues". "Il y a toujours une place pour l'émotion. L'enjeu est de savoir la gérer", explique-t-il. "On se demandait jour et nuit, si effectivement, on serait capable d'être efficace. C'est difficile à vivre, ça fait douter de la qualité de son travail, de son efficacité, car on n'est pas sûr d'arriver à arrêter tout ça", se souvient François Molins.
Quant au risque d'attentat actuellement en France, le haut magistrat juge "que le risque a évolué", il est désormais "différent". "Il y a le terrorisme jihadiste, je pense qu'il y a aussi des risques de terrorisme ultra, notamment d'ultradroite", confie François Molins qui n'écarte pas "le risque de cellules dormantes, avec des gens en provenance de pays étrangers qui ne sont pas forcément identifiés". "Daech au Moyen-Orient, ce n’est pas terminé et en Afrique le risque a métastasé", note-t-il avec prudence.
Retraite de François Molins : "Un changement complet et radical"
"C'est un changement complet et radical, qui n'est pas forcément si facile à vivre", concède le plus haut magistrat de France, qui prendra sa retraite à la fin du mois de juin, après 46 ans d'exercice au sein de la justice. Il continuera "à garder des activités". Remplacé par Rémy Heitz fin juin comme procureur général près la Cour de la cassation, François Molins souhaite "rester utile" autour des thèmes "transmettre et partager". "J'ai acquis une certaine expérience, donc je vais essayer de la valoriser, mais toujours dans cette dimension service public-service des autres", avance-t-il. En revanche pas question, affirme François Molins, de s'engager en politique. "Absolument pas", conclut-il.
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Retrouvez l'intégralité du "8h30 franceinfo" du mardi 30 mai 2023 :
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