Cinq questions sur la déflation, ce grand mal qui guette la France
Crainte par Manuel Valls puis par François Hollande, une baisse généralisée des prix, couplée à une croissance molle, pourrait avoir des effets dévastateurs sur l'économie.
"Il y a un vrai risque déflationniste en Europe." Avec cette petite phrase, lâchée au Monde dimanche 3 août, juste avant de partir en vacances, François Hollande confirme l'analyse formulée quelques jours plus tôt par son Premier ministre, pour qui "le risque de déflation est réel". Qu'est-ce que la déflation et en quoi constitue-t-elle un "risque" pour l'économie ? Francetv info fait le point.
1La déflation, c'est quoi ?
On parle de déflation lorsque survient "une baisse généralisée et persistante des prix", selon le lexique financier des Echos.
Au XXe siècle, deux exemples historiques sont généralement cités pour illustrer ce phénomène : la grande dépression des années 30, qui s'est accompagnée d'une importante déflation, avec des baisses de prix de l'ordre de 20% dans les trois années qui ont suivi le krach boursier de 1929. Dans un tout autre genre, le Japon est englué depuis deux décennies dans une spirale déflationniste dont le pays a beaucoup de mal à s'extraire.
2Pourquoi la déflation est-elle néfaste ?
Du point de vue du consommateur, une baisse des prix peut être considérée comme une bonne nouvelle, car elle pourrait être synonyme de hausse du pouvoir d'achat. Mais c'est en réalité tout le contraire qui se produit : la chute généralisée des prix ouvre un cercle vicieux qui grippe durablement l'économie, comme l'explique cette vidéo de l'économiste Philippe Légé sur le site des Economistes atterrés.
Lorsque les prix chutent, les marges des entreprises se réduisent. Ces dernières sont donc contraintes de diminuer leurs investissements, voire de baisser les salaires. Ce qui a pour conséquence de freiner la consommation, donc de tirer encore davantage les prix à la baisse. Un effet psychologique peut en outre intervenir lorsque les prix baissent durablement : les consommateurs sont tentés de reporter leurs achats, amplifiant ainsi l'intensité de ce cercle vicieux.
Par ailleurs, la déflation pénalise les emprunteurs, qu'il s'agisse de particuliers (qui, par exemple, remboursent un crédit immobilier) ou d'Etats (qui s'endettent sur les marchés). En effet, en période d'inflation, c'est-à-dire lorsque les prix augmentent, le poids du crédit à rembourser baisse mécaniquement. Pour calculer le taux réel d'un crédit, on opère la différence entre le taux nominal et le taux d'inflation. Lorsque ce dernier est négatif, le taux réel du crédit augmente donc !
Pour les Etats européens, tout juste remis de la crise de la dette qui a affecté le continent ces dernières années, l'apparition d'une période de déflation serait donc une mauvaise nouvelle pour la maîtrise de leurs déficits. D'autant que parallèlement, la baisse des prix ferait diminuer les recettes de TVA, ce qui réduirait encore un peu plus leurs marges de manœuvre budgétaires.
3La France et l'Europe sont-elles vraiment concernées ?
Depuis plusieurs mois, la France et l'Europe observent une très faible hausse des prix. Dans la zone euro, l'inflation était de 2,6% en rythme annuel il y a encore deux ans. Depuis, elle n'a cessé de dégringoler. En juin, elle n'était plus que de 0,5%, et pourrait s'établir à 0,4% en juillet, selon les prévisions.
La tendance est sensiblement la même en France, avec une inflation de 0,6% en juin 2014 contre 1% au mois de juin 2013.
La déflation n'est donc pas (encore) une réalité, puisque les prix ne baissent pas, et encore moins dans la durée. Cependant, au vu du graphe ci-dessus, on comprend mieux pourquoi les dirigeants s'inquiètent de la tendance observée. "A un niveau d'inflation de 0,4%, on ne peut pas exclure des incertitudes quant à la mesure de la statistique", soulève en outre Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis Asset Management.
Déflation ou pas, cette inflation extrêmement faible qui baisse régulièrement en s'approchant du négatif est "inquiétante", juge Philippe Waechter. La conjonction d'une inflation quasi nulle avec une croissance elle aussi proche de zéro démontre, s'il en était besoin, l'atonie de l'économie européenne. "Il n'y a pas de tension sur l'appareil productif, ni sur le marché du travail, ni sur les prix, constate l'économiste. On ne voit pas de facteur qui tirerait l'ensemble vers le haut."
4Manuel Valls et François Hollande ont-ils parlé trop vite ?
La France, on l'a montré, ne se trouve pas en situation de déflation. Alors pourquoi les deux têtes de l'exécutif ont-elles choisi d'agiter ce chiffon rouge ? Les déclarations de Manuel Valls et de François Hollande sont d'autant plus surprenantes que le chef de l'Etat avait assuré, dans un élan d'optimisme, le 14 juillet, pour la deuxième année consécutive : "La reprise, elle est là."
Même s'ils grossissent un peu le trait, "force est de constater que l'économie ne va pas bien du tout", commente Philippe Waechter. "Avoir le discours inverse serait préoccupant. C'est alarmiste, mais nécessaire", estime-t-il.
Sur le plan politique, cette double annonce permet en tout cas au couple exécutif de préparer les esprits des Français à une fin d'année qui devrait s'avérer plus difficile que prévu. La croissance devrait être sensiblement inférieure à 1%, base sur laquelle le budget 2014 a été élaboré. Elle pourrait même s'établir à 0,5%, selon des propos tenus à huis clos par le ministre des Finances, Michel Sapin, et rapportés par Le Canard enchaîné.
En extrapolant, alors que la courbe du chômage n'a pas été inversée en 2013 comme cela avait été promis, le pessimisme désormais de mise au plus haut sommet de l'Etat permet de suggérer dès à présent que la courbe ne sera pas davantage inversée fin 2014.
Autre explication avancée : invoquer le risque de déflation en France et en Europe viserait à pousser l'Allemagne, en bien meilleure posture économique, à mettre de l'huile dans les rouages en augmentant les salaires et ses investissements. Mais à Berlin, les suggestions de François Hollande n'ont pas eu l'écho espéré : "Les déclarations très générales en provenance de Paris ne fournissent aucune raison pour de quelconques corrections dans la politique économique", a lâché la porte-parole du gouvernement allemand, Christiane Wirtz.
5Comment sort-on de la déflation ?
Si le scénario d'une déflation en France venait à se préciser, les solutions pour sortir de ce cycle infernal ne seraient pas nombreuses. Le gouvernement pourrait d'abord décider de mener une politique de relance, mais cette politique ferait voler en éclats les engagements que la France a déjà du mal à tenir concernant son déficit. Le salut pourrait alors venir de Bruxelles : le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a en effet annoncé, lors de son investiture, sa volonté de dégager 300 milliards d'euros d'investissements sur les trois prochaines années.
La Banque centrale européenne détient peut-être, elle aussi, l'une des clés du problème. Pour combattre la déflation, une banque centrale peut baisser son taux d'intérêt directeur. Cela permet en effet de stimuler la demande de crédit. Problème : le taux directeur de la BCE est actuellement de 0,25%, son plus bas historique. Début juin, elle a même innové en faisant passer l'un de ses taux à une valeur négative (-0,10%). Une mesure qui risque toutefois de ne pas suffire pour modifier la donne, explique le blog Classe Eco.
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