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"Il dit ce qu'on a envie d'entendre" : déçus par leur parti devenu "une machine à perdre", ces électeurs LR expliquent pourquoi ils voteront Eric Zemmour

Le polémiste d'extrême droite, qui n'est pas encore déclaré candidat à l'élection présidentielle, attire une frange de l'électorat des Républicains qui se reconnaît dans ses thèmes de prédilection : l'immigration, l'identité et la sécurité.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le polémiste Eric Zemmour lors d'une rencontre à Bordeaux, le 12 novembre 2021. (STEPHANE DUPRAT / HANS LUCAS / AFP)

"J'ai l'impression de vivre une ouverture comme en Tchéquie en 1968." Catherine n'a pas peur des grands mots. Cette retraitée de 70 ans, qui fut enseignante de l'histoire des idées en fac de gestion, veut à tout prix communiquer son "bonheur" de voir "enfin" ses idées représentées à la télévision. Notamment grâce à un homme : Eric Zemmour. "Je l'ai découvert chez Christine Kelly, sur CNews, et j'ai été emplie de bonheur en l'écoutant", répète-t-elle, avant de murmurer : "J'ai peur qu'on le tue, comme on a tué Fillon métaphoriquement parlant, je crains la même chose."

Catherine est très engagée derrière le polémiste d'extrême droite dont on attend sous peu l'annonce de candidature à l'élection présidentielle. Elle lui a donné "des sous" (80 euros) et est allée le voir en meeting avec toute sa famille à Nîmes (Gard). Une famille dont les membres sont tous des diplômés de bac +5 à bac +8. Elle le précise histoire de contredire ceux "qui veulent faire passer les électeurs de Zemmour pour des gens primaires". Elle retournera bientôt le voir à Valence (Drôme). En votant pour Eric Zemmour, Catherine s'apprête à faire faux bond à sa famille politique de toujours : Les Républicains. Le parti est d'ailleurs en plein processus de désignation d'un candidat pour la présidentielle. Les candidats débattent, dimanche 21 novembre, sur CNews et Europe 1, pour la troisième fois. 

Eric Zemmour "parle vrai, sans tabou"

Catherine est loin d'être la seule sympathisante LR à plébisciter Eric Zemmour. Selon l'enquête réalisée en octobre par Ipsos/Sopra Steria en partenariat avec Le Monde et le Cevipof-Sciences Po, sur un pannel de 16 000 personnes, près d'un quart (22%) des électeurs de François Fillon en 2017 exprime aujourd'hui une intention de vote pour l'ancien journaliste. "Depuis plusieurs années, on constate un rapprochement idéologique entre la droite et l'extrême droite, analyse le chercheur Antoine Bristielle, directeur de l'Observatoire de l'opinion de la fondation Jean-Jaurès, qui a travaillé sur le sujet. Mais cette frange de l'électorat LR – fillonistes ou sarkozystes durs – n'allait pas voter pour Marine Le Pen, perçue comme étant 'trop classes populaires', c'est en cela que la candidature Zemmour peut les séduire."

Et, selon ces électeurs de droite, Eric Zemmour les séduit avant tout pour son "courage" et "la cohérence de ses idées". "Il parle vrai, sans tabou", lâche Jacques, un commerçant de 60 ans. "C'est un homme courageux qui dit ce que l'on a envie d'entendre", appuie Xavier, 35 ans, chef de projet en informatique et sarkozyste revendiqué. 

"C'est quelqu'un qui pense ce qu'il dit, ça fait une sacré différence avec les politiciens classiques."

Xavier, électeur de droite

à franceinfo

"Avant on se faisait traiter de fachos simplement pour avoir dit qu'il y avait trop d'étrangers dans telle ville, remarque Sébastien*, un ingénieur en informatique bancaire de 36 ans. Zemmour dit la même chose, on le traite de facho mais il dit qu'il s'en fiche. Il fait preuve de courage, courage qui a manqué à beaucoup d'autres candidats." Catherine opine elle aussi du chef : "Il a soulevé la chape de plomb sur tout ça." "Tout ça" fait référence aux thèmes de prédilection d'Eric Zemmour : l'immigration, la sécurité et l'identité. 

