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Présidentielle 2022 : la douloureuse campagne d'Anne Hidalgo, entre constat d'échec et nouvelle tentative de relance

Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot - Hugo Capelli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La maire de Paris et candidate à l'élection présidentielle, Anne Hidalgo, à Paris, le 10 janvier 2022. (LUDOVIC MARIN / AFP)

La candidate socialiste et maire de Paris ne décolle toujours pas dans les sondages. Pire, sa proposition de primaire a fait l'unanimité contre elle, semant le doute dans son propre camp. A moins de trois mois de la présidentielle, tous les voyants sont au rouge.

"Bonjour. Les premières propositions d'Anne Hidalgo !" Réunis au petit matin sous le toit de la Canopée des Halles, à la sortie du métro parisien, une demi-douzaine de jeunes militants socialistes tractent pour leur candidate. Ce mercredi 12 janvier, malgré le froid mordant, le regard baissé des passants et l'ambiance morose de la campagne, ils poursuivent la distribution de leurs dépliants. "On ne va pas se mentir, les sondages ne nous annoncent pas de super scores", reconnaît Joachim.

"Quand je tracte sur les marchés, tous les sympathisants nous disent que si on ne s'unit pas, ce sera la catastrophe annoncée pour la gauche."

Joachim, militant PS

à franceinfo

L'échec de la proposition d'une primaire à gauche lancée par Anne Hidalgo, à laquelle seule Christiane Taubira a choisi de participer – dans le cadre de la primaire populaire –, a provoqué de nombreuses déceptions sur le terrain. "L'histoire de la primaire populaire a un peu déboussolé certains militants, admet Joachim. Mais bon, désormais on sait qu'on ira jusqu'au bout. Et puis il y a toujours des surprises dans une présidentielle…" Les militants espèrent maintenant voir leur candidate relancer sa campagne. Dans cet objectif, la maire de Paris doit détailler son programme – que franceinfo a pu consulter et qui compte 70 propositions – ce jeudi, après un passage à la matinale de France Inter. Elle doit ensuite présenter ses comités locaux le 20 janvier, avant un meeting à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) le 22, et probablement un passage télé d'ici la fin du mois.

"Ça n'a pas imprimé"

Ce n'est pas la première fois qu'Anne Hidalgo tente de relancer une campagne qui n'a jamais vraiment démarré. Dès son entrée dans la course, le 12 septembre 2021, elle donne l'image d'une candidate que son camp a poussée à se présenter alors qu'elle répétait pendant la campagne des municipales ne pas être intéressée par l'Elysée.

Elle tente ensuite de fendre l'armure, en se dévoilant notamment dans un livre, Une femme française, publié le 15 septembre (éd. de L'Observatoire). Le "storytelling" peut alors se mettre en place : celui d'une fille d'ouvrier espagnol, ayant grandi dans le quartier défavorisé de la Duchère, à Lyon. Mais sur le terrain, ça ne prend pas. Sa notoriété reste assez faible et son étiquette de "bobo" parisienne lui colle à la peau, comme le démontre un reportage de "Complément d'enquête" dans les rues de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). "Vous avez déjà entendu parler d'elle ?", lance le journaliste à un passant. "Non, jamais."

Les semaines passent et la socialiste peine à se faire une place dans la campagne. Les journalistes qui accompagnent la candidate remarquent la difficulté qu'elle rencontre pour aller parler aux Français. Anne Hidalgo mène une bataille silencieuse. Après un premier meeting en octobre à Lille devant un millier de personnes, elle organise de petites réunions dans des salles modestes qu'elle peine à remplir. "On aurait préféré que la campagne imprime à l'automne, mais ça n'a pas imprimé, reconnaît aujourd'hui le sénateur PS Rémi Féraud. Il y a eu bien sûr des erreurs internes, mais aussi un climat totalement dominé par la droite et l'extrême droite. Et l'éclatement de l'offre politique à gauche a créé de la démobilisation…"

"Jadot prend une lourde responsabilité"

Le 8 décembre, elle prend le train en direction de La Rochelle (Charente-Maritime) pour une nouvelle étape de son tour de France à la rencontre des Français. Mais décide soudainement de descendre à Poitiers (Vienne) pour faire demi-tour. Officiellement, il s'agit de rentrer en raison du déclenchement du plan blanc dans la capitale, lié à la nouvelle vague de Covid-19. Mais dans l'après-midi, la candidate révèle à son équipe de campagne la véritable raison du changement de programme : elle se rend à 20 heures sur le plateau du journal de TF1 pour y proposer une primaire de la gauche.

Le pari se révèle audacieux. "Elle a essayé… On ne pourra pas lui reprocher d'avoir divisé la gauche", note le jeune sénateur Rémi Cardon, son porte-parole dans la campagne. "Elle a tenté de trouver une issue pour rassembler autour d'une dynamique, et ça n'a pas été suivi d'effet… Jadot prend une lourde responsabilité", ajoute le maire de Nancy Mathieu Klein.

Quand c'est flou…

Mais qu'a donc gagné Anne Hidalgo dans cette histoire de primaire ? Si ce n'est de mettre en pause sa propre candidature et d'en avoir fait émerger une nouvelle. "On ne va pas se mentir, la candidature Taubira, c'est une difficulté en plus", concède Rémi Cardon. De quoi semer encore plus la confusion parmi les militants socialistes. "On n'a pas éclairci notre ligne politique. Aujourd'hui, on n'a pas de colonne vertébrale", se désole une militante PS, étudiante en sciences politiques à Toulouse.

