Cet article date de plus de deux ans.

Portrait Sandrine Rousseau, l'écoféministe qui n'a pas fini de cliver, contre vents et marées

Article rédigé par Thibaud Le Meneec - avec Hugo Capelli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
La députée EELV Sandrine Rousseau, à Strasbourg (Bas-Rhin), le 7 octobre 2022. (PATRICK HERTZOG / AFP)

Au cœur de nombreuses polémiques, l'ambitieuse députée écologiste de Paris divise au sein de son propre camp. Elle assume le clivage pour faire exister son courant.

"Sandrine Rousseau, je ne la présente pas, vous la connaissez tous." L'annonce du gérant de la librairie Jonas, à Paris, pour introduire la rencontre avec la députée Europe Ecologie-Les Verts (EELV), co-autrice de Par-delà l'androcène (éditions du Seuil), est succincte. Pas besoin d'en dire davantage. La mèche grisonnante et les lunettes rondes de l'écologiste de 50 ans sont désormais bien installées au cœur du paysage politique et médiatique français. Sandrine Rousseau ne cache pas sa satisfaction auprès de franceinfo : "Qui aurait pu dire qu'on en serait là, il y a un an ?"

Propulsée sur le devant de la scène lors la primaire écologiste de septembre 2021, Sandrine Rousseau est omniprésente depuis la fin de l'été 2022. Tour à tour, elle a déclenché une polémique sur le lien entre consommation de viande et virilité, choqué une partie de la classe politique en défendant le "droit à la paresse" et fait éclater l'affaire Julien Bayou en affirmant, sur le plateau de l'émission "C à vous" (France 5), que le dirigeant d'EELV était responsable de "comportements de nature à briser la santé morale des femmes", notamment envers une de ses anciennes compagnes.

"Manque de prudence"

Cette déclaration a provoqué un séisme politique à gauche et déclenché un flot de critiques ininterrompues depuis trois semaines. "Elle n'aurait pas dû se faire la porte-parole d'une affaire dont elle ne connaît pas grand-chose", a par exemple fustigé le socialiste Olivier Faure. L'ancienne ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol, elle, a mis en garde contre les risques d'un "ball-trap" en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). "Elle est vraiment féministe et convaincue, mais il y a peut-être un manque de prudence dans ses propos", prolonge un parlementaire socialiste.

Sandrine Rousseau a-t-elle manqué de précaution ? Sur les violences sexistes et sexuelles ou la virilité, "elle tient de fait un discours transgressif, mais il n'y a pas de volonté de choquer", précise Alice Coffin, amie et conseillère de Sandrine Rousseau lors de la primaire écologiste, où elle avait échoué de peu à battre Yannick Jadot. "Elle a une approche trop conceptuelle, c'est un peu sa faiblesse", pointe par ailleurs un député de la Nupes, "pas fan de sa stratégie" d'être au barycentre des polémiques. "Les mots-obus peuvent faire mal, il faut faire attention." Ce que nuance Hadrien Clouet, député LFI de Haute-Garonne.

"Elle joue à l'offensive, assume l'incarnation d'une aile frontale et utilise un autre langage politique, très incisif."

Hadrien Clouet, député LFI

à franceinfo

Au fil des mois, cliver est devenu chez Sandrine Rousseau une stratégie médiatique payante, mais à haut risque. Car parmi ses détracteurs hors du champ politique, le désaccord se transforme parfois en haine sur les réseaux sociaux. "Je reçois une dizaine de messages d'insultes ou de menaces par jour", assure-t-elle. Pour tenter d'en limiter l'impact, le ministère de l'Intérieur lui a proposé le 11 octobre de "lancer une évaluation" de la situation en vue d'une possible protection policière, qu'elle dit ne pas avoir demandée. "J'assume d'avoir des adversaires politiques, ce qui n'était pas le cas d'une certaine écologie, qui avait gommé ses aspérités", résume celle qui avait fait une pause politique entre 2017 et 2020, après le retentissement de l'affaire Denis Baupin.

