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Récit "La République, c'est moi !" : retour sur la perquisition du siège de La France insoumise qui vaut un procès à Jean-Luc Mélenchon

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
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Jean-Luc Mélenchon, lors du discours de clôture de l'assemblée représentative de la France insoumise, le 23 juin 2019 à Paris. (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

Le leader de La France insoumise est jugé jeudi et vendredi à Bobigny. Il est poursuivi, aux côtés de cinq autres membres de son parti, pour "actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire, rébellion et provocation".

Il a rendez-vous avec la justice. Jean-Luc Mélenchon est attendu au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), jeudi 19 et vendredi 20 septembre, pour les incidents survenus lors de la perquisition au siège de La France insoumise (LFI) en octobre 2018, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires du parquet de Paris sur les comptes de la campagne présidentielle de 2017 et sur les conditions d'emploi d'assistants d'eurodéputés de LFI. Le député des Bouches-du-Rhône comparaît pour "actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire, rébellion et provocation", en compagnie des députés LFI Alexis Corbière et Bastien Lachaud, de l'eurodéputé Manuel Bompard, du haut-fonctionnaire Bernard Pignerol et de l'attachée de presse du parti Muriel Rozenfeld. Le tribunal aura notamment la tâche de démêler les versions du déroulé de cette perquisition électrique et médiatique.

"Montrer que ce n'est pas normal"

Il est un peu plus de 10h30, mardi 16 octobre 2018, quand Eric Coquerel arrive à l'entrée du 43, rue de Dunkerque, dans le 10e arrondissement de Paris. "Je décide de rejoindre le siège de La France insoumise, histoire de marquer le coup, pour montrer que ce n'est pas normal de faire une perquisition comme si c'était une affaire de grand banditisme", raconte à franceinfo le député LFI. Alors qu'un remaniement a été annoncé en début de matinée ce jour-là, les Insoumis n'ont pas le temps de commenter l'arrivée de Christophe Castaner au ministère de l'Intérieur.

Grâce à des messages de Jean-Luc Mélenchon reçus dans la matinée, Eric Coquerel a été mis au courant de la série de perquisitions en cours visant son mouvement. L'Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales, en charge du dossier, est à la recherche de documents pour faire avancer son enquête. Dans le hall d'entrée, au pied des escaliers de l'immeuble, le député retrouve d'autres parlementaires LFI ainsi que Bernard Pignerol. Le président de l'association l'Ere du peuple, prestataire de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, se voit barrer la route par plusieurs policiers alors qu'il tente d'accéder au bureau de son association, situé dans les locaux de La France insoumise. "Je viens parce que je suis convoqué à une perquisition et je m'indigne parce qu'on me signifie que je n'ai pas le droit d'y assister, c'est foncièrement illégal", explique à franceinfo ce conseiller de Jean-Luc Mélenchon. 

Une équipe du magazine "Quotidien" arrive sur place et commence à filmer. Le ton monte, comme le montrent les images diffusées en intégralité, et sans montage, par l'émission, le 11 septembre dernier. "Qui vous a donné l'ordre d'empêcher les représentants de la Nation de monter dans un escalier qui n'est pas perquisitionné ?", s'agace ainsi le député de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud. La troupe finit par accéder au palier supérieur, notamment grâce à l'ascenseur. Débordés, les policiers reculent et se placent devant la porte d'entrée des locaux de LFI, bras croisés, refusant toujours de laisser entrer la petite foule de militants et de journalistes sur les lieux de la perquisition. "Les policiers face à nous étaient dans un mutisme total. Manifestement, ils n'avaient pas de consignes. J'avais l'impression qu'eux-mêmes se demandaient ce qu'ils devaient faire", témoigne Eric Coquerel.

"Allez, enfoncez-moi cette porte !"

Dans les locaux, loin des caméras, la perquisition avait pourtant commencé dans le calme. "Quand je suis arrivé entre 9 heures et 9h30, on m'a aimablement ouvert. Des policiers étaient déjà là, en train de saisir des choses. Il n'y avait absolument aucune tension", assure à franceinfo le député du Nord Ugo Bernalicis. Mais de premières frictions interviennent à l'arrivée du député Alexis Corbière. "A compter du moment où (…) [Alexis Corbière] a pu discuter avec M. Bompard, celui-ci, qui était très calme jusqu'alors, s'est montré de plus en plus agressif à notre endroit", raconte une officière de police lors de son audition devant les enquêteurs, dont le procès-verbal a été consulté par Le Monde. De son côté, le porte-parole du parti, Manuel Bompard, dénonce des violences policières à son encontre. 

