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"C'est un très bon soldat de la macronie" : les journalistes politiques racontent la méthode Sibeth Ndiaye, nouvelle porte-parole du gouvernement

Article rédigé par Raphaël Godet, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, à l'Assemblée nationale le 2 avril 2019. (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

L’ancienne conseillère en communication d'Emmanuel Macron a été nommée dimanche à l’un des postes les plus exposés du gouvernement. A la grande surprise des journalistes politiques, qui ont raconté à franceinfo les relations parfois compliquées qu'ils entretiennent avec elle.

On l'entend s’esclaffer au bout du fil. "Quand j’ai vu qu’elle avait été nommée, je me suis dit : 'Ils vont bien s’amuser les journalistes qui font les comptes-rendus du Conseil des ministres'", livre à chaud ce reporter d’un hebdomadaire national. Elle, c'est Sibeth Ndiaye, promue porte-parole du gouvernement, dimanche 31 mars lors d’un mini-remaniement. Si le grand public ne la connaît pas encore, les journalistes politiques, eux, la côtoient tous les jours.

Chargée des relations presse du candidat Macron durant la campagne, Sibeth Ndiaye est devenue sa conseillère en communication à l’Elysée. Cash mais maniant très bien la langue de bois, parfois distante, voire cassante avec les journalistes, cette très proche du président entretient des relations compliquées avec la presse. La preuve : la plupart des journalistes politiques interrogés par franceinfo ont requis l’anonymat, quand d’autres ont carrément refusé de s’exprimer. Sollicitée par franceinfo, Sibeth Ndiaye n'a, pour sa part, pas donné suite.

Une disponibilité à géométrie variable

Néanmoins avec certains, le courant passe bien. "Il y a une forme de respect professionnel dans sa relation avec les journalistes, je n’ai jamais eu de problème avec elle", témoigne un reporter télé. "Je l'appelais pour des trucs factuels, pour vérifier des choses", abonde l’éditorialiste d’Europe 1, Jean-Michel Aphatie, qui souligne la "courtoisie" de leurs échanges.

C’est quelqu’un d’assez disponible comme doit l’être le responsable presse d'un candidat, puis d’un président.

Bruno Jeudy, chef du service politique de "Paris Match"

à franceinfo

Selon un journaliste de la presse écrite, "elle est très disponible, très réactive, elle écrit en langage SMS". Un style qui lui a parfois causé du tort, comme lors de la publication par Le Canard enchaîné d'un texto qu'elle aurait envoyé à propos de Simone Veil – "Yes, la meuf est dead" – , SMS qui était en réalité tronqué.

D’autres journalistes, au contraire, racontent avoir eu du mal à joindre celle qui a été la conseillère presse d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif de François Hollande. "C'est quelqu’un qui ne répond jamais au téléphone, ça ne simplifie pas le travail", ironise une journaliste de la presse écrite.

"Parfois, elle accuse réception de mes SMS deux jours après. Au moins, son prédécesseur, Gaspard Gantzer [sous François Hollande] était efficace. Il répondait vite. Et à tout le monde, sans distinction", renchérit une journaliste radio, qui dénonce "du mépris dans son comportement" : "C'est incroyable qu'une conseillère presse de l'Elysée ne réponde pas à tout le monde."

En gros, dès qu'un journaliste ne s'exécute pas en utilisant les éléments de langage, c'est un fouille-merde. Ça, c'est très propre à la macronie.

Une journaliste radio

à franceinfo

Franck Annese en sait quelque chose : le patron du groupe So Press affirme que le service de presse de l'Elysée lui a fait savoir qu'il n'aura plus accès à Emmanuel Macron jusqu'à la fin de son mandat. Sanction décidée, selon lui, par Sibeth Ndiaye elle-même, après qu'il a refusé de faire relire une interview du président parue dans Society. "Elle m'a appelé énervée, se souvient le patron du groupe So Press. Je ne suis pas contre une relecture, c'est le jeu. Mais là, c'était carrément de la réécriture. J'ai tenu tête. Depuis, on ne s'est jamais reparlé."

Sibeth Ndiaye, Benjamin Griveaux, Jean-Marie Girier et Julien Denormandie (de gauche à droite) arrivent à l'Elysée pour l'investiture d'Emmanuel Macron, le 14 mai 2017. (DENIS MEYER / HANS LUCAS)

Un autre journaliste soutient que Sibeth Ndiaye l'a menacé, début 2017, de ne plus l'accréditer aux futurs meetings du candidat Macron. Il venait de publier, quelques jours plus tôt, un livre qui aurait, selon lui, déplu au futur président. "J'étais extrêmement choqué. Quand le FN refuse l'entrée à "Quotidien" ou Mediapart, tout le monde s'offusque. Mais là, ce sont des pratiques peu démocratiques venant de l'entourage d'un candidat dit démocratique", s'étonne-t-il. 

Les mois qui ont suivi, j'ai senti que j'étais au congélateur, elle ne répondait plus à mes SMS. Aujourd'hui, c'est revenu, même si c'est loin d'être chaleureux. Après tout, ce n'est pas ce qu'on lui demande.

Un journaliste

à franceinfo

Certains reporters insistent aussi sur l’aspect "très com" des éléments qu’elle leur livrait. "J’ai bien travaillé avec elle sur des questions d’organisation, mais sur le récit du quinquennat, je passais par d’autres sources, elle se contentait d’une phrase ou deux, cela ne suffisait pas", rapporte une journaliste télé. "C’est un très bon soldat de la macronie, nos entrevues se passaient bien à l’Elysée, mais c’était de l’élément de langage pur, ce n’était pas hyper intéressant", complète une autre.

