Présidentielle 2027 : comment Edouard Philippe "tisse sa toile" pour installer "l'évidence" de sa candidature

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
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Edouard Philippe, le 1er septembre 2023, lors d'un déplacement à Nice (Alpes-Maritimes). (SYSPEO / SIPA)
Depuis plusieurs mois, l'ancien Premier ministre multiplie les rencontres, enchaîne les déplacements sur le terrain et pose les bases d'un projet politique. Avec la sortie d'un nouveau livre et la rentrée de son parti Horizons, il continue de placer ses pions.

Sur le mur de son bureau, Edouard Philippe a accroché une carte de France avec une multitude de punaises pour symboliser les lieux qu'il a visités depuis 2017 : en rouge en tant que Premier ministre, en bleu comme chef du parti Horizons, en blanc comme auteur pour promouvoir ses livres et en vert pour les endroits où il a vécu plus de deux mois. Un plan de bataille pour la présidentielle ? "Il veut être certain de connaître la France sur le bout des doigts, de respirer tous les coins du pays", explique le député Horizons Frédéric Valletoux.

Des lieux qui disent, le titre de son dernier livre, en librairie mercredi 13 septembre, n'a pas été choisi au hasard. "Un peu de nous-mêmes est constitué de tous les lieux qui nous ont faits", écrit-il, selon son éditeur JC Lattès. Attaché à son ancrage territorial, le maire du Havre garde toujours un porte-bonheur en forme d'ancre sur lui, confie-t-il dans l'émission "Sept à huit" sur TF1 : "Quand vous voulez vous poser, vous jetez l'ancre. Quand vous voulez partir, vous levez l'ancre."

"L'ancre, c'est le symbole de celui qui maîtrise son destin."

Edouard Philippe

sur TF1

L'ancien Premier ministre navigue au gré de ses nombreux déplacements dans ce qu'il appelle parfois "la France des sous-préfectures", que ce soit à l'occasion des législatives, plus récemment pour les sénatoriales ou comme chef de parti, dans ce qui ressemble à une campagne permanente. "Sauf qu'en campagne, il y a de nombreux journalistes. Là, il fait plutôt un travail de fond, il tisse sa toile, son réseau d'élus, il rencontre des gens du milieu économique", précise son entourage.

Une stratégie de la rareté

S'il a retrouvé les micros ces derniers jours pour promouvoir son nouveau livre, il s'attache surtout à une stratégie de la parole rare. "Il ne passe pas son temps sur les plateaux à commenter les petites phrases de Jean-Luc Mélenchon, et c'est une vertu", estime Frédéric Valletoux. "Il parle seulement quand il a quelque chose à dire. Du coup, quand il parle, on l'écoute, abonde une ancienne conseillère restée proche. Quand vous faites de la boxe, si vous passez votre temps à mettre des coups dans le vide, vous vous fatiguez. Il vaut mieux mettre des coups bien sentis, qui ont de l'impact."

"Parler beaucoup pour dire peu, cela dévalorise la politique."

Une ancienne conseillère d'Edouard Philippe

à franceinfo

Le maire du Havre reste le plus souvent loin du ring politique, même s'il enfile encore de temps en temps les gants. En plein débat sur la réforme des retraites, en octobre dernier, il plaide pour un report de l'âge de départ "à 65, 66 ou 67 ans". Plus récemment, dans un entretien accordé à L'Express sur le thème de l'immigration, il formule plusieurs propositions chocs, comme la remise en cause de l'accord de 1968 avec l'Algérie – un texte qui organise l'entrée des Algériens en France. "Il s'attaque aux non-dits qui existent dans notre pays, et il ne fait ni dans le gros rouge qui tache, ni dans l'eau tiède", estime Alexandre Vincendet, un des rares députés LR à soutenir ouvertement l'ancien Premier ministre.

Des interrogations autour de sa santé

Il n'évite pas non plus les questions liées à ses changements physiques causés par deux maladies auto-immunes : le vitiligo, qui entraîne une dépigmentation de la peau, et l'alopécie, une maladie bénigne qui se traduit par une perte des cheveux et des poils. "Je suis en pleine forme", évacue-t-il pour la première fois en février sur BFMTV, avant d'être contraint de le répéter à chaque interview. "Cela n'a aucune espèce de gravité, ce n'est pas contagieux, ni douloureux. (...) Ma santé est excellente", insiste-t-il sur TF1, avant d'inviter les sceptiques à venir le défier à la boxe.

"Il a totalement assumé sa transformation. Du coup, ce n'est plus du tout un sujet."

Alexandre Vincendet, député des Républicains

à franceinfo

Dans la majorité, certains font part d'un léger doute. "Sur les marchés, je rencontre quand même des gens réticents à voter pour lui à cause de ça", raconte un député Renaissance. "Oui, j'ai pu constater la surprise de certaines personnes qui se retournent en se demandant : 'Mais, c'est Edouard Philippe ?' Mais il a toujours la même énergie, le même humour, l'étincelle dans le regard, se rassure l'ancienne secrétaire d'Etat Bérangère Abba, secrétaire générale d'Horizons. Je suis persuadée que, dans quelques mois, on aura essoré la question, ce sera évacué."

De la prudence vis-à-vis des sondages

Edouard Philippe assure qu'il n'a rien perdu de son pouvoir de séduction et les sondages de la rentrée semblent lui donner raison. Selon une récente enquête OpinionWay pour Le Parisien, il fait la course en tête avec 33% des personnes interrogées qui seraient tentées de voter pour lui en 2027. Loin devant Bruno Le Maire (19%), Gérald Darmanin (17%) et même Marine Le Pen (30%). Mais Edouard Philippe joue la prudence. A chaque fois que ses proches évoquent les sondages, il leur rappelle qu'il était en 2016 aux côtés d'Alain Juppé, alors grand favori de la primaire de la droite, perdue face à François Fillon.