Sandrine Rousseau (à gauche) lors d'une conférence de presse sur l'affaire Denis Baupin, à Paris, le 7 mars 2017.  (THOMAS SAMSON / AFP)

A son retour en politique, en vue de la primaire écologiste de 2021, Sandrine Rousseau s'est inspirée, avec l'aide de proches, de la communication d'Alexandria Ocasio-Cortez, jeune élue démocrate de l'Etat de New York, qui incarne la radicalité féministe américaine. "Comme AOC, elle passait sous les radars médiatiques, les journalistes ne voyaient pas ce qui pouvait arriver. Aujourd'hui, elle n'est plus invisible", se félicite Alice Coffin. "Au bout d'un moment, ça va lasser et les gens vont commencer à tourner la page", anticipe Claire Monod, qui briguait l'investiture dans la circonscription parisienne finalement obtenue par Sandrine Rousseau pour les législatives.

"Elle fait de l'écopopulisme, avec une façon outrancière d'haranguer l'espace public."

Claire Monod, écologiste parisienne

à franceinfo

Le congrès en ligne de mire

Un langage "incisif", des polémiques à répétition… La mécanique est rodée, assumée. "Mes prises de position permettent de démasquer les usurpateurs. Ça les crispe et fait voler leur vernis en éclat, justifie l'écoféministe revendiquée. Je ne le fais pas pour moi. L'objectif, c'est d'abord d'amener le débat sur l'écologie pour aborder ensuite la question des solutions."

Là, se trouve l'un des angles d'attaque de Sandrine Rousseu en politique : gagner la "bataille culturelle" pour imposer ses mots dans l'opinion. Elle se gargarise déjà d'avoir gagné une manche au sein de son parti. "On m'a critiqué sur la radicalité, mais tous les courants du parti parlent de radicalité aujourd'hui", se targue la quinquagénaire. "La radicalité est chez les écologistes quelque chose que nous avons en commun, puisque notre projet est radical", réplique Marine Tondelier, cadre d'EELV qui vise le secrétariat national du parti.

"Nous devons aussi être radicaux en matière de respect du collectif. C'est là aussi que nous sommes attendus."

Marine Tondelier, candidate au secrétariat national d'EELV

à franceinfo

Le respect du collectif, c'est justement sur ce point que les adversaires internes critiquent Sandrine Rousseau. "Elle a fait du mal au parti écologiste pendant toute la campagne présidentielle de Yannick Jadot", enrage un membre du bureau exécutif d'EELV. "Elle passait sa vie à être négative sur la campagne, alors on a dû la mettre de côté", explique-t-il en référence à l'exclusion de Sandrine Rousseau de l'équipe de campagne de l'eurodéputé, à un mois du premier tour de l'élection présidentielle. "Sandrine, elle ne pensait pas au collectif."

Yannick Jadot et Sandrine Rousseau, à Lyon (Rhône), le 8 octobre 2021. (OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP)

L'ambition personnelle, quatre mois après son entrée au Palais-Bourbon, n'est jamais très loin. "Elle use et abuse de sa position pour jouer le congrès", peste Claire Monod. C'est que le parti écologiste a les yeux rivés sur le mois de décembre et le rendez-vous qui va déterminer sa ligne politique pour les prochaines années. Sandrine Rousseau, qui ne peut pas briguer le secrétariat national parce qu'elle est déjà députée, soutient activement la candidature de Mélissa Camara, conseillère municipale d'opposition à Lille (Nord). Non loin de là, il y a donc Marine Tondelier, conseillère municipale d'opposition à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), qui veut elle aussi succéder à Julien Bayou, dont elle est proche.

A travers ses prises de position, la députée de Paris a-t-elle cherché à bénéficier de la mise en retrait de l'ancien patron des écologistes pour faire progresser son camp et affecter Marine Tondelier ? "Le privé ne doit pas être instrumentalisé à des fins politiciennes", a dénoncé Julien Bayou auprès du Monde, début octobre. "C'est délirant de dire qu'elle veut prendre le pouvoir à travers les violences sexistes et sexuelles", s'énerve de son côté Raphaëlle Rémy-Leleu, élue municipale à Paris, en réponse à la critique de Julien Bayou.