"C'est une adepte de la communication pure et dure. Elle lâche très peu de choses sur ce qu'elle pense personnellement", renchérit un journaliste télé. Ce reporter a eu beau essayer, "elle ne balance rien. Sans esprit péjoratif, c'est clairement la voix de son maître".

"Quand quelque chose ne lui plaît pas, elle appelle"

Ces derniers mois, les journalistes politiques interrogés par franceinfo ont constaté que Sibeth Ndiaye avait semblé baisser la garde à plusieurs reprises. "Quand l'affaire Benalla a éclaté l'été dernier, elle a commencé à naviguer à vue, se rappelle un journaliste télé. Ce n'est pas simple de communiquer dans pareil cas, elle était bien embêtée, je n'aurais pas voulu être à sa place. Tout le monde lui tombait dessus. Elle était moins dedans." Le feuilleton ne fait pourtant que commencer.

"Ça devenait de plus en plus compliqué", se souvient un reporter. Mi-novembre, des dizaines de milliers de Français, gilets jaunes sur le dos, installent tables et chaises sur les ronds-points du pays. Les samedis de mobilisation s'enchaînent et une journaliste télé constate que les coups de téléphone de la conseillère presse aussi. "Quand quelque chose ne lui plaît pas, elle appelle et c'était plus régulier pendant les 'gilets jaunes'", affirme-t-elle.

"Elle était sur la sellette"

Début janvier, nouveau coup dur pour la conseillère qui doit gérer la démission de son collègue Sylvain Fort. Officiellement, le directeur de la communication et de la presse, qui écrivait les discours du président, s'en va pour raisons personnelles. Ceux qui osent alors la questionner sur le nom d'un éventuel successeur disent en avoir pris pour leur grade. "Elle était très irritée, très agacée, elle bondissait quand on abordait le sujet. Elle nous disait : 'Ça vous empêche de dormir qu’il n'y ait pas de 'dir com' à l’Elysée ?'" 

Des rumeurs la disent elle-même sur le départ. "Elle était sur la sellette", lâche un journaliste. Dans la cour de l'Elysée, "la cassure" est de plus en plus visible avec la presse. "Elle était directrice de communication par intérim, un poste plus stratégique et moins en relation directe avec les journalistes, constate un reporter radio. Ça l'intéressait plus que d'être en contact avec nous. Macron avait compris qu'elle ne pouvait plus rester à son poste."

Les relations entre la presse et elle étaient exécrables. Elle ne répondait plus ou très peu. On avait beaucoup de mal à avoir des interlocuteurs à l’Elysée.

Un journaliste radio

à franceinfo

Une consœur va même loin plus loin pour décrire les derniers jours de Sibeth Ndiaye à son poste. "Je crois surtout qu'elle n'aime pas les journalistes. Ça la saoulait, à la fin, de leur répondre. Ce qui est un sujet quand tu es conseillère presse…".

Sibeth Ndiaye et Benjamin Griveaux, lors de la passation de pouvoir entre la nouvelle et l'ancien porte-parole du gouvernement, le lundi 1er avril à Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)

Deux heures avant l'officialisation de sa nomination, les SMS ont commencé à tomber sur les portables des journalistes politiques. Personne ne l'avait vu venir. "Je n'y ai pas cru", tombe des nues un reporter. Un journaliste de la presse régionale basé à Paris parle de "choix inattendu pour un poste quand même très politique".

Nous, suiveurs politiques, on était habitués à côtoyer des gens comme Najat Vallaud-Belkacem, Stéphane Le Foll, Laurent Wauquiez. Là, c'est une inconnue du grand public qui prend le poste.

Un journaliste

à franceinfo

En y regardant de plus près, beaucoup admettent que "c'est une nomination bien sentie de la part de Macron", "ça lui ressemble", "c'est un coup". Lara Marlowe, qui arpente les lieux de pouvoir parisiens pour le Irish Times depuis 1996, applaudit des deux mains. "On lui fait un procès d'intention parce qu'elle détonne. Au contraire, c'est bien qu'elle sorte du moule, j'aime bien sa façon d'être. Si j'étais présidente, je choisirais une personne comme elle, c'est clair." 

Ironie du sort : les journalistes politiques vont maintenant scruter au quotidien celle qui les observait discrètement jusque-là. Reste maintenant à savoir si elle a les épaules pour "un poste quand même très politique". Certains lui suggèrent quand même de "prendre un peu de rondeur". "Il va falloir qu'elle trouve son style, qu'elle s’institutionnalise un peu", appuie une journaliste télé. Jean-Michel Aphatie estime qu'elle "peut être bonne", "si elle sait qu’elle a changé de registre".

Elle n'a pas le choix. Soit elle est une révélation, soit ça risque de ne durer que quelques mois.

Jean-Michel Aphatie, éditorialiste à Europe 1

à franceinfo

"Tout le monde a envie d’être méchant avec Sibeth Ndiaye, glisse, en fin de conversation, cet observateur de la vie politique depuis François Mitterrand. C’est un truc qui nous dérange, nous journalistes, elle devient une femme politique et elle nous échappe, décrypte-t-il. Il y a une relative hostilité à cette nomination qui est sourde et que l’analyse n’explique pas, on est dans des sentiments." 

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