Emmanuel Macron giflé : la protection des présidents, un révélateur de la manière d'exercer le pouvoir
L'agression du chef d'Etat français lors d'un bain de foule met en lumière la façon dont la sécurité est gérée en France et les différences culturelles en la matière avec d'autres pays.
Un président qui s'élance sans prévenir vers la foule, prenant de court ses gardes du corps. Cette image, qui précède celle de la gifle reçue par Emmanuel Macron lors d'un déplacement dans la Drôme, mardi 8 juin, en dit long sur la tradition française en matière de sécurité des chefs d'Etat. "Aux Etats-Unis, le président est l'otage de ses officiers de sécurité. En France, ça se négocie", résume pour France Télévisions René-Georges Querry, l'ancien chef de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste. Au-delà des questions de sécurité nationale, la protection des plus hauts dirigeants de ce monde, qui plus est en période électorale, est un enjeu éminemment politique dans chaque pays. Et le fruit d'une histoire particulière.
En France, la sécurité du président commence à s'étoffer après l'attentat manqué du Petit-Clamart (Hauts-de-Seine) en 1962 contre le général de Gaulle. La protection rapprochée du chef de l'Etat est alors assurée par quatre policiers, surnommés "gorilles" en raison de leur carrure. Mais il faut attendre 1983 pour voir la création d'un vrai service : le GSPR, le groupe de sécurité de la présidence de la République. Sa mission : faire face aux "menaces d'ordre terroriste qui pesaient à l'époque sur la personne du président de la République", resitue sur franceinfo son créateur, Alain Le Caro.
A chaque président français son style
Une autre raison, plus personnelle, explique la mise en place du GSPR. Il s'agit alors de protéger deux secrets d'Etat : la double-vie de François Mitterrand et la maladie du président socialiste. Mais la liberté de mouvement du chef de l'Etat reste la priorité.
"L'originalité aussi du GSPR est qu'on ne voulait pas mettre le président dans une cage. C'est à nous de nous adapter aux exigences et aux besoins du président."
Alain Le Caro, créateur du GSPRà franceinfo
Cette culture des services de protection français perdure sous Jacques Chirac. Le successeur de Mitterrand va encore plus au contact de la population et déteste la sécurité rapprochée. En témoigne sa visite à Jérusalem en octobre 1996 et sa célèbre phrase lancée aux gardes israéliens : "This is not a method !" L'incident n'a rien de personnel. "Au nom de la sécurité, les policiers israéliens voulaient empêcher politiquement Chirac d'avoir un contact direct et de donner l'image d'un président français populaire chez les Palestiniens. (...) On a un très bel exemple de ce qu'une protection rapprochée peut avoir comme dimension politique", analysait René-Georges Querry.
L'organisation même du GSPR révèle des luttes d'influence. D'abord constitué de gendarmes du GIGN, il finit par intégrer des policiers, formés au service de la protection (SDLP), afin de respecter l'équilibre entre les deux institutions. Mais lors de son arrivée au pouvoir en 2007, Nicolas Sarkozy placardise les hommes du GSPR et s'entoure de sa propre garde rapprochée, constituée de "superflics" aux moyens renforcés. Selon L'Express, l'ex-ministre de l'Intérieur n'a pas pardonné "cette fidélité toute militaire aux consignes de confidentialité absolue données par Jacques Chirac, lors de son hospitalisation au Val-de-Grâce, le 2 septembre 2005, pour un accident vasculaire cérébral".
Macron ne sera pas davantage protégé
Avec l'accession à l'Elysée du socialiste François Hollande en 2012, le GSPR est remis sur pied et dirigé, pour la première fois, par une femme, la commissaire Sophie Hatt. Celui qui se présente comme le président "normal" lui donne une consigne : la protection la plus discrète possible, quitte à parfois faire faux bond à son service d'ordre.
Son successeur Emmanuel Macron va lui aussi mettre sa patte sur la gestion de sa sécurité, en confiant sa supervision à un civil, Alexandre Benalla. Avant d'être mis en cause pour avoir brutalisé un manifestant le 1er mai 2018, le conseiller du président avait travaillé à une nouvelle organisation, avec la création de la direction de la sécurité de la présidence de la République. La DSPR, qui chapeaute le GSPR et la Garde républicaine, est actuellement dirigée par le colonel Benoît Ferrand.
