Subventions à la LDH : "Inédit et consternant de la part d'un ministre d'un pays qui est encore qualifié de démocratie", selon le président de l'association
"C'est inédit et consternant de la part du ministre d'un pays qui est encore qualifié de démocratie", a réagi mercredi 5 avril sur franceinfo Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme, après les déclarations de Gérald Darmanin devant la commission des lois au Sénat : "Je ne connais pas les subventions données par l'État" à la Ligue des droits de l'homme "mais je pense que ça mérite d'être regardé dans le cadre des actions qu'ils ont pu mener", a déclaré le ministre de l'Intérieur. "Jamais la Ligue des droits de l'homme n'a été remise en cause de cette manière", affirme Patrick Baudouin. Il dénonce "les contre-vérités" du ministre de l'Intérieur et espère que la France ne soit "pas ramenée à ces pays qui viennent censurer les associations par ce mécanisme financier pour les empêcher de fonctionner".
franceinfo : Vous contestez ce que dit le ministre de l'Intérieur. Comment avez-vous pris cette déclaration ?
Patrick Baudouin : C'est inédit et consternant de la part du ministre d'un pays qui est encore qualifié de démocratie. La Ligue des droits de l'homme existe depuis 125 ans. Elle n'a qu'une seule boussole, c'est la défense des droits et libertés de tous et toutes. Je crois qu'elle est reconnue de manière assez unanime à ce titre. Évidemment, elle est amenée à contester les violations des libertés qui peuvent être commises par des gouvernants, quels que soient les gouvernants successifs, puisqu'il est vrai que quand on est au pouvoir, même dans les démocraties, il peut y avoir des atteintes aux droits de l'homme qui sont légitimement dénoncées.
Jamais la Ligue des droits de l'homme n'a été remise en cause de cette manière, sauf pendant une période noire de notre histoire qui est la période de Vichy où là, nous ne pouvions avoir ni subvention ni possibilité d'action. Donc c'est quand même tout à fait stupéfiant. Nous ne sommes pas les seuls à contester et à dire qu'il y a des violences policières. Il y a même la Défenseure des droits Claire Hédon qui le dit de manière encore plus ferme que nous, et le Haut commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, avec un regard international extérieur. Alors je crois qu'il faudrait que monsieur Darmanin revienne à la raison. Ce qu'on lui demande, c'est d'arrêter cet engrenage qui, de plus en plus, le fait plonger dans la sphère de l'extrême droite et qui ne fait qu'attiser la tension et augmenter les risques de violences et de fractures dans le pays.
Combien percevez-vous de subvention ?
On a un budget qui est un peu plus de deux millions d'euros et les subventions représentent à peu près 30 % grosso modo de ce budget. Ce sont des subventions qui peuvent venir de l'État ou des collectivités publiques ou territoriales, sachant que nous sommes partie prenante d'une action conjointe avec beaucoup de ministères. Je pense par exemple au ministère de l'Éducation nationale ou d'autres actions que nous menons en lien avec l'État pour la formation, l'éducation. Notre légitimité se trouve reconnue par l'État lui-même. Donc de venir aujourd'hui, par une menace voilée, remettre en cause les subventions qui nous sont accordées, c'est plus qu'étonnant.
"L'avantage du propos de monsieur Darmanin, c'est que immédiatement, cela a suscité, on l'a vu dès aujourd'hui, un apport de dons que nous ne connaissons pas habituellement."
Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’hommesur franceinfo
Si l'objectif est de nous bâillonner en nous privant de subventions, cela ne sera pas atteint parce que le reste de notre budget nous permet de survivre. Certes, cela nous contraindrait à des restrictions de dépenses et à quelques difficultés. Beaucoup de gens nous soutiennent. Beaucoup de gens sont scandalisés par cette menace qui va d'ailleurs bien au-delà de la Ligue des droits de l'homme. Nous dénonçons depuis maintenant des mois les atteintes aux libertés, liberté d'association par ce maniement de l'abandon de subventions, liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de manifester. Et c'est ce qui nous vaut cette réaction de monsieur Darmanin qui manifestement a été très piqué au vif à l'occasion des événements de Sainte-Soline.
Gérald Darmanin vous reproche notamment d'avoir été un observateur à Sainte-Soline.
Il confond tout. Nous avons créé un Observatoire des libertés publiques et des pratiques policières. Ce n'est pas du tout nouveau. Cela fait plusieurs années, et notamment au moment de la crise des Gilets jaunes, que cet observatoire existe. Il est composé d'équipes, d'observateurs ou d'observatrices, qui normalement doivent être protégés lors des manifestations, pour dresser un constat des éventuelles violations des droits ou violences commises par les forces de l'ordre. C'est accepté par l'État depuis très longtemps.
Monsieur Darmanin vous reproche aussi d'avoir attaqué l'arrêté préfectoral pour l'interdiction du transport d'armes. Est-ce qu'il a raison quand il dit que vous l'avez attaqué et que la justice a rejeté votre pourvoi ?
Là aussi, c'est encore un amalgame dont est friand monsieur Darmanin. Nous avons effectivement contesté cet arrêté de la préfète des Deux-Sèvres qui interdisait le port d'armes - et ça, c'est tout à fait légitime. Il va de soi qu'on n'est pas pour que des manifestants viennent avec des armes - mais aussi tout objet pouvant être utilisé comme projectile. Or, là-dessus, il y a une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui censure ce point en disant, "tout objet pouvant être utilisé comme projectile, c'est trop large". C'est cela que nous contestions. C'est vrai qu'en référé liberté, qui est une procédure d'extrême urgence, le juge des référés a rejeté cette demande. Mais on va aller au fond et on va discuter sur le fond même du dossier. Mais il va de soi qu'on n'est pas pour le port d'arme. Il serait temps que monsieur Darmanin ne profère pas une série de contrevérités tendant ou voulant discréditer une organisation de défense des droits de l'homme, dont encore une fois la seule boussole, la seule raison d'être – et en tant que président, j'y tiens beaucoup - c'est le respect des droits et des libertés de toutes et toutes, rien d'autre. Et ça, sans sélectivité.
"Je ne voudrais pas qu'on soit ramené, dans notre pays, à ces pays qui viennent censurer les associations par ce mécanisme financier pour les empêcher de fonctionner."
Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’hommesur franceinfo
Ça fait penser à des régimes illibéraux comme en Hongrie, en Pologne, voire chez monsieur Poutine. J'espère que nous n'en sommes pas là. Et moi, je voudrais qu'un dialogue s'instaure. Il ne s'agit pas d'être contre les forces de l'ordre. Il s'agit de vouloir une police qui, au nom de l'État, d'un État responsable, permette de respecter le droit et en particulier celui de manifester.
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