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On a regardé le premier JT de la chaîne RT France, accusée d'être "la voix du Kremlin"

La chaîne d'info financée par Moscou a commencé sa diffusion lundi soir sur le canal 259 du bouquet Free, ainsi que sur son site internet. Franceinfo a retenu trois choses vues lors de son premier JT.

Article rédigé par franceinfo - Hugo Cailloux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le premier journal télévisé de RT France, présenté par Stéphanie de Muru, le 18 décembre 2017 (capture d'écran). (RT FRANCE)

Le plateau est tout neuf. Le groupe RT a lancé la version française de sa chaîne de télévision, lundi 18 décembre. Les programmes sont visibles sur le canal 259 du bouquet Free, ainsi que sur son site internet. A 19 heures, la chaîne a diffusé son premier JT. D'une durée de trente minutes, les journaux télévisés de la version française de l'ex-Russia Today doivent être diffusés toutes les heures. 

Financée par l'Etat russe, la chaîne émettait déjà en anglais, en espagnol et en arabe. Elle était déjà présente en France depuis 2015, mais seulement sur internet. Lancée avec un budget de 20 millions d'euros et 150 salariés, cette chaîne d'information veut "apporter à la France et au monde francophone des perspectives nouvelles et accessibles à tous". Mais elle soulève aussi beaucoup de questions. Elle est considérée, notamment par les Etats-Unis, comme un instrument de communication du Kremlin.

Franceinfo s'est plongé dans son premier JT.

Une ex-présentatrice de BFMTV

"Bonsoir à tous, au nom de toute la rédaction, je suis très fière et très heureuse de vous accueillir pour ce tout premier journal de RT France", lance Stéphanie de Muru, seule au milieu d'un plateau flambant neuf, vert et blanc. Les locaux de la chaîne se trouvent à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), près de Paris, entre les bâtiments de Canal+ et de TF1.

La journaliste est à l'aise, malgré une petite erreur de regard caméra au début du journal. Il faut dire que Stéphanie de Muru n'est pas une débutante. A 44 ans, elle a déjà participé au lancement, en 2005, de BFMTV. Elle y est restée pendant douze ans, jusqu'en juillet dernier. "C’est dans ma personnalité de prendre des risques. Et être au lancement d’une chaîne, c’est magique", explique-t-elle au Parisien. Stéphanie de Muru quitte en effet une chaîne en pleine forme, qui se targue d'être la première chaîne d'information quant aux audiences, pour lancer un média controversé. "Je n’ai de leçon d’intégrité à recevoir de personne", rétorque-t-elle au quotidien.

Outre Stéphanie de Muru, RT France bénéficie de la participation de plusieurs personnalités. Jean-Marc Sylvestre, ancien chroniqueur économique à TF1, co-animera un débat hebdomadaire avec l'économiste Jacques Sapir, pourfendeur de l'euro. Un ancien journaliste de France 3 et LCI, Jean-Maurice Potier, assurera le rôle de directeur adjoint de l'information, tandis que Jérôme Bonnet, ancien de Siné Hebdo, sera rédacteur en chef.

Des drapeaux américains brûlés 

Le premier sujet du journal est l'isolement diplomatique des Etats-Unis après le veto américain au Conseil de sécurité de l'ONU contre une résolution condamnant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. L'occasion pour RT France de revenir en images sur la colère de manifestants partout dans le monde après l'annonce américaine de transférer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem. Quatre-vingts secondes en début de journal avec plusieurs séquences de drapeaux américains brûlés et piétinés sans commentaires. 

"Cela veut dire que les Etats-Unis sont isolés à présent ?" lance Stéphanie de Muru à Mezri Haddad, ex-diplomate et philosophe tunisien, invité pour analyser le vote onusien. "Evidemment qu'ils sont isolés", martèle-t-il, avant de conclure : "Il n'y a pas que les Etats-Unis qui gouvernent le monde, il est dépassé ce temps-là." 

Al-Assad tout sourire, Poutine victorieux 

RT France met en avant la Russie dans l'actualité, et l'assume. Dans les titres, l'annonce d'une rétrospective sur deux ans d'intervention militaire russe en Syrie est illustrée par le chaleureux accueil de Vladimir Poutine par Bachar Al-Assad sur la base aérienne russe de Hmeimim, en Syrie. Le dirigeant syrien serre des mains, tout sourire face à son allié de longue date. 

C'est sur cette base militaire que le président russe félicite ses troupes pour leur intervention en Syrie dans sa déclaration de victoire face au groupe Etat islamique, le 11 décembre. Dans une allocution retransmise plus tard dans le JT, il déclare : "Vous revenez victorieux dans vos familles, chez vos proches. (...) Je vous remercie pour la mission que vous avez remplie." "Ce ne sont pas les forces aériennes russes qui ont fait tout le travail, tempère la correspondante à Moscou pour RT France, Vera Gaufman. La coalition menée par les Etats-Unis a elle aussi joué un grand rôle dans la guerre."

Lors d'une visite en France de Vladimir Poutine, en mai, RT et Sputnik, autre média russe considéré comme proche du Kremlin, avaient été accusés par le président Emmanuel Macron d'être des "organes d'influence" et de "propagande mensongère". Des accusations dont se défend la présidente de RT France, Xenia Fedorova. "Nous sommes accusés mais il n'y a aucune preuve", a-t-elle déclaré à l'AFP, lundi, avant d'ajouter qu'il n'y aura "pas d'attention particulière à l'actualité russe : nous faisons nos choix en fonction de l'actualité".

Du terrorisme et du kebab

Dans la forme comme sur le fond, RT France semble encore se chercher. Entre les sujets sans commentaires dominés par une musique sensationnaliste, ceux illustrés uniquement pas des graphiques et ceux composés d'interviews de passants, le rythme peine à s'installer. 

Sur le fond, les sujets sont variés, de l'intervention militaire russe en Syrie à l'autorisation de la présence du phosphate dans la viande de kebab. Après une première moitié de journal axée sur des thèmes internationaux, les sujets se recentrent sur l'Europe, avec notamment une revue complète des mesures prises par les Etats de l'UE concernant le terrorisme, puis un reportage sur les riverains de l'appartement où le Raid a mené l'assaut contre Abdelhamid Abaaoud, l'organisateur présumé des attentats du 13-Novembre.

Dans son traitement de l'arrivée du FPÖ au gouvernement autrichien, RT France, souvent accusée d'être le relais de l'extrême droite, donne la parole à plusieurs Autrichiens participant à une manifestation de "partis de gauche et de militants des droits de l'homme". "Nous demandons que la société soit solidaire, ouverte d'esprit, anticapitaliste, et qui surtout est à l'opposé des extrêmes", clame l'un d'eux.

Dans un dernier sujet, un journaliste de RT France interroge des passants sur ce qu'ils pensent de la nouvelle chaîne. Un accueil présenté comme étant assez chaleureux, dans une autopromotion à peine voilée de la part de la chaîne.

Si on s'arrête à TF1 et à France 2, c'est sûr que l'information, on ne l'a pas en intégralité

une passante

interrogée par RT France

"Ça nous montre une autre vision de l'actualité", renchérit un homme. La chaîne se donne quelques mois pour prouver au monde francophone son indépendance.

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