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Document Sainte-Soline : dans un enregistrement, un opérateur du Samu dit avoir reçu "l'ordre de ne pas envoyer" de secours

"On n'enverra pas d'hélicoptère ou de moyen Smur sur place parce qu'on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l'ordre", explique un opérateur du Samu à un médecin dans un enregistrement de la Ligue des Droits de l'Homme que franceinfo a consulté.
Article rédigé par franceinfo - Margaux Stive, Laura Lavenne
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un opposant aux bassines, grièvement blessé le 25 mars 2023. (MATHIEU HERDUIN / MAXPPP)

La Ligue des droits de l'homme accuse les forces de l'ordre d'avoir entravé l'intervention des secours, samedi, à Sainte-Soline lors d'une manifestation interdite contre les retenues d'eau. Dans un enregistrement audio de 7min30, scripté et révélé par le journal Le Monde , mardi, que franceinfo s'est procuré mercredi 29 mars, on entend un échange téléphonique entre un médecin et un opérateur du Samu.

>> Sainte-Soline : les parents du manifestant dans le coma ont déposé une plainte contre X pour "tentative de meurtre" et "entrave aux secours"

La publication de ce document intervient alors que deux manifestants sont toujours dans le coma, l'un d'entre eux entre la vie et la mort. Il était samedi en urgence absolue, selon la formule usuelle.

Un blessé grave et des secours qui n'arrivent pas

La Ligue des droits de l'homme avait envoyé six équipes de trois observateurs sur le terrain. Quatre autres bénévoles étaient restés en appui dans une salle dans la commune de Melle : trois avocats et un médecin généraliste dont le téléphone sonne sans cesse.

On signale à ce derniers des blessures de toutes sortes, dont au moins une très grave : un homme blessé à la tête, inconscient, avec hémorragie. Ce médecin a déjà appelé une première fois le médecin régulateur du Samu pour réclamer un hélicoptère. Ensuite parce que les observateurs de la Ligue des droits de l'homme lui ont dit que les secours n'arrivaient pas. Il rappelle les pompiers :

- Pompier : Il faut rassembler les victimes à l'église de Sainte-Soline. Une fois que ce sera là-bas, l'engagement des moyens sera décidé...

- Médecin : Moi je pense que ce n'est pas opportun comme décision... Je suis médecin et en fait, là, il y a des observateurs de la Ligue des droits de l'homme qui sont sur place et qui disent que c'est calme depuis une demi-heure. Donc, en fait, vous pouvez intervenir. Moi, mon évaluation à distance, avec des éléments parcellaires que j'ai, c'est qu'il faut une évacuation immédiate.

- Pompier : Je vais vous repasser le Samu, ne quittez pas.

- Médecin : Allo ? Le Samu ? C'est vous que j'ai eu tout à l'heure au téléphone ? Vous en êtes où de la plus grosse urgence absolue de ce que j'ai comme impression, moi, de loin...

- Samu (agacé) : Alors déjà, vous n'êtes pas sur place, donc c'est un peu compliqué. On a eu un médecin sur place et on lui a expliqué la situation : on n'enverra pas de moyens Smur ou d'hélico parce qu'on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l'ordre.

- Médecin : Je suis avec des observateurs de la Ligue des droits de l'homme qui disent que les observateurs sur place disent que c'est calme depuis 30 minutes et qu'il est possible d'intervenir ?

- Samu : Je suis d'accord avec vous, vous n'êtes pas le premier à le dire. Le problème, c'est que c'est à l'appréciation des forces de l'ordre et qu'on est sous un commandement, qui n'est pas nous. Donc, pour l'instant, on a ordre de rassembler les victimes au niveau de l'église de Sainte-Soline, avec des moyens pompiers qui se déplacent sur site pour prendre en charge et ramener. Mais pour l'instant, on n'aura pas de moyens de Smur ou d'hélico ou de quoique ce soit sur place.

L'échange téléphonique entre un médecin et un opérateur du Samu mobilisé sur Sainte-Soline, révélé par le journal "Le Monde".

Des médecins militaires sont arrivés entretemps sur le site, note le médecin, qui espère qu'ils pourront évaluer la situation. Faux espoir : "Les médecins militaires sont là pour les forces de l'ordre, c'est leur service de médecine", explique l'opérateur du Samu. L'avocate de la Ligue des droits de l'homme s'invite dans l'appel. Elle évoque un cas de "non-assistance à personne en danger".

- LDH : Vous confirmez que vous avez interdiction d'intervenir alors que vous avez...?

- Samu : On a pas l'autorisation d'envoyer des secours sur place parce que c'est considéré comme étant dangereux sur place. On a pas a l'autorisation de toutes les institutions sur place.

- LDH : Qui sont les institutions sur place ? Parce qu'il y a non-assistance à personne en danger grave, vital. Qui interdit l'accès à cette personne en danger ? On a besoin d'analyser très clairement qui peut décider. Pour que les responsabilités soient établies, on a besoin de savoir ?

- Médecin : Vous confirmez que c'est la Préfecture qui interdit l'accès...

- Samu : Non, ce n'est pas la Préfecture, c'est le commandement sur place.

- Médecin : Comment on fait pour contacter le commandement sur place ?

- Samu : Eh ben... il faut passer par la Préfecture.

- Médecin : OK. Et est-ce qu'on peut faire le 17 pour avoir le commandement sur place ?

- Samu : Il faut passer par les forces de l'ordre, effectivement.

Dans un droit de réponse, communiqué mardi soir, la préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, répond qu'il "appartient aux forces de l’ordre, informées en temps réel de la situation, de définir si l’arrivée d’un véhicule de secours à un certain point est possible ou non de façon sûre pour lui". Elle ajoute qu'il n'est "pas surprenant" que "si les conditions de sécurité n’étaient pas réunies, les forces de l’ordre aient pu, pour certaines géolocalisations et dans certaines périodes de temps, indiquer qu’un envoi d’ambulance n’était pas possible dans l’immédiat". 

Interrogé mercredi sur RTL, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a assuré que "les secours sont arrivés dès qu'ils ont pu". "Il faut d'abord géolocaliser le blessé dans des champs", explique le ministre de l'Intérieur. "Et avant d'envoyer des secours il faut ensuite pouvoir les sécuriser", poursuit Gérald Darmanin qui assure que face à la "violence" sur place "les gendarmes ont pris sur eux d'envoyer le médecin du GIGN".

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