De l'autre côté de la porte d'entrée, après une courte respiration, les esprits s'échauffent à nouveau. Un peu avant 11 heures, Jean-Luc Mélenchon arrive en furie, au sortir d'une perquisition de plusieurs heures à son domicile. Dans une vidéo en direct sur Facebook, il a d'ailleurs appelé ses militants à se rendre au siège du parti pour le "défendre"L'arrivée du leader de gauche s'entend de loin. "Allez, entrez ! Ce n'est pas de la justice, ce n'est pas de la police tout ça. C'est un coup politique, lance le chef de file des députés insoumis en montant les escaliers. Vous appliquez des ordres qui sont immoraux et illégaux."

Allez, enfoncez-moi cette porte ! On va voir si on va m'empêcher d'entrer dans mon local !

Jean-Luc Mélenchon

"On n'est pas des voyous, on n'est pas des bandits", poursuit le tribun de gauche en levant un doigt vers un policier à la barbe fournie, posté devant l'entrée des locaux de son parti. "Au nom de quoi vous m'empêchez d'entrer dans mon local ? Je suis un parlementaire, vocifère encore Jean-Luc Mélenchon. Vous n'êtes pas Benalla. Vous êtes des policiers républicains. La République, c'est moi !" 

Tout en déversant sa colère, il se rapproche de plus en plus du visage du policier. "M. Mélenchon est arrivé sur ma gauche pour se mettre face à moi, son visage à quelques centimètres, je crois même que nos nez se sont touchés. Malgré tout le respect que j'ai pour sa fonction et malgré ses hurlements, il était hors de question pour moi de baisser les yeux", raconte le fonctionnaire lors de son audition, dont le procès-verbal a également été consulté par Le Monde. "Il était sous le choc, il venait d'être perquisitionné, justifie Eric Coquerel. Au fur et à mesure, on apprenait que d'autres personnes de notre parti était perquisitionnées, toute la démesure de cette opération de police apparaissait avec un sentiment d'injustice et d'incompréhension." 

"Vous ne me touchez pas"

L'agent de police fait alors un geste avec le bras pour repousser le leader politique. "Vous ne me touchez pas !", hurle le député. "Ne touchez pas à monsieur Mélenchon", appuie Bernard Pignerol, en portant un coup sur le bras du policier pour l'éloigner. "Les gestes que je commets ont pour but d'éviter tout contact physique prolongé entre un policier et Jean-Luc Mélenchon, parce que d'expérience, je sais que ça peut partir en vrille", explique-t-il aujourd'hui.

J'assume d'avoir empêché des contacts prolongés, qui pouvaient paraître agressifs envers Jean-Luc Mélenchon.

Bernard Pignerol

à franceinfo

Jean-Luc Mélenchon poursuit ses remontrances en fixant le policier, qui reste impassible : "Vous avez honte, au moins ?" Puis il invite une nouvelle fois ses camarades à "enfoncer" la porte d'entrée. Lors de son audition devant les policiers, dont des extraits ont été révélés par Le Monde, il affirmera qu'il s'agissait d'un appel symbolique : "C'est un discours assez traditionnel de ma part d'appeler à la résistance."

Mais sur le seuil des locaux de LFI, les députés insoumis tentent de forcer la porte. "J'ai compris rapidement que la porte qu'on poussait, on n'allait pas nous l'ouvrir, relève Eric Coquerel. On était davantage là pour marquer le coup et ne pas faire comme si c'était normal, il fallait prendre à témoin l'opinion publique."

"Ne vous inquiétez pas, personne n'est violent ici"

Le chef de file des députés insoumis semble perdre ses nerfs. Pour preuve, il recadre vertement une parlementaire de son groupe devant les caméras : "Ça va toi, on ne t'a pas demandé ton avis. (...) Si c'est pour faire ça, ce n'est pas la peine hein." Dans la mêlée, poussé contre les policiers, le député semble se radoucir un peu. "Je vous prends dans mes bras, parce que je vous aime trop les gars…", lance-t-il. Puis, il tente de se montrer rassurant : "Ne vous inquiétez pas, personne n'est violent ici."

L'attitude tranche avec la véhémence des paroles prononcées un peu plus tôt. "Il parlait à voix basse, juste avant de reprendre de plus belle dans l'hystérie générale, comme si tout cela était une comédie destinée aux médias", estime un policier lors de son audition, selon des propos rapportés par Le Monde. Bernard Pignerol réfute cette accusation de théâtralisation de l'événement. "Ce sont eux qui font de la perquisition un truc théâtral. Pourquoi ils ne nous invitent pas à rentrer ? Tout aurait été plus simple", estime-t-il. "Il y a un vrai sentiment d'injustice et d'inquiétude : on envoie des policiers en gilets pare-balles au principal parti d'opposition", ajoute Eric Coquerel.