C'est avant tout pour les positions d'Eric Zemmour sur ces sujets que ces électeurs, parfois même adhérents à LR, ont choisi celui qui a été condamné pour "provocation à la haine raciale" et traîne encore de nombreuses affaires en justice

"Les LR sont les perroquets d'Eric Zemmour"

Comme le polémiste, ils font un lien clair entre délinquance et immigration, allant bien plus loin que leur camp d'origine. "On a beau être ouvert, il y a un moment où c'est trop", assume Sébastien, qui explique avoir quitté Paris après avoir été victime de plusieurs agressions. Il est aujourd'hui établi dans la région de Metz (Moselle) et les choses vont, à l'entendre, un peu mieux, hormis quelques problèmes de "violences" à l'école maternelle de sa fille : "Elle a déjà reçu des coups et les personnes qui l'ont embêtée ne s'appelaient pas François-Xavier."

Pour ces sympathisants LR, dont plusieurs ont été parfois tentés de voter RN, l'ancien parti de l'UMP est bien trop mou sur les sujets régaliens. Mais, observent-ils, les choses ont changé depuis le surgissement de l'ex-star de CNews. "Les LR sont les perroquets d'Eric Zemmour, ils n'en ont pas le droit, ils sont indignes !" s'emporte Catherine. "Ils prennent les propos de Zemmour car ils sentent que certains vont aller vers lui pour les prochaines élections", abonde Jacques, persuadé que les "centristes ont pris le pouvoir chez LR". "Ils ne sont pas capables de produire une idéologie de droite, ils sont soumis à l'idéologie gauchiste", assure même Xavier.

"Le discours des LR, c'est de la bouillie pour chat, c'est des lieux communs, le produit d'une non-pensée. LR, c'est une machine à perdre."

Catherine, ex-adhérente LR

à franceinfo

Mis à part Eric Ciotti, qui a d'ailleurs affirmé qu'il voterait Eric Zemmour en cas de second tour contre Emmanuel Macron, aucun candidat LR ne trouve grâce aux yeux de ces sympathisants de droite. "Ce ne sont que des personnes qui ont craché sur le parti et l'ont quitté", raille David, 45 ans, installé en Suisse pour le travail. Dans son viseur : Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Il n'oublie pas Michel Barnier "qui d'un coup se voit patriote alors qu'il était à Bruxelles durant des années". 

La "prime à la crédibilité" de LR suffira-t-elle ?

"La première raison pour laquelle je vais voter pour Eric Zemmour est l'absence d'une offre politique crédible du côté des LR", résume Xavier. Ce dernier ne fait pas que soutenir le polémiste puisqu'il récupère, via les boucles Telegram, les argumentaires des équipes Zemmour, qu'il diffuse ensuite sur les réseaux sociaux. "Tous les sarkozystes que je connais vont voter pour lui", affirme encore Xavier.

De quoi inquiéter l'état-major de LR ? Pas vraiment, à en croire le député Fabien Di Filippo, en charge de la mobilisation militante. "C'est surtout les gens du RN qui viennent gonfler le score d'Eric Zemmour. Nous, notre score n'a quasiment pas bougé depuis son arrivée", assure le parlementaire. Ce dernier explique comprendre "la déception" provoquée par l'élimination de François Fillon en 2017 et parle en ce moment "d'une prime à la radicalité". 

"Oui, certains font un petit stop chez Zemmour pour voir s'il tient la route, mais cela sera autre chose sur les sujets du quotidien des Français. Notre capacité à gouverner est bien supérieure à celle de Zemmour."

Fabien Di Filippo, député LR

à franceinfo

Pour "reconquérir" ces électeurs tentés par le polémiste, l'élu évoque deux conditions : "une ligne politique sans ambiguïté par rapport à Macron" et faire la démonstration de "notre capacité à gagner". Un cocktail qui serait déjà gagnant, selon ce dernier, lorsqu'on constate le boom des adhésions au parti dans le cadre du congrès fixé du 1er au 4 décembre. Près de 150 000 adhérents désigneront ainsi le candidat LR pour la présidentielle, soit le double d'il y a deux mois. "Il y a une prime à la crédibilité qui nous bénéficiera, je pense", assure encore Fabien Di Filippo.

Cela sera-t-il suffisant pour rattraper les électeurs ancrés très à droite et fortement séduits par Eric Zemmour ? L'incertitude est permise si l'on écoute Sébastien, le trentenaire qui habite près de Metz. "Ils courent derrière Zemmour, mais ils vont avoir du mal à faire oublier le Kärcher en panne de Sarko. Ils font de grands discours et arrivés au pouvoir, ils ne font rien." Et ce dernier de conclure : "Cela fait vingt ans que je vote pour eux, je n'y crois plus."

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé. 

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