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Retrait du Mali : "En moyenne, l'intervention d'une puissance étrangère est acceptée pendant trois ans et là nous en sommes à neuf"

Pour décrypter la décision française et ses conséquences, franceinfo a interrogé Caroline Roussy, chercheuse à l'Institut des relations internationales et stratégiques. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des soldats de l'opération Barkhane à la base militaire de Tombouctou (Mali), le 5 décembre 2021.  (THOMAS COEX / AFP)

Les soldats français étaient présents depuis neuf ans au Mali. "La France et ses partenaires engagés dans des missions de lutte contre le terrorisme ont pris la décision de retirer leur présence militaire au Mali", a annoncé Emmanuel Macron, jeudi 17 février, lors d'une conférence de presse à l'Elysée.

>> Retrait du Mali : ce qu'il faut renir des annonces d'Emmanuel Macron

"En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les Etats européens opérant aux côtés de l'opération Barkhane et au sein de la 'task force' Takuba estiment que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel (...) au Mali", ont poursuivi les alliés de la France au Sahel dans une déclaration conjointe.

A l'issue de ce retrait, une présence française "de 2 500 à 3 000 hommes" se maintiendra au Sahel, selon le porte-parole de l'état-major français, le colonel Pascal Ianni, et celle-ci sera répartie entre le Tchad, le Niger et le Burkina Faso. La France s'appuiera également sur des forces prépositionnées au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon.

Comment comprendre cette décision ? Quelles pourraient être les conséquences de ce retrait ? Franceinfo a interrogé Caroline Roussy, chercheuse à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l'Afrique de l'Ouest.

Franceinfo : Pourquoi cette annonce du retrait français du Mali intervient-elle maintenant ?   

Caroline Roussy : Nous voyons bien que nous étions dans une situation d'escalade politique et diplomatique, qu'il n'y avait plus de canaux de discussions. Chacun a poussé l'autre dans ses retranchements. Cette escalade a pris de l'ampleur ces dernières semaines, avec des échanges peu amènes de part et d'autre, et le renvoi des militaires danois du Mali. Pour la France, il y a un alignement, après ce renvoi des forces danoises, avec l'Union européenne.

Ce redéploiement du dispositif de l'opération Barkhane était à l'ordre du jour, il avait été annoncé le 10 juin par Emmanuel Macron. Un départ du Mali n'avait peut-être pas été envisagé, plutôt un dispositif bien plus léger, avec davantage de visibilisation des Européens. Pourquoi cette annonce maintenant ? Nous pensons aussi au calendrier présidentiel : ce dossier peut s'inviter dans le débat. 

Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, expliquait récemment qu'un statu quo n'était "pas possible dans un contexte très dégradé au Mali", avec la prise du pouvoir par la junte, ou encore la présence de la milice privée russe Wagner. Les conditions sur le terrain n'étaient plus réunies pour une présence française ?   

Je pense que c'est un peu plus complexe que cela. Les forces françaises sont quand même plus nombreuses que les miliciens de Wagner. Il y avait des personnes avec qui il était devenu difficile de discuter, mais qui, aussi, demandent le respect, ce qui est audible. La France a participé à la montée de cette escalade verbale.

"Des populations se sentent de plus en plus sous occupation, car le dispositif dure depuis trop longtemps, avec des résultats sur le plan qualitatif qui ne sont pas observables."

Caroline Roussy

à franceinfo

Les conditions n'étaient plus réunies pour un partenariat. Pourtant, sur le plan militaire, il y a eu ces derniers temps une bonne collaboration entre les forces armées maliennes et les forces européennes et françaises. Ce qui montre ce hiatus entre le politico-diplomatique et le militaire.   

Comment expliquer le développement d'un sentiment anti-français au Sahel ?  

Il s'agit, déjà, des comptes mal soldés de la colonisation. La France ne parvient pas à se défaire de cette image de colonisation et d'impérialisme. La présence des forces françaises depuis 2013 joue également. Nous connaissons la cyclicité de l'acceptation de l'intervention d'une puissance étrangère sur un sol souverain – en moyenne, elle est de trois ans maximum. Aujourd'hui, nous sommes à neuf ans de présence française, cela devient forcément difficile.   

