"Nous ne concéderons jamais la défaite" : entre l'administration Trump et l'équipe de Joe Biden, une transition présidentielle mouvementée
La transition entre les deux équipes a été officiellement enclenchée le 23 novembre. Le président élu, Joe Biden, dénonce la rétention d'informations pratiquée par l'équipe de son prédécesseur.
C'était annoncé. "Je crains que, s'il perd l'élection en 2020, il n'y ait pas de passation de pouvoir pacifique." L'élection présidentielle du 3 novembre 2020 était pourtant encore lointaine et la victoire de Joe Biden très hypothétique, mais devant la commission d'enquête de la Chambre des représentants, le 27 février 2019, Michael Cohen, ancien avocat personnel de Donald Trump, prédisait l'avenir.
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Depuis sa défaite, Donald Trump ne cesse de contester la victoire de son rival. "Nous ne concéderons jamais la défaite", a-t-il encore martelé le 6 janvier devant ses partisans rassemblés à Washington. Le président sortant n'a toujours pas confirmé sa présence à l'investiture de Joe Biden, le 20 janvier. Il sera peut-être en meeting, loin de Washington, en train de lancer sa campagne pour 2024. "C'est inédit", résume auprès de franceinfo Terry Sullivan, directeur du White House Transition Project, un groupe d'experts indépendants sur les transitions présidentielles aux Etats-Unis.
Trois semaines de blocage
Tout avait pourtant commencé sans encombre. Le processus de transition entre deux administrations débute souvent tôt, un an avant l'investiture présidentielle, explique Terry Sullivan. Il s'agit, pour chaque équipe de campagne, de réfléchir aux orientations politiques, aux nominations au sein de l'exécutif. Dès le mois d'avril, des fonctionnaires partagent des informations aux équipes de campagne. "Tout au long de l'été, les choses se passaient normalement", se remémore le directeur du White House Transition Project.
"Tout se passait bien jusqu'à l'implication du président. Une fois qu'il a perdu, le processus a été mis à l'arrêt. L'équipe de campagne de Joe Biden a poursuivi son travail de façon indépendante."
Terry Sullivan, directeur du White House Transition Projectà franceinfo
Un premier obstacle se dresse. L'Administration des services généraux, agence notamment chargée de lancer officiellement la transition, "met trois semaines à garantir des financements et des accès à l'équipe de transition de Joe Biden", résume Todd Belt, professeur et directeur du programme de gestion politique de l'université George Washington. "Ce problème en particulier était inédit."
Le processus repose pourtant sur cette administration et sa directrice, Emily Murphy. La loi est très claire : sans proclamation officielle du vainqueur par cette agence, rien ne débute. Après le 3 novembre, les jours passent, les dirigeants du monde entier félicitent Joe Biden, mais Emily Murphy reste silencieuse. Cette fidèle de Donald Trump envisage d'attendre plusieurs semaines avant de donner le départ, rapporte le Washington Post*. Pendant ce temps, les agences du gouvernement fédéral sont priées de préparer les documents nécessaires, mais de ne rien transmettre au camp Biden.
Sénateurs républicains et anciens fonctionnaires de la sécurité nationale pressent Donald Trump. Il est temps de laisser débuter cette transition, plaident-ils. Le président battu rechigne, y voyant l'acceptation de sa défaite. Son directeur de cabinet et ses avocats lui assurent pourtant qu'il pourra toujours contester l'élection. Ces pressions portent leurs fruits : le 23 novembre, Donald Trump et l'Administration des services généraux cèdent.
Quels effets pourraient avoir ce retard ? "Nous ne le savons pas encore", prévient Terry Sullivan. Cette première phase permet à la future administration d'accéder à des espaces de travail et du matériel informatique sécurisé. "Avec la pandémie de Covid-19, ils n'auraient de toute manière pas utilisé ces bureaux", tempère le spécialiste. Ce blocage sur la ligne de départ s'apparente toutefois à une première tentative de rétention d'information. Dans un contexte de pandémie, les équipes de Joe Biden n'ont pas pu obtenir certaines données concernant la gestion de la crise sanitaire ni prendre contact avec le département de la Santé et des services sociaux, décrit Politico*. "Des retards dans la mise en place ou la modification de politiques de santé publique, y compris le déploiement des vaccins, pourraient nous coûter des vies", alerte Todd Belt.
Une menace pour la sécurité nationale
Le 23 novembre passé, la machine peut se mettre en marche. L'équipe de transition de Joe Biden salue une administration des services généraux "réactive et serviable", note Politico*. Près d'un mois plus tard, le processus semble même "aller dans la bonne direction", confie au Boston Globe* Yohannes Abraham, directeur de la transition du président élu. Plus de 1 000 réunions et entretiens ont été menés avec le personnel de plus de 100 agences fédérales. "Nous apprenons énormément", commente le directeur de ces opérations.
Selon le White House Transition Project, qui évalue l'efficacité des opérations de transition, Joe Biden agit à temps en matière de nominations. "En comparaison avec les transitions précédentes, il est en tête sur toutes les mesures importantes", relève Teddy Sullivan, évoquant l'expérience du pouvoir du nouveau président, vice-président de Barack Obama de 2009 à 2017. "L'élément le plus problématique, poursuit-il, concerne les questions de sécurité nationale".
