Eric Dupond-Moretti jugé pour prise illégale d'intérêts : "on n'a jamais connu ça" mais cela ne peut pas "empêcher le ministre de continuer à être au gouvernement", explique Marylise Lebranchu, ancienne garde des Sceaux
Ancienne garde des Sceaux sous Lionel Jospin, entre 2000 et 2002, Marylise Lebranchu réagit jeudi 14 septembre sur franceinfo au procès à venir d'Eric Dupond-Moretti. Le ministre de la Justice sera jugé pour prise illégale d'intérêts du 6 au 17 novembre devant la Cour de justice de la République. Une première pour un membre d'un gouvernement en exercice
Eric Dupond-Moretti est soupçonné d'avoir usé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu des différends quand il était avocat.
franceinfo : que pensez-vous du fait qu'Eric Dupond-Moretti soit jugé ?
Marylise Lebranchu, ancienne garde des Sceaux :
C'est une situation baroque. On n'a jamais connu ça. C'est une situation difficile pour le gouvernement et le ministre de la Justice, mais le ministre ne sera pas empêché d'être ministre même s'il doit répondre devant une Cour de justice. Ce qu'en penseront les Français, je ne sais pas, mais je ne crois pas que cela puisse grandir l'image des politiques. Je trouve ça dommage parce qu'à chaque fois que l'image des politiques est écornée, c'est l'équilibre de la démocratie qui est touché. Quand c'est en plus le garde des Sceaux c'est sans doute plus compliqué.
Peut-on continuer à diriger son ministère et être entendu par la justice en même temps ?
C'est compliqué de répondre puisque cela n'a jamais existé. Mais rien en droit ne peut empêcher le ministre de continuer à être au gouvernement. En droit, un ministre peut être empêché, être malade, avoir un enfant, un empêchement personnel pendant quelques jours, et la seule chose qu'on lui demande, c'est qu'il puisse joindre son directeur de cabinet en cas de question sensible. En France, tout est organisé pour que le ministre puisse être empêché d'une quelconque fonction. En droit, cela fonctionne puisque le directeur de cabinet a la signature. Est-ce que cela fonctionne de la même façon ? Je ne crois pas. Mais est-ce que l'institution judiciaire fonctionne parfaitement pendant ce temps ? Oui, parce que la situation ne dépend pas matin, midi ou soir du ministre de la Justice. En droit, il n'y a rien qui puisse conduire la Première ministre à demander la démission de son ministre.
La Cour de justice de la République est composée de 3 juges, 6 députés, 6 sénateurs, avec qui le ministre est amené à travailler tous les jours. Est-ce problématique ?
Cela pose un problème ou une grande difficulté pour les parlementaires qui connaissent le ministre. C'est très complexe et très difficile, je pense, pour tout le monde dans cette situation d'être parfaitement serein et totalement dans le rôle d'un parlementaire qui devient juge. Ce n'est pas impossible mais difficile. Je ne veux pas polémiquer, mais je me disais au mois de juillet qu'il [Eric Dupond-Moretti] allait démissionner parce que cela allait être trop compliqué. Aurais-je manqué de courage dans une situation complexe ? Je ne le sais, mais cela me paraissait plus simple pour tout le monde.
François Hollande voulait supprimer la Cour de justice de la République. Cette justice d'exception pour les membres du gouvernement a-t-elle encore sa place ?
J'étais assez d'accord avec la position de François Hollande parce que je me mets plus dans le regard que projette sur cette Cour de justice le citoyen lambda qui connaît la justice. L'idée même d'avoir des parlementaires qui deviennent juges pendant un temps peut paraître difficile à comprendre. Je pense que la majorité des citoyens préféreraient sans doute qu'il n'y ait pas d'exception. Je pense qu'on aurait dû aller au bout de cette histoire. Cela se fera sans doute.
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