Cette réforme n'a pas modifié en profondeur l'esprit à la française de la protection présidentielle. Et l'épisode de la gifle n'y changera rien, glisse à franceinfo une source présente sur place : "Il n'y a pas de renforcement de la sécurité à prévoir, le président souhaite aller au contact, déambuler, rencontrer les Français de manière désinstitutionnalisée."
Aux Etats-Unis, des moyens colossaux
"La tradition présidentielle française, contrairement à d'autres pays comme les Etats-Unis, la Russie ou encore Israël, c'est que le président fait ce qu'il veut", confirme sur les ondes Pascal Bitot-Panelli, ex-commandant fonctionnel du service de la protection et organisateur de déplacements présidentiels de 1994 à 2014. "Cela amène des risques multiformes, des besoins d'adaptation et la nécessité d'être beaucoup plus performant."
"Ça peut arriver également de déconseiller quand on sent qu'un déplacement peut mal tourner mais c'est à la personnalité de décider."
Pascal Bitot-Panelli, ex-commandant du service de la protectionà franceinfo
C'est l'exacte inverse outre-Atlantique. "Ce sont les services de protection qui disent au président ce qu'il peut faire ou ne pas faire, qui décident des sites et des lieux qu'il peut voir ou ne pas voir", souligne auprès de franceinfo une gradée de la police française, qui a participé à la sécurisation de la visite de Donald Trump en France en juillet 2017. Limousine blindée, tireurs d'élite, dispositif anti-drone, brouilleurs de téléphones portables... Des moyens de sécurité considérables avaient été déployés et plus d'un millier d'agents du United States Secret Service (USSS), l'agence gouvernementale américaine chargée de la sécurité du président américain depuis 1901, avaient fait le déplacement.
Dans un pays où quatre présidents en exercice – Abraham Lincoln, James Garfield, William McKinley et John Kennedy – ont été assassinés et où le port d'arme est un droit constitutionnel, la vie du chef de l'Etat est littéralement entre les mains de ses gardes du corps. Ces derniers, plus visibles que leurs collègues français, calculent chaque mouvement du président et donnent leur accord au préalable pour une séance bain de foule. Leur devise : "zero fail" ("zéro faute"), rappelle Le Parisien. Une exigence de tous les instants, gourmande en effectifs (3 200 agents, contre 70 au GSPR en France) et en budget (2 milliards d'euros par an, contre 8 millions en France).
Une stratégie de la normalité pour Merkel
Entre cette protection très rapprochée à l'américaine et le compromis français, certains dirigeants européens affichent une insolente liberté, tout aussi savamment calculée. On se souvient des photos d'Angela Merkel en train de faire ses courses au supermarché en 2007, un garde du corps devant le magasin et deux à l'intérieur. Comme l'analysait alors Le Figaro, la chancelière allemande semblait vouloir montrer qu'elle pouvait entrer dans la peau de Madame Tout-le-monde. Ayant toujours "refusé d'habiter la chancellerie", Angela Merkel vit "dans un appartement tout simple et à peine surveillé (...) au bord de la Spree", note sa biographe Marion Van Renterghem, auteure de Angela Merkel, l'ovni politique. "C'est ce train de vie très modeste, très nature, qui lui a valu le surnom de 'Mutti', la bonne mère de famille, même si elle n'a pas d'enfants", observait pour franceinfo Blandine Milcent, la correspondante de la Radio télévision suisse (RTS) à Berlin.
Le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa, réélu au début de l'année, a une stratégie similaire. Sans chauffeur, il fait ses courses en bermuda au supermarché, partage un repas avec des sans-abri. L'été dernier, c'est lui qui a joué les sauveteurs en se jetant à la mer pour venir en aide à deux jeunes touristes entraînées par les vagues. La proximité avec ses électeurs est devenue sa marque de fabrique, à tel point qu'il se tient toujours prêt à se faire photographier avec ses fans pour un "marselfie", hashtag devenu populaire, rapporte Courrier international.
Aux Pays-Bas, une photo du Premier ministre Mark Rutte en train de garer son vélo dans la cour du palais royal avant une entrevue avec le roi a fait le tour des réseaux sociaux en 2017. Une liberté de déplacement qui lui permet de promouvoir sa politique : favoriser les infrastructures du pays, la santé et l'environnement. Plus efficace qu'un programme.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.