Lors d'un discours depuis son fief de Wilmington, le 28 décembre, Joe Biden salue "la coopération exemplaire" de certaines agences du gouvernement fédéral. "Dans d'autres agences, notamment le département de la Défense, nous avons fait face à des obstructions de la part du leadership politique", dénonce-t-il toutefois. Le chef du Pentagone, Christopher C. Miller, se défend sans attendre, dans un communiqué*, évoquant "164 entretiens avec plus de 400 fonctionnaires et plus de 5 000 pages de documents transmises". Joe Biden dénonce quand même une nouvelle opération de rétention d'information. D'autant plus que le ministère a décidé d'annuler toutes les réunions avec son équipe entre le 17 décembre et le 1er janvier.
"Nous ne recevons pas toutes les informations dont nous avons besoin de la part de l'administration sortante, dans des secteurs stratégiques de notre sécurité nationale."
Joe Bidenlors d'un discours à Wilmington (Delaware)
Pour le comprendre, il faut remonter aux jours suivant l'élection. Le 10 novembre, des hauts fonctionnaires chargés des politiques et du renseignement du ministère, ainsi que l'équipe du secrétaire à la Défense, Mark Esper, renvoyé la veille, démissionnent. Ils laissent place à des "agents politiques très loyaux envers Trump", décrit Politico*. "Donald Trump a renvoyé plusieurs personnes dans la direction du ministère et mis en place des personnes qui ne faisaient que faire semblant, des amis du président sans expérience militaire", confirme Teddy Sullivan. "Ces personnes ont activement empêché l'accès à des données en matière de sécurité nationale, qui aideraient la nouvelle administration à être prête."
Des agissements aux conséquences potentiellement graves. "La plus grande crainte, c'est une attaque terroriste, issue du terrorisme intérieur ou international", résume Terry Sullivan. L'expert prend en exemple les 100 premiers jours du président démocrate Bill Clinton, en 1993. Un début de mandat marqué par un attentat contre le World Trade Center, qui tue six personnes le 26 février, et par les 51 jours du siège de Waco, au Texas, pendant lequel 76 membres d'une secte meurent dans l'incendie qu'ils ont déclenché. Des retards dans la transmission d'informations rendent de tels événements plus probables.
"Des acteurs à travers le monde peuvent voir cette période de transition comme un moment de vulnérabilité pour les Etats-Unis. Viser le pays à ce moment-là peut devenir tentant."
Todd Belt, directeur du programme de gestion politique de l'université George Washingtonà franceinfo
Les attentats du 11-Septembre en sont l'illustration la plus dramatique. Comme le rappelle Todd Belt, la commission nationale sur ces attaques terroristes a jugé que les retards pris lors de la transition, en 2000, entre les équipes Clinton et Bush, ont "contribué à l'incapacité des Etats-Unis à voir et à prévenir ces attentats".
Laisser sa trace
En cette fin de mandat, l'heure est aussi aux avancées politiques de la dernière chance. "L'administration Trump a accéléré ses efforts pour obtenir des gains politiques de dernière minute, qui, espère-t-elle, aideront à consolider son héritage au-delà du 20 janvier", décrit le Washington Post*. La passation de pouvoir approchant, plusieurs dizaines de réglementations sont signées sur des sujets intérieurs clés. Elles concernent, entre autres, les questions de sécurité alimentaire et des salariés, les bons alimentaires, les espèces menacées ou des opérations de forage dans des parcs nationaux, détaille le Christian Science Monitor*.
Le camp Trump entend aussi marquer son territoire en matière de politique étrangère. Comme le note CNN*, son administration continue de retirer des troupes américaines d'Afghanistan et d'Irak, tout en tentant d'imposer de nouvelles sanctions contre l'Iran. Une entrave claire à la volonté de Joe Biden de réintégrer les Etats-Unis dans l'accord sur le nucléaire iranien. "Donald Trump ne facilite pas les choses, observe Terry Sullivan, il ne prend aucune mesure pour améliorer les conditions de la nouvelle administration. C'est inhabituel."
"Même des présidents qui n'ont pas été réélus, comme George H.W. Bush, ont pris des mesures pour faciliter la transition avec le nouveau président."
Terry Sullivan, directeur du White House Transition Projectà franceinfo
Le spécialiste s'attend à voir Joe Biden signer "des dizaines et des dizaines de décrets présidentiels" pour annuler certaines décisions de l'ère Trump. Les réglementations seront toutefois plus difficiles à effacer à court terme. "Elles prennent tellement de temps à être approuvées", explique-t-il.
D'autres décisions de Donald Trump, prises après sa défaite, marqueront l'avenir à Washington. Comme ces dizaines de nominations d'alliés du président à des postes prévus pour durer. Son ancienne conseillère Kellyanne Conway – connue pour avoir défendu des "faits alternatifs" – a été nommée à l'Académie de la force aérienne des Etats-Unis. Son ancien directeur de campagne Corey Lewandowski et son allié Newt Gingrich ont rejoint le département de la Défense. Nombre de ces postes étaient vacants depuis des années, note le Washington Post*.
"Ce n'est pas inhabituel de voir ces nominations" en fin de mandat, constate Michael Collins, correspondant du journal USA Today à la Maison Blanche. "Ce qui est inhabituel, c'est la manière dont Donald Trump les utilise pour nommer des soutiens, des amis, des alliés politiques", développe le journaliste. "Cela pourrait avoir un impact sur l'avenir, estime-t-il. Ainsi, Donald Trump s'assure qu'après son départ, "ses alliés auront toujours leur mot à dire au sein du gouvernement".
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