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Karine Berger, députée PS : "Il faut supprimer la fonction de Premier ministre"

Article rédigé par Thomas Bronnec - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes, lors d'une conférence de l'Autorité des marchés financiers, à Paris, le 28 novembre 2013.  (ERIC PIERMONT / AFP)

Alors que Manuel Valls s'apprête à engager la responsabilité du gouvernement, la députée socialiste des Hautes-Alpes livre son analyse sur la crise politique que traversent le gouvernement et la gauche. 

Manuel Valls s'apprête à engager la responsabilité de son gouvernement, mardi 16 septembre, à l'Assemblée nationale. L'issue du vote de confiance dépendra notamment du nombre de députés frondeurs, à l'heure où l'exécutif traverse la période la plus difficile qu'il ait connue jusqu'à présent.

Le chômage poursuit sa progression, le président de la République est personnellement atteint par le livre de son ex-compagne Valérie Trierweiler, et l'affaire Thévenoud réveille le spectre du "tous pourris". A mi-chemin du mandat de François Hollande, francetv info a demandé son analyse à Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes et auteure de Contre la mort de la gauche, avec trois autres députés, Yann Galut, Valérie Rabault et Alexis Bachelay. 

Francetv info : Vous ne faites pas partie des frondeurs, mais vous n’avez pas non plus signé l’appel des 200 députés à soutenir François Hollande. Voterez-vous la confiance à Manuel Valls ?

Karine Berger : Oui. En dépit des divergences que l’on peut avoir avec Manuel Valls, il faut que le gouvernement obtienne la confiance. La question qu’il nous pose est très simple : "Avez-vous envie que ce soit la gauche ou la droite qui gouverne ce pays ?" La réponse est tout aussi simple, pour n’importe quel député de la majorité : dire oui au gouvernement, c’est dire oui à la gauche.

Ah bon, c’est toujours la gauche qui gouverne ? Arnaud Montebourg a dit que c’était "la droite allemande"...

Tout le monde à gauche s’accorde sur une chose : l’Etat a un rôle majeur à jouer dans le pilotage de la sortie de crise, à travers le dialogue social par exemple ou encore la protection des plus faibles sur le marché du travail. C’est ce qui nous différencie des propositions de la droite, qui dessinent un programme libéral à la Thatcher où moins l’Etat est présent, mieux c’est. Nous ne voulons pas de cela.

Certes. Mais les divergences sont fortes sur la façon dont ce pilotage doit être mené, entre ceux qui veulent épauler les entreprises et ceux qui veulent soutenir le pouvoir d’achat…

Je fais partie de ceux qui ont appelé à un rééquilibrage entre la politique de l’offre, c’est-à-dire la politique de soutien à la rentabilité des entreprises, et la politique de la demande, c’est-à-dire le soutien au pouvoir d’achat des ménages, donc au chiffre d'affaires des entreprises. Mais on ne peut pas opposer les deux. Personne, au Parti socialiste, n’est "contre" les entreprises. Ce serait absurde. Le débat porte sur l’horizon temporel des mesures qui doivent être prises. Baisser de 40 milliards d’euros les prélèvements sur les entreprises, c’est une politique de moyen terme, nécessaire même si elle ne portera pas ses fruits tout de suite. La question est : que fait-on à court terme pour leur chiffre d'affaires.

Et vous avez la réponse ?

Le problème, c’est que nous nous trouvons dans une situation proche de la déflation [une baisse généralisée des prix qui entraîne une récession]. Or, il n’existe pas de politique économique qui permette de sortir de la déflation. Il faut donc une politique économique qui nous évite d’y entrer. Le gouvernement a pris acte de cette situation en assumant le fait de ne pas respecter nos engagements en terme de réduction des déficits : nous reviendrons à 3% du PIB plus tard que prévu, en 2017 et non en 2015. La situation actuelle n’est pas compatible avec un redressement trop rapide de nos finances publiques.

C’est pourtant sur cette question que François Hollande a voulu bâtir sa crédibilité lors de la campagne. Les deux premières années du quinquennat devaient être consacrées au rétablissement des comptes, les trois dernières à la redistribution… On en est loin. Que s’est-il passé ?

En 2012, nous étions confrontés à un vrai risque sur la dette souveraine de la France. Et la pensée dominante en Europe n’allait pas dans le sens de ce que nous souhaitions faire. Il était donc absolument nécessaire de donner des signaux forts aux marchés sur notre crédibilité en matière de remboursement de la dette. La première année a été consacrée à cet objectif, notamment avec l’augmentation des impôts. C’était indispensable, même si le prix à payer a été lourd, à la fois pour la cohésion de la majorité, et pour les Français.

Si c’était à refaire ?

Nous le referions ! Notre seul tort, c’est de ne pas avoir suffisamment assumé cette feuille de route en donnant parfois le sentiment de minimiser l’effort que nous demandions aux Français.

Vous n’avez pas fait d’autre erreur au début du quinquennat ?

Après l’élection de François Hollande, le contexte macroéconomique a très rapidement changé. Moins d’un an après, certains parlementaires ont alerté le président sur les conséquences de ses choix sur le pays, mais en vain parce qu'à l’Elysée, à Matignon, à Bercy, c’était une approche budgétaire qui était privilégiée. Encore une fois, donner la priorité au rétablissement des comptes était nécessaire. Mais il aurait fallu anticiper davantage la suite, écouter ceux qui disaient : "Attention, toutes nos marges de manœuvre budgétaires ne peuvent pas aller à la seule compétitivité."