"Mesurer la popularité de quelqu'un sur la base d'une élection qui aura lieu dans quatre ans et dont on ne connaît pas les candidats, c'est absurde", prévient le député Horizons Loïc Kervran. "Sa popularité est assez superficielle, elle a décollé pendant le Covid et n'a plus bougé depuis, mais elle n'est pas basée sur une connaissance très fine de sa personnalité", estime un proche de Laurent Wauquiez, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui n'a pas renoncé à ses ambitions présidentielles.

"Quand tout ça va s'affiner, qu'il va rentrer dans l'atmosphère, il va redescendre."

Un proche de Laurent Wauquiez

à franceinfo

Reste que pour une partie des Républicains, il apparaît comme le candidat capable de rassembler les clans de la droite et du centre. Et les langues se délient. Le président du Sénat, Gérard Larcher, estime ainsi qu'Edouard Philippe fait "bien sûr" partie de sa famille politique. "J'ai toujours dit que la poutre continuait à travailler à LR. Et si je peux aider en sautant sur la poutre, je le ferais volontiers", confie le député LR Alexandre Vincendet.

Un pari en passe d'être réussi

En attendant d'autres soutiens, Edouard Philippe s'appuie sur son parti Horizons, créé dès l'automne 2021, un an après sa sortie de Matignon. Après deux années de structuration, le mouvement commence à ressembler à une rampe de lancement. "C'est devenu une affaire sérieuse, avec 20 000 adhérents, près de 1 000 comités locaux, environ 700 maires... On a un maillage, le parti s'enracine", se félicite Frédéric Valletoux. Le parti, qui organise sa rentrée politique du 14 au 16 septembre, sert également de boîte à idées pour les députés du groupe Horizons et pour un éventuel programme présidentiel. "On a 250 experts dans 25 groupes de travail et un pôle 'idées' qui organise des rencontres avec des personnalités", détaille un cadre.

"En 18 mois, on a une force plus importante dans le paysage que le MoDem, et je ne parle même pas de Renaissance."

Un député Horizons

à franceinfo

Edouard Philippe s'organise donc avec minutie. "La vocation d'un parti politique, ce n'est pas simplement de dire : 'Coucou, voilà, j'ai une bonne idée'... C'est de conquérir le pouvoir démocratiquement", admet-il sur TF1. "Je le sens déterminé et organisé", confie un proche. "J'ai l'impression de voir Chirac en 1993, dans sa façon de se préparer, dans sa détermination", ajoute Alexandre Vincendet. Mais le calendrier diffère. Il reste près de quatre ans avant la prochaine présidentielle. "Il a fait un pari qui semblait osé, parce qu'il a démarré très tôt. Mais il faut reconnaître que pour l'instant ça marche. Il installe l'idée, reconnaît un stratège de Renaissance. Son seul écueil, ce n'est pas tant la concurrence, mais c'est de tenir dans la durée."

Le piège de l'héritage

"Quatre ans, c'est très long. On est dans une course de fond qui va se finir par un sprint", reconnaît son entourage. "Difficile de prévoir une date pour une candidature, sans connaître les circonstances et l'évolution du contexte politique", constate un cadre d'Horizons. Certains évoquent la rentrée 2024, après les Jeux olympiques ; d'autres misent plutôt sur 2025. "Je ne crois pas qu'il y aura un moment pour sortir les trompettes pour une annonce. Il y a une évidence qui s'installe, au fil des mots, de ses apparitions dans les médias et de ses déplacements sur le terrain", estime Bérangère Abba.

Et dans ce laps de temps, "il faut qu'il réponde à cette question : à quel moment doit-il devenir plus libre et moins loyal ? Comment éviter le piège d'apparaître comme l'héritier de Macron ?" s'interroge un proche à France Télévisions. Du côté des Républicains, des conseillers planchent déjà sur la riposte. "Quand il était à Matignon, combien d'immigrés sont rentrés en France ? Qui a fermé Fessenheim ? Qui a fait les 80 km/h ? Il a un bilan et on va lui mettre sur la tronche l'étiquette de l'héritier des 10 ans de macronisme. Il ne pourra pas incarner l'alternance", anticipe un proche de Laurent Wauquiez.

"A un moment donné, il va vouloir se démarquer de Macron, et ça peut laisser des traces dans la majorité."

Un proche de Laurent Wauquiez

à franceinfo

Pour l'instant, l'ancien locataire de Matignon en reste à sa formule "loyal mais libre". Emmanuel Macron l'a récemment qualifié d'"ami" capable de "prendre le relais", mais les relations restent tendues. Interrogé sur TF1 pour savoir s'il considérait également le chef de l'Etat comme un "ami", Edouard Philippe garde ses distances : "Quand vous avez un Premier ministre et un président de la République, leurs relations ne se placent pas sur le registre de l'amitié."

Faut-il s'éloigner du macronisme ? "Les gens me demandent sur les marchés quelles sont les différences entre Edouard et Macron. Je n'ai pas de réponses claires aujourd'hui, c'est un problème", reconnaît un maire Horizons. "Il y aura un droit d'inventaire sur les quinquennats successifs. On y a pris notre part, mais on aura aussi nos divergences", prévient Loïc Kervran. "Plus on approchera de la fin du quinquennat, moins Edouard apparaîtra comme l'héritier, prédit une proche. Cela dépendra aussi de sa capacité à porter des choses différentes."

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