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De la menace de plainte à la proposition de rencontre, retour sur la passe d'armes entre Gérald Darmanin et Audrey Pulvar

Gérald Darmanin avait annoncé dimanche qu'il allait déposer plainte contre l'ex-journaliste, l'accusant de "diffamer la police". Deux jours plus tard, le ministre ne semble plus certain d'aller au bout de sa démarche et propose une rencontre à la candidate socialiste.

Article rédigé par franceinfo
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et la tête de liste socialiste aux élections régionales en Ile-de-France, Audrey Pulvar. (JOEL SAGET / AFP)

Gérald Darmanin va-t-il renoncer à sa plainte contre Audrey Pulvar ? Après deux jours de passe d'armes entre le ministre de l'Intérieur et la candidate socialiste aux régionales en Ile-de-France, la question est posée, mardi 25 mai, après la proposition par le premier d'une rencontre avec la seconde. Une proposition immédiatement acceptée par Audrey Pulvar.

Alors que l'entourage du ministre explique désormais que "rien n'est acté" sur ce dépôt de plainte, franceinfo fait le point sur cet imbroglio.

1Darmanin annonce un dépôt de plainte

Dans la soirée du dimanche 23 mai, le ministre de l'Intérieur annonce sur Twitter une plainte contre Audrey Pulvar. "Les propos de madame Pulvar dépassent le simple cadre d'une campagne électorale et viennent profondément diffamer la police de la République", estime-t-il. "La plainte que le ministre déposera s'inscrit dans une succession de propos [d'Audrey Pulvar], notamment ce week-end lors d'une interview sur franceinfo, ou encore des propos tenus en juin 2020 et exhumés ce week-end, précise le lendemain l'entourage de Gérald Darmanin à franceinfo, lundi. C'est un tout".

Le ministre de l'Intérieur avait pris part mercredi à une manifestation organisée par les syndicats de police devant l'Assemblée nationale. Plusieurs responsables politiques de gauche, dont Anne Hidalgo, Olivier Faure et l'écologiste Yannick Jadot, s'étaient joints à ce rassemblement, ainsi que des élus de tous bords politiques (sauf La France insoumise). Cette manifestation "soutenue par l'extrême droite, à laquelle participe un ministre de l'Intérieur, qui marche sur l'Assemblée nationale pour faire pression sur les députés en train d'examiner un texte de loi concernant la justice, c'est une image qui pour moi était assez glaçante", avait commenté Audrey Pulvar sur franceinfo, samedi.

Dans le "tout" mentionné par l'entourage du ministre se trouvent également des propos tenus en juin 2020 dans une vidéo exhumée samedi sur Twitter par Pierre Liscia, porte-parole du mouvement de Valérie Pécresse, candidate (Les Républicains) à sa réélection en Île-de-France. Audrey Pulvar y dénonce "le racisme dans la police" en France, lors d'une manifestation à Paris en hommage à George Floyd, Afro-Américain tué par un policier blanc à Minneapolis. Interrogé par l'AFP sur le risque de prescription de ces propos, dont le délai est de trois mois en matière de diffamation, l'entourage de Gérald Darmanin a répondu qu'ils pouvaient "être versés en accompagnement de la plainte pour l'étayer".

2 Audrey Pulvar riposte

Dès le dimanche, l'équipe de la liste d'Audrey Pulvar, Ile-de-France en commun, réagit à la plainte en fustigeant "une atteinte à la liberté d'expression d'une extrême gravité". "Cette tentative d'intimidation d'une candidate d'opposition par un ministre de l'Intérieur, par ailleurs en charge de l'organisation des élections (...) est sans précédent sous la Ve République", écrit, dans un communiqué publié dimanche, le collectif auquel adhèrent le Parti socialiste, le Parti radical de gauche et Place publique.

La candidate socialiste riposte en annonçant qu'elle allait porter plainte contre Gérald Darmanin pour "dénonciation calomnieuse". "Et nous agirons par la voie civile sur le fondement de la diffamation", a précisé l'un de ses avocats, Patrick Klugman, lors d'une conférence de presse lundi. "Nous ignorons les propos visés par cette plainte (...) et le ministre de l'Intérieur est incapable de le dire, a-t-il ajouté, précisant qu'Audrey Pulvar n'avait "aucune raison de se laisser accuser d'avoir diffamé qui que ce soit".

