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Infographies "Lessivés", les députés ont-ils travaillé davantage que lors de la précédente législature ?

La première session parlementaire a laissé un goût amer à certains députés, qui se disent fatigués après des travaux longs et intenses. Ce mois de juillet n'a pourtant pas été marqué par des durées de débat record. Explications.

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette, Antoine Comte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Franceinfo a passé en revue les comptes rendus des séances de l'Assemblée nationale afin de comparer leurs durées depuis juin 2017. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

"Nous avons des séances qui ont commencé à 9 heures et qui se sont, pour certaines, terminées à 6 heures du matin. Donc à un moment donné, il faut qu'on dorme un peu, c'est physiologique". Ce cri d'alarme signé Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris, mercredi 3 août sur France Inter, n'est pas isolé. Après plus d'un mois d'intenses, et parfois interminables débats à l'Assemblée nationale, de nombreux parlementaires assurent être "lessivés".

Mais les élus du Palais-Bourbon ont-ils vraiment plus travaillé que sous la précédente législature ? Le rythme des séances du mois de juillet a-t-il été vraiment plus intense que lors des cinq dernières années, comme certains députés semblent le prétendre ? Franceinfo a passé au peigne fin l'activité des élus dans l'hémicycle entre le 27 juin, début officiel de la nouvelle législature et le dimanche 7 août, date de la pause estivale pour l'ensemble des 577 députés.

Premier constat : le mois de juillet a en effet été un mois chargé pour les députés. Fraîchement élus lors du second tour des élections législatives, le 19 juin, ils ont enchaîné de grosses sessions notamment dans la semaine du 18 au 23 juillet. Durant cette semaine, les travaux parlementaires dans l'hémicycle ont atteint un total élevé de 59 heures. La journée du 21 juillet a été la plus longue, avec trois séances successives : la première a commencé à 9 heures le matin et la dernière a été levée à 5h50 dans la nuit.

La semaine suivante, du 25 au 28 juillet, a également été intense avec plus de 30 heures de débats dans l'hémicycle, de jour comme de nuit. "Cinq ans comme ça, ça ne sera pas possible. Nous sommes dans une espèce d'essoreuse", reconnaît Laurent Jacobelli, député RN de Moselle, en prenant soin de préciser "qu'il ne s'agit pas là de se plaindre car il est bien normal que les élus de la République travaillent au maximum pour les Français".

Mais ces amplitudes horaires, liées au vote en juillet des textes sur le maintien d'un dispositif de veille sanitaire contre le Covid-19, sur la protection du pouvoir d'achat ou encore le projet de loi de finances rectificative, n'ont en fait rien d'exceptionnel. Si on compare avec la précédente législature, les députés ont par exemple davantage siégé sur les bancs du Palais-Bourbon en février 2020. Durant la semaine du 17 février, les débats ont atteint les 67 heures cumulées lors du vote en faveur du très contesté projet de loi sur la réforme des retraites.

De même, si l'on remonte à 2018, lors de la semaine du 16 avril, consacrée à l'examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, les 76 heures d'activité dans l'hémicycle ont été atteintes. Un record depuis 2017. Un chiffre presque égalé deux mois plus tard, avec plus de 75 heures de séances cumulées dans la semaine du 28 mai au 3 juin dans le cadre du vote de la loi Elan pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Des nuits moins longues

Du côté des séances de nuit, même constat. Aucune semaine de la session parlementaire n'a totalisé plus de 5 heures de séances travaillées après 1 heure du matin. Les durées des débats nocturnes ont ainsi été beaucoup moins élevées que celles observées par exemple la semaine du 18 juillet 2018. Le cumul des heures de débat la nuit avait alors dépassé les 8 heures pour le vote du projet de loi de finances fin décembre 2018 en réponse au mouvement des "gilets jaunes".

Des chiffres qui n'étonnent pas Boris Vallaud, député PS des Landes réélu le 19 juin. "Il n'y a rien de nouveau là-dedans. Oui, les dernières semaines que nous venons de vivre ont parfois été houleuses, mais pas plus que sous la précédente mandature. C'était fatigant, aussi, car nous sortions d'une campagne électorale intense", confie le président du groupe des députés socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale.

"Des séances de nuit et des lectures prolongées, on en a déjà connu, malheureusement, beaucoup avant. Comme lors du texte sur la réforme des retraites en 2018. Après, ce qui est certain, c'est qu'à 3 heures du matin, tout le monde a envie d'aller se coucher."