On se sentait victime d'une certaine violence morale.

Eric Coquerel

à franceinfo

Après l'ouverture d'une porte de l'autre côté du palier, l'offensive des Insoumis se poursuit dans la salle de presse du parti. La foule se masse à l'intérieur, ce qui provoque une nouvelle bousculade. "Les gens qui étaient derrière la porte se sont retrouvés d'un coup dans la mêlée, raconte Eric Coquerel. On ne voyait pas ce qu'il se passait dans la cohue, mais on voyait que des policiers prenaient des gens à partie."

"Vous l'avez étranglé"

Un policier saisit alors un militant par le cou et tombe à la renverse. "Il a dit par la suite que c'était un geste technique. Mais il se serait fait exclure sur n'importe quel terrain de rugby avec cette cravate", ironise Bernard Pignerol. Le geste provoque la colère d'Alexis Corbière. "Vous vous calmez, monsieur, vous êtes violent, vous l'avez étranglé", éructe le député. "Il hausse la voix, parce qu'il sait que ça va calmer le jeu", assure Bernard Pignerol.

Dans la foulée, une altercation oppose Jean-Luc Mélenchon au vice-procureur de Paris, Jérôme Marilly. Excédé, le député pousse le magistrat. "Vous ne pouvez pas discuter calmement avec moi dans un local que vous avez envahi", tonne l'ancien candidat à la présidentielle. "C'est la loi, c'est dans le cadre de la loi", répond doctement le vice-procureur. "Alors tu vas chez Macron après ?", attaque encore le député. "Je ne vous permets pas de me tutoyer. (...) Ne me manquez pas de respect", répond Jérôme Marilly. Le magistrat reproche alors au député d'empêcher le bon déroulement de la perquisition. 

Jean-Luc Mélenchon ne se calme pas et lance un nouveau Facebook Live. "Ils sont grossiers, ils sont violents. Ils nous maltraitent", assure-t-il dans la vidéo. Après quelques conciliabules avec des proches, il poursuit ses récriminations. "Le jour 1 du gouvernement de monsieur Castaner, Macron et toute la bande, ça commence par l'invasion d'un parti libre." Il confie aussi ses craintes à des journalistes : "Ma grosse méfiance, c'est qu'ils ne viennent pas chercher, ils viennent trouver."

"La procédure ne peut pas être respectée"

Vers 11h20, le procureur reçoit un ordre de sa hiérarchie pour mettre fin aux opérations, même si celles-ci ne sont pas achevées. Les policiers quittent alors les locaux sous les huées et les protestations des Insoumis. "On ne sait pas ce qui est saisi (...) Monsieur estime qu'il n'a pas à nous dire ce qu'il prend", dénonce Alexis Corbière. "La procédure ne peut pas être respectée dans ces conditions", souffle de son côté un policier. "Dehors", crient alors plusieurs militants. Jean-Luc Mélenchon tente de se radoucir devant un procureur Marilly sur le départ : "Monsieur le procureur, vous prenez ce que vous voulez. On ne va pas vous empêcher de faire votre travail. Simplement, il faut que vous le fassiez sous les yeux des gens."

"Il y a des membres du FN parmi eux, donc il ne faut pas s'étonner qu'il y en ait qui soient vifs", commente-t-il après le départ des policiers. "Ce n'est pas comme si la police était neutre, tout le monde connaît l'appétence des policiers à voter Front national [aujourd'hui Rassemblement national], argue auprès de franceinfo Bernard Pignerol. Rappelons qu'ils interviennent dans un local où se trouve un fichier d'adhérents." A la veille du procès, les députés de La France insoumise dénoncent encore une perquisition "bâclée" et un "traitement particulier" réservé au mouvement par la justice.

De l'autre côté, 17 personnes se sont constituées partie civile, principalement des magistrats et des policiers. Certains se sont vu prescrire des incapacités totales de travail (ITT), allant de deux à sept jours. Dans les auditions, "ils ont dit avoir fait des cauchemars, après avoir vu les images à la télé et avoir dû en parler à leurs enfants, commente Bernard Pignerol, en rappelant que LFI n'a pas mis les images en ligne. Ce n'est jamais qu'une engueulade sur un palier. S'ils sont choqués pour ça, il faut changer de métier." Sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon dénonce pour sa part un "procès politique" dans le but de le "détruire" : "Je risque 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende. Ce n'est pas une petite menace." 

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