"Sur quel programme on fait campagne ? Avec quel candidat ? On donne l'impression qu'on est encore en train de le choisir…"

Une militante socialiste

à franceinfo

"Aujourd'hui, oui, il peut y avoir de la confusion. Les électeurs sont perdus, mais la présentation du projet ou le meeting du 22 permettront de clarifier la situation", assure Rémi Féraud. "Le 13, elle va dire ce qu'elle veut construire avec les Français, il y aura un message de clarté de là où elle veut emmener la France", embraye Rémi Cardon.

Mais y croient-ils seulement ? Face aux journalistes, les éléments de langage sont les mêmes : combativité et détermination. "Notre état d'esprit est offensif", affirme Jean-François Debat, maire PS de Bourg-en-Bresse. "Anne Hidalgo est combative", renchérit Rémi Féraud. "J'étais avec elle pendant 13 ou 14 heures d'affilée à Jarnac, j'ai senti quelqu'un d'extrêmement motivée", appuie Patrick Kanner.

Un bureau national "extrêmement tendu"

Les socialistes se rassurent surtout en se comparant aux autres candidats de gauche. "Je serais inquiet si on était les seuls à gauche à être dans ce calme plat, mais tout le monde y est", glisse un socialiste. Il est vrai qu'aucun candidat ne s'est détaché nettement des autres. "La fragmentation de l'offre politique en sept ou huit candidatures ne permet pas de construire un émetteur crédible, efficace. Aujourd'hui, le PS ne joue plus son rôle de parti dominant à gauche mais personne ne l'est, ni LFI, ni EELV", constate Laurent Baumel, secrétaire national du PS. Ce n'est pas un triomphe de faire 6% plutôt que 4%."

"La gauche n'est pour l'instant ni regardée, ni écoutée par les électeurs."

Laurent Baumel, secrétaire national du PS

à franceinfo

"La campagne est compliquée pour l'ensemble des candidats de gauche", reconnaît encore un socialiste. Mais chez Anne Hidalgo, les divisions internes sont désormais affichées au grand jour. Alors que ses proches répètent qu'une primaire sans Yannick Jadot n'a pas de sens et qu'il convient désormais de tourner la page, certains membres du PS sont plus dubitatifs. En témoigne le bureau national – "extrêmement tendu, pour ne pas dire crépusculaire", selon les mots d'un participant – qui s'est tenu en visioconférence mardi soir avec une centaine de cadres. Les débats, qui ont duré trois heures et demie, ont été vifs sur la participation ou non de la maire de Paris à cette primaire populaire.

"Il y a eu un débat pour savoir s'il était opportun de demander aux militants de s'inscrire à la primaire populaire, pour protéger la candidate, comme c'est sûrement le cas chez Mélenchon ou chez Jadot", rapporte un participant. "Notre problème, c'est qu'on a dit aux camarades d'aller voter à la primaire. On n'a pas arrêté de position au PS, mais il faut y aller sans dire qu'on y va", appuie un autre.

"On est en train de faire un enterrement de première classe à Anne Hidalgo. Et en même temps, c'est un peu elle qui s'est mise dans cette situation."

Un participant au bureau national du PS

à franceinfo

Ils sont ainsi plusieurs à faire part de leur désarroi. "On a cru qu'Anne Hidalgo allait s'appuyer sur la primaire pour sortir de la présidentielle par le haut, ou alors pour essayer d'aller gagner, confie un autre socialiste. Maintenant, elle dit qu'elle veut aller au bout sans passer par la primaire. On dit quoi aux gens ? Qu'on a fait marche arrière ?"

"Il n'est jamais trop tard"

La grande clarification n'est donc peut-être pas pour tout de suite. Mais les proches d'Anne Hidalgo savent que le temps est compté. "Les trois semaines qui viennent vont être décisives, les choses vont se cristalliser fin janvier/début février", prédit Yannick Trigance, secrétaire national du PS. Est-il déjà trop tard ? "Il n'est jamais trop tard, tant que le match n'est pas terminé tout est possible", assure ce dernier. Difficile pourtant d'y croire, entre les mauvais sondages et une candidate peu médiatique coincée dans ses contradictions. Dans un article du Monde datant de septembre, ses proches estimaient que "si aucune dynamique n'émergeait en sa faveur d'ici janvier", il serait trop tard. "On n'a pas dit quand en janvier, se défend mollement Patrick Kanner. Peut-être qu'on n'y sera pas fin janvier, je vous le concède… mais il faut se battre."

Le calendrier obsède les socialistes au-delà de la présidentielle. Certains ont aussi les yeux rivés sur les législatives. "Après un échec potentiel à la présidentielle, la deuxième lame c'est les législatives", prévient Rémi Cardon.

"Y aura-t-il un groupe politique à gauche à l'Assemblée nationale ? Je me pose la question et c'est plus qu'une inquiétude".

Rémi Cardon, sénateur PS

à franceinfo

Le sénateur espère que "les deux jambes" de la démocratie française ne seront pas "la droite et l'extrême droite". Mais le porte-parole d'Anne Hidalgo se ressaisit aussitôt : "Rien n'est perdu. On peut aussi créer une dynamique avec une proposition qui créera du débat". Sur le terrain, certains militants n'y croient presque plus. "Je pense qu'on peut oublier la candidature socialiste pour cette présidentielle. Il faut être lucide", souffle une militante.

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