Boris Vallaud, député PS des Landes

à franceinfo

Pour Philippe Gosselin, député LR de la Manche qui entame sa cinquième saison à l'Assemblée nationale, la session parlementaire de l'été 2022 n'a également rien de surprenant. "Chaque début de mandature est marqué par le fait que le gouvernement souhaite faire voter rapidement un maximum de textes pour montrer qu'il est dans l'action. Les coups de chauffe, il y en a toujours eu. L'affaire Benalla, en juillet 2018, ça avait été bien plus chaud que ce que nous venons de vivre", raconte cet habitué de l'hémicycle.

Si les journées à rallonge lors de la dernière session parlementaire sont monnaie courante, le taux de présence des députés en juillet est, en revanche, inédit. Selon les calculs de franceinfo, 70% de l'hémicycle était rempli au cours de huit des 13 journées au cours desquelles des scrutins publics ont été soumis au vote des députés. A titre de comparaison, en 2017, un tel taux n'avait été atteint que sur quatre journées.

Ce taux de présence exceptionnel s'explique d'abord par l'absence de majorité absolue pour le camp présidentiel. Avec seulement 251 parlementaires, la majorité présidentielle (Renaissance, MoDem et Horizons) est obligée de composer avec une partie de l'opposition pour trouver des compromis sur chaque texte. La stratégie des macronistes : tenter de grappiller à chaque séance les sièges qu'il leur manque pour espérer atteindre la majorité absolue fixée à 289 députés.

Une situation inédite

Ces derniers se retrouvent donc dans l'obligation d'être physiquement présents en séance lors de chaque vote pour défendre les différents projets de loi présentés par le gouvernement. Les traditionnels roulements entre les députés de la majorité sont donc impossibles et les organismes se retrouvent plus sollicités cette année. "Aujourd'hui, l'opposition parvient à être majoritaire quasiment tous les 15 jours. Alors qu'auparavant cela n'arrivait qu'une fois ou deux par législature", confirme Olivier Rozenberg, professeur associé au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences-Po.

"Il y a beaucoup de nouveaux députés d'opposition qui sont très motivés et qui sont donc très présents en séance. Et la majorité est contrainte de s'aligner."

Olivier Rozenberg, professeur associé au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences-Po

à franceinfo

Une situation inédite qui n'est pas sans conséquences pour la majorité présidentielle, selon Christophe Rossignol, conseiller politique auprès du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT). "Jusqu'à présent, l'Assemblée faisait un peu office de chambre d'enregistrement. Et là ce n'est plus le cas. Les parlementaires sont désormais pratiquement obligés de venir à tous les votes.", affirme-t-il.

Parmi les nouveaux élus omniprésents dans l'hémicycle depuis le début de la nouvelle législature, on retrouve les députés du Rassemblement national, au nombre de 89, et ceux de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). La quasi-totalité des députés de ces deux puissants groupes d'opposition ont été présents lors de chaque vote depuis le début de la nouvelle législature. "Nous avons été élus pour que nos idées soient entendues et représentées. Donc oui, on sera présents jusqu'au bout de la mandature lors de chaque séance. On se fait entendre et c'est une bataille qui va durer", lance à franceinfo Alexis Corbière, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis.

"Le fait qu'on ait deux groupes d'opposition protestataires très importants change tout. Ce sont des élus qui veulent transformer les travées en tranchées. C'est une guerre de position, une guérilla : ils veulent tout conflictualiser. L'hémicycle est devenu un amphithéâtre, une AG permanente".

Philippe Gosselin, député LR de la Manche

à franceinfo

Pour reprendre leur souffle, les députés, à la demande de la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, ne siégeront pas dans l'hémicycle en septembre. "Il n'y aura pas de séances, car l'objectif de ce temps sans débat est de préparer en amont les futurs textes avec les partenaires sociaux et les parlementaires et également de permettre aux députés de rester dans nos circos pour ne pas apparaître comme des députés hors-sol", se félicite Thomas Rudigoz, député LREM du Rhône. Rendez-vous en octobre, donc.


MÉTHODOLOGIE

Pour mesurer les durées de séances en hémicycle à l'Assemblée nationale, nous nous sommes appuyés sur les heures d'ouverture et de clôture mentionnées dans les comptes-rendus des séances publiques de l'Assemblée nationale. Une distinction a été faite pour les horaires en journée (entre 9 heures et 21h30), en soirée (entre 21h30 et 1 heure) et la nuit (après 1 heure du matin).

L'Assemblée nationale ne publie pas d'indicateurs permettant de mesurer les taux de présence des députés en hémicycle. En revanche, l'institution précise, pour les scrutins publics, si les députés votants sont présents dans l'hémicycle ou s'ils ont voté par délégation. Cet indicateur nous a permis de mesurer un taux de présence des députés en fonction de leur participation à au moins un vote les jours de séance publique.

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