L’éviction d’Arnaud Montebourg ne donne pas le sentiment que la situation a changé de ce point de vue-là…

Détrompez-vous. Les choses commencent à bouger. Au printemps, le débat sur la ligne économique était encore interdit avec l’exécutif. Et puis, progressivement, nous avons réussi à nous faire entendre sur certains sujets, comme les petites retraites, qui ont été épargnées par le gel des pensions. J'espère d'ailleurs que le Premier ministre tiendra cette promesse faite à sa majorité. Assumer le fait de renvoyer à 2017 la baisse des déficits à 3% du PIB est aussi une façon de prendre en compte une partie du message porté par les frondeurs et par Arnaud Montebourg. Le retour à un débat normalisé à l’intérieur du Parlement me paraît possible lors de l’examen du budget 2015 si tout le monde respecte sa parole. 

Vous avez le sentiment que la majorité n’a pas été assez entendue au début du quinquennat ?

Certainement. Le péché originel, c’est le rapport Gallois sur la compétitivité. Nous avons modifié la ligne politique sur laquelle nous avions été élu sur la base d’un rapport qui ne représentait rien ni personne, écrit en dehors des institutions, par quelqu’un qui n’appartenait pas à la majorité. Pour les parlementaires, au-delà même du contenu de ce rapport, cela a été dur à avaler. Le processus même a été à l’origine de la déchirure de la majorité. Nous aurions pu trouver un consensus sur l’idée d’améliorer la compétitivité des entreprises au sein de la majorité ou du PS. Le résultat n’aurait peut-être pas été très différent, mais cela aurait évité bien des difficultés.

François Hollande exerce-t-il le pouvoir de manière trop solitaire ?

Ce sont les institutions qui veulent cela. La Ve République a été mise en place alors que l’idée même de démocratie était menacée. L’objectif consistait à stabiliser la République. Elle a été tellement stabilisée qu’elle entraîne aujourd’hui un immobilisme insupportable alors que tout le monde a soif de démocratie participative, tout le monde souhaite faire entendre sa voix. Le sentiment qu’ont les gens de ne pas se faire entendre du pouvoir politique est une des causes de la montée du populisme en France. Cela explique aussi la boue qui s’étale aux portes de l’Elysée et du Parlement. Il faut réinventer un mécanisme démocratique qui permette à tout un chacun de se sentir représenté. Cela passe par une réforme des institutions.

Passer à une autre République ne changera ni la désespérance sociale du pays, ni la peoplisation de la vie politique…

Non, mais cela évitera au président d’être toujours en première ligne. Je propose, avec d’autres députés, de supprimer la fonction de Premier ministre, d'enlever au président de la République le droit de dissolution, de renforcer le rôle des députés, notamment en leur donnant un droit de veto sur les nominations des ministres. Cela participera à un rééquilibrage nécessaire du pouvoir entre l’exécutif et le législatif. Et permettra de protéger davantage le président en renforçant la responsabilité politique du Parlement. 

A chaque fois que la gauche est arrivée au pouvoir, il y a eu une mesure sociale forte : les congés payés avec Léon Blum, les 39 heures avec Mitterrand, le RMI sous Rocard, les 35 heures sous Jospin. Là, que mettrez-vous en avant ? Pas les allègements de charge, quand même...

L’éducation. Ce n’est certes pas un droit social, et cela n’a peut-être pas de conséquence directe pour les salariés, mais c’est beaucoup mieux : un investissement pour l’avenir. Nous avons stoppé le processus de liquidation de l’éducation nationale qui avait été initié par la droite. Mais au-delà des symboles, l’important, pour la gauche, aujourd’hui, c’est de reconstruire son identité : redéfinir l’idéal du socialisme confronté à la mondialisation. Voilà ce que le peuple de gauche attend de nous. Par son histoire, par ses valeurs de fraternité, d'égalité et de liberté, et aussi d'universalité, la France est belle : à nous de faire en sorte que nos concitoyens la voient de nouveau belle, comme elle est, malgré le bouleversement de la mondialisation. Si nous y arrivons d'ici 2017, nous aurons réussi le quinquennat.

François Hollande doit-il se représenter en 2017 ? Avec une cote de confiance à 13%, la question se pose, non ?

Non, elle ne se pose pas maintenant. Je ne méprise pas les sondages, mais ils ne peuvent pas être mis sur le même plan que les institutions. François Hollande a été élu pour cinq ans. Nous ne sommes qu’à la moitié du quinquennat. La question du candidat PS à l’élection de 2017 se posera quand nous aurons été au bout de ce calendrier politique, au plus tôt mi-2016. Je souhaite que le processus de la primaire soit reconduit à ce moment-là.

Même avec le président sortant parmi les candidats ?

Oui. Aux Etats-Unis, Barack Obama est repassé par une primaire en 2012. Il n’y a rien de déshonorant là-dedans. Il faut donner à notre candidat la légitimité la plus large possible, qui aille bien au-delà du parti. La primaire, c’est une chance, une modernité. Cela donne au candidat une vraie force politique. Il serait dommage d’y renoncer.

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