Evoquant une "situation inédite autant qu'elle est choquante", Patrick Klugman a, lui aussi, dénoncé une "grossière manœuvre d'intimidation". "On ne doit jamais réduire un candidat à une élection au silence", a-t-il martelé. Il va également "examiner les recours administratifs" contre le ministère de l'Intérieur.

3 La classe politique s'en mêle

Des responsables politiques de tous bords ont réagi, dimanche et lundi, à l'annonce du dépôt de plainte de Gérald Darmanin. "Du jamais-vu ! À quelques semaines de l'élection régionale, le ministre de l'Intérieur porte plainte pour diffamation contre une candidate tête de liste en Île-de-France, s'est offusquée la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, lundi sur Twitter. Heureusement, nous sommes dans un Etat de droit. J'ai toute confiance dans la justice de mon pays."

"Jusqu'ici dans une démocratie, on pouvait encore exprimer une opinion sans que le ministre chargé des élections ne se sente autorisé à intimider une adversaire politique. Total soutien à Audrey Pulvar", a twitté le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, dans la nuit de dimanche à lundi. Julien Bayou, secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts et tête de liste écologiste aux régionales en Ile-de-France, a pour sa part dénoncé la "conception toute particulière de la démocratie" de Gérald Darmanin.

Plusieurs responsables de La France insoumise, qui s'étaient abstenus de participer au rassemblement organisé par les syndicats de policiers, ont exprimé leur "solidarité avec Audrey Pulvar". "Darmanin joue les gros bras. Il veut intimider. Sa plainte montre sa faiblesse et sa peur des organisations policières qui font la loi dans son ministère", a twitté le dirigeant du parti, Jean-Luc Mélenchon, dimanche soir"Après les manifestations interdites ou réprimées, voici les manifestations avec lesquelles nous n'aurions pas le droit d'être en désaccord ! Une plainte d'un ministre contre une opinion politique (...) les juges apprécieront...", a abondé Clémentine Autain, tête de liste de la France insoumise en Ile-de-France.

De son côté, Valérie Pécresse a apporté "une nouvelle fois son soutien indéfectible aux forces de l'ordre" qui "méritent notre soutien unanime, par-delà tous les clivages politiques". "Les paroles odieuses d'Audrey Pulvar datent d'un an et le gouvernement ne réagit que maintenant ?" s'est également étonnée la présidente de la région Ile-de-France.

4Des cadres LREM confient leur malaise en off

Pendant ce temps-là, au sein de La République en marche, les propos du ministre de l'Intérieur passent mal, même si peu osent le critiquer ouvertement. "Le problème de Gérald [Darmanin], c'est qu'il roule à 300 km/h, sous la pluie et sur les graviers", confie un conseiller du pouvoir à franceinfo. "Tous les démocrates ne peuvent qu'être gênés", lâche un macroniste parisien. "Forcément il y a le sentiment qu'il abuse de son statut. Mais dans 'bad buzz' il ne retient que buzz", se désespère une cheville ouvrière de la campagne francilienne.

Sur Europe 1, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili estime que "le débat politique peut vivre sans passer devant les tribunaux""On est dans un pays de droit, dans un pays de liberté et la liberté c'est aussi la liberté d'expression. Là le choix a été fait de mettre ces débats devant les tribunaux, dont acte", résume-t-elle.

5Le ministre propose une rencontre, qu'Audrey Pulvar accepte

Mardi, en fin de matinée, le ministre de l'Intérieur revient sur ses propos. "J'ai entendu, ce matin, les propos de madame Audrey Pulvar sur LCI explicitant clairement que, pour elle, la police n'était pas raciste. J'en prends acte. Je lui propose de la rencontrer dans les prochains jours", déclare-t-il sur Twitter. Une proposition rapidement acceptée par l'intéressée. "Je me rendrai à cette invitation avec enthousiasme et un esprit purement républicain qui m'anime depuis toujours", a précisé Audrey Pulvar. 

A franceinfo, le cabinet du ministre de l'Intérieur précise que la plainte n'a pas encore été déposée, car le ministre était en déplacement à Marseille toute la journée de lundi. Il ajoute que, puisque le ministre souhaite échanger avec la candidate aux élections régionales en Île-de-France, "rien n'est acté" sur le fait d'aller jusqu'au bout ou d'abandonner ce dépôt de plainte.

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