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Maintien de l'ordre : on vous explique la polémique déclenchée par les propos de Gérald Darmanin sur la Ligue des droits de l'homme

Lors de son audition devant le Sénat mercredi, le ministre de l'Intérieur s'est interrogé sur le financement de l'association, dans le cadre de ses activités autour du maintien de l'ordre.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, le 5 avril 2023 au Sénat, à Paris. (SENAT)

La Ligue des droits de l'homme (LDH) est-elle dans le viseur du gouvernement ? Les propos de Gérald Darmanin sur l'association, et notamment sur son financement, lors de ses auditions devant les députés et les sénateurs, mercredi 5 avril, ont provoqué une levée de boucliers à gauche. Entendu sur sa gestion du maintien de l'ordre pendant les manifestations contre la réforme des retraites et lors du rassemblement contre la "méga-bassine" de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le ministre de l'Intérieur s'est interrogé sur les "actions" menées par la LDH dans ce cadre et sur les subventions qui lui étaient accordées par l'Etat. L'association et l'opposition de gauche ont aussitôt condamné cette déclaration. Franceinfo revient sur la polémique. 

Le ministre reproche à la Ligue des droits de l'homme ses "actions" à Sainte-Soline

La LDH a déployé ces dernières semaines des observateurs citoyens lors de manifestations pour, entre autres, documenter le dispositif de maintien de l'ordre. C'était le cas à Sainte-Soline, le 25 mars. D'abord entendu par les députés de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Gérald Darmanin a fait valoir que "le tribunal de Poitiers lui-même n'[avait] pas reconnu le statut d'observateur à la LDH" à Sainte-Soline, que l'association avait "attaqué l'arrêté de la préfète qui empêchait le transport d'armes" et avait "appelé à manifester malgré l'interdiction".

En présentant un long "Power Point" sur le dispositif des autorités pour le rassemblement interdit à Sainte-Soline, le ministre est revenu devant les sénateurs de la commission des lois du Sénat sur le recours de la LDH concernant le transport d'armes. Cet arrêté, "qui semble frappé du coin du bon sens", "a été attaqué au tribunal par la Ligue des droits de l'homme. Le tribunal administratif a validé fort heureusement le travail de la préfète des Deux-Sèvres. C'est pour vous dire dans quel état d'esprit un certain nombre de personnes étaient, en vue de cette manifestation", a-t-il déclaré.

Après ce propos liminaire, le sénateur Les Républicains François Bonhomme a renchéri en s'attaquant aux "observateurs autoproclamés des pratiques policières issus de la Ligue des droits de l'homme et du Défenseur des droits". "La Ligue des droits de l'homme est financée sur fonds publics. Il faut cesser de financer des associations qui mettent en cause gravement l'Etat […] Ces associations n'ont rien à voir avec l'Etat de droit, quoi qu'elles en disent", a-t-il lancé, interpellant le ministre.

Répondant "ne pas connaître les subventions de l'Etat à la Ligue des droits de l'homme", Gérald Darmanin a ajouté : "Effectivement, ça mérite d'être regardé. Mais je rappelle que beaucoup de collectivités locales les financent."

La Ligue des droits de l'homme répond sur ce recours et sur son financement

La LDH, association fondée en 1898, s'est d'abord fendue d'un tweet pour rétorquer au ministre qu'elle œuvre "depuis plus de cent vingt ans" pour "la défense des droits et libertés", dont celle de manifester.  

L'association a ensuite longuement répondu, point par point, sur son site, aux critiques du ministre de l'Intérieur. Concernant l'appel à manifester à Sainte-Soline, elle rectifie : "Au niveau local, de manière autonome, comme les statuts de la LDH le prévoient, deux sections de la LDH ont soutenu les rassemblements prévus les 24-26 mars avant que les interdictions de manifester n'aient été prises et le comité régional Poitou-Charentes a appelé dans un second temps à la mobilisation, sans appeler à manifester, en précisant qu'un stand LDH serait tenu à Melle, lieu d'un rassemblement déclaré et qui n'a pas été interdit."

S'agissant du recours sur le transport d'armes, la LDH explique avoir "en effet formé un recours de principe en référé-liberté contre les arrêtés pris par la préfète des Deux-Sèvres et le préfet de la Vienne prévoyant l'interdiction 'd'armes par destination'. La LDH contestait la définition choisie, qui méconnaissait la jurisprudence du Conseil constitutionnel refusant l'extension a priori de la notion d'arme à tout objet pouvant être utilisé comme projectile", détaille l'association. Et d'ajouter : "Dans le cadre limité qui est le sien, le juge des référés n'a pas donné droit à cette demande de la LDH, mais celle-ci saisit le tribunal administratif au fond."

Sur le financement, Patrick Baudouin, avocat et président la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), a confirmé sur franceinfo que "les subventions de l'association", qui "représentent à peu près 30% grosso modo de ce budget", "peuvent venir de l'Etat ou des collectivités publiques ou territoriales". "Notre légitimité se trouve reconnue par l'Etat lui-même. Donc venir aujourd'hui, par une menace voilée, remettre en cause les subventions qui nous sont accordées, c'est plus qu'étonnant", s'est-il inquiété. "Jamais la Ligue des droits de l'homme n'a été remise en cause de cette manière. C'est inédit et consternant de la part du ministre d'un pays qui est encore qualifié de démocratie", a dénoncé Patrick Baudouin. 

L'opposition de gauche vole au secours de l'organisation 

Des communistes aux représentants d'EELV, l'opposition de gauche a rapidement volé au secours de l'organisation. "Cette fois, vous franchissez le Rubicon et quittez pour de bon l'espace républicain", a notamment tancé le député écologiste Aurélien Taché. "C'est comme ça qu'on fait plier tous les contre-pouvoirs dans les régimes autoritaires", a renchéri le patron du PS, Olivier Faure, sur Twitter.

"C'est du trumpisme à la française. S'attaquer à l'association historique de défense des droits humains ? On est encore en République, on est encore en démocratie ?", s'est de son côté interrogé Ugo Bernalicis sur franceinfo. "L'assaut est donné, ils sont en roue libre parce qu'ils n'ont pas de sortie politique sur la question des retraites", a estimé le député LFI du Nord.

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