L'opération Barkhane donnait l'image d'une armée bien dotée, avec de nouvelles technologies. Des populations ne comprennent pas que l'on n'arrive pas à mettre un terme à l'action de quelques milliers de jihadistes. Des jihadistes font des émules auprès de jeunes sans opportunité... Et la désinformation russe joue également son rôle.

Peut-on parler d'un revers pour la France ? Quel bilan peut-on faire de l'opération de lutte antiterroriste au Mali depuis 2013 ?

La présence jihadiste s'est répandue au Burkina Faso, au Niger, elle gagne certains pays du golfe de Guinée. Le temps et la durée nous permettront de mieux connaître ce bilan de l'opération. La France, depuis 2019, utilise des drones qui ont tout de même permis de neutraliser des chefs de l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) ou d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Cela a permis de mettre la pression sur ces réseaux.

"Il y a donc eu des succès tactiques, qui n'ont pu être transformés en succès stratégique."

Caroline Roussy

à franceinfo

D'un point de vue qualitatif, la présence française a-t-elle amélioré la vie des populations ? Non, à mon sens. Un chef disparaît, un autre apparaît. Et regardez le nombre de déplacés internes, le nombre de réfugiés... Cela met aussi une pression sur les Etats voisins. Finalement, la menace a-t-elle été bien appréhendée ? Partir après neuf ans dans ces conditions, avec toutes les questions que ce retrait suscite... On ne peut pas dire que c'est positif.   

Néanmoins, il faut rester dans l'attente : les Français ne sont pas chassés du Sahel et du golfe de Guinée. Il faudra voir comment la France, avec ses partenaires sahéliens et européens, avec ses partenaires d'Afrique de l'Ouest, vont désormais conjuguer leurs efforts dans cette nouvelle séquence géopolitique qui peut se révéler délicate.    

Quelles pourraient être les conséquences de ce retrait du Mali ?   

L'une des hypothèses, c'est que cela laisse le champ libre aux jihadistes. La coopération semblait plutôt bonne entre les forces armées maliennes et françaises. Il faudra voir si la formation des militaires maliens sera suffisante. L'armée était très faible en 2012, et nous avons aujourd'hui des chiffres selon lesquels le nombre de soldats maliens a été multiplié par trois voire quatre.

Mais beaucoup disent qu'elle reste faible. Et avec les sanctions récentes prises par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de I'Ouest (Cedeao) [afin de sanctionner la junte au pouvoir], l'Etat malien pourra-t-il payer ses fonctionnaires (dans l'armée notamment) ? Et jusqu'à quand ?   

Cela risque également d'être très compliqué pour les Maliens, car ils manquent de matériel militaire. Le soutien français était notamment important en terme aérien, avec de plus en plus d'opérations aériennes pour éviter les engins explosifs improvisés et  des avions à basse altitude visant à effrayer les jihadistes et signifier une présence.   

Comment voyez-vous évoluer la présence française et européenne dans la région, après ces annonces ?   

Le redéploiement du dispositif est extrêmement complexe, il va demander des accords juridiques. Cela ne pourra pas être déclaré du jour au lendemain. Un certain nombre de négociations ont abouti, notamment avec le Niger. La mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM) et la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) resteraient, mais de nombreuses questions restent en suspens. Il reste la question des bases, qu'il va falloir sécuriser pendant cette séquence. Elles ne seront plus dans l'opérationnel, comment les protéger dans ce contexte ? Nous devons attendre les précisions concernant le redéploiement du dispositif.

"Toute la difficulté, c'est le rejet anti-français. Dans des pays où la présence française n'est pas forcément la bienvenue, il va falloir trouver le juste équilibre pour ne pas se retrouver dans la même situation. Les populations ont aussi envie de changement."

Caroline Roussy

à franceinfo

Au niveau européen, tout cela doit être négocié pays par pays, avec les Etats du Sahel et du golfe de Guinée. Cela peut prendre du temps.

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