"Tétanie" chez les cadres EELV

En attendant le congrès, EELV cherche tant bien que mal à se remettre la tête à l'endroit. "On n'a pas de stratégie politique, on est comme une coque de noix balayée par les flots", pointe aujourd'hui Sandrine Rousseau. "Si on continue comme ça, on continuera à perdre, juge un cadre du parti. Rousseau, c'est une écologie minoritaire et il faut lancer l'alerte." "A la rentrée, elle était très soutenue. Là, on dirait que ça bascule à nouveau. C'est compliqué", glisse Alice Coffin, qui y voit une "résistance à l'écoféminisme".

Plusieurs écologistes déplorent que, depuis un mois et demi, l'écoféministe et ses méthodes ont plongé son propre camp dans la tourmente. "Au parti, c'est l'enfer. C'est une secousse encore plus forte que ce qu'on a pu vivre précédemment", se lamente une députée, l'une des seules à vouloir encore évoquer sa collègue. "Je ne souhaite pas commenter la stratégie politique de Sandrine Rousseau, ni quoi que ce soit la concernant", évacue un cadre du parti. "En tant que cheffe de file sur la loi pouvoir d'achat, elle a défendu les positions du groupe écolo sur ce texte important", se contente d'expliquer Cyrielle Chatelain, devenue seule patronne des députés EELV, sans vouloir davantage commenter la stratégie du visage le plus connu de son groupe.

"Il faut mettre des mots sur ce qui est en train de se passer : c'est une véritable tétanie des cadres du mouvement, qui ont peur d'en rajouter à chaque fois qu'elle prend la parole", analyse son opposante Claire Monod. "L'affaire Bayou, ça a aussi fragilisé le parti", reconnaît d'ailleurs Sandrine Rousseau.

La piste balayée d'un parti écoféministe

Au fil des semaines, les rapports se sont tendus entre le camp de la députée et ses adversaires internes, qui veulent l'empêcher de mettre la main sur l'appareil. Si elle perdait le congrès, dans deux mois, la question de son avenir dans un parti qu'elle "aime bien" pourrait se poser. "À qui dois-je être loyale ? À mon parti, en tant que structure ? Ou alors, je dois être loyale à la parole des femmes ? J'ai choisi d'être loyale à la parole des femmes", a-t-elle expliqué, samedi 8 octobre, sur le plateau de l'émission "Quelle époque" (France 2). "Si elle perd le congrès, qu'elle en tire les leçons et qu'elle soit solidaire, juge un ancien leader du parti. A un moment donné, on n'est pas qu'au service de soi-même..."

Ces dernières semaines, plusieurs responsables associatives ont redoublé de critiques envers EELV et le reste des partis, "des structures qui détruisent les femmes politiques", selon Alice Coffin. Pour l'heure, cependant, point de parti écoféministe à l'horizon. "Ils essayent de lui montrer la porte de sortie, estime Raphaëlle Rémy-Leleu. C'est malsain, on suppose de la déloyauté de sa part." Déloyale, Sandrine Rousseau ? "Elles se servent de l'écologie comme un coucou", fustigeait justement un membre du conseil fédéral après que l'affaire Bayou a éclaté. "Ils en rêvent, que je me casse, s'amuse en réponse Sandrine Rousseau. C'est sûr, ce serait plus confortable qu'on monte une structure avec trois ou quatre personnes. Mais pourquoi recréer des bazars ?" 

"Un parti qui fonctionne mal, c'est comme une machine à laver : on peut le réparer."

Sandrine Rousseau

à franceinfo

Plutôt qu'une sortie fracassante de la laverie, les proches de Sandrine Rousseau ont plutôt théorisé une fusée à deux étages. "La première étape, c'était la faire connaître. La seconde, c'est la transformer en personnalité inspirante et crédible", explique son ex-conseillère Marion Nadaud dans le long portrait que lui a consacré L'Obs fin septembre. "On n'en est pas là, balaie la principale intéressée. Il y a encore à creuser dans l'ancrage de l'écologie dans le débat public. Après, on fera des appels, on rassemblera… Mais on n'est pas au bout de la déconstruction." En attendant de savoir avec qui elle pourra reconstruire.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.