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Russia Today et Sputnik, ces visages de l’offensive du Kremlin à l’étranger

La Russie tente-t-elle de peser sur l’élection présidentielle française par médias interposés ? Franceinfo s'est rendue à Moscou et a rencontré les équipes de Russia Today et de Sputnik, visages de l’offensive du Kremlin à l’étranger et notamment en France.

Article rédigé par Hervé Toutain, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Russia Today et Sputnik ont été accusés, notamment par le Parlement européen, d'être des supports de "propagande" du Kremlin (ici, le siège de Russia Today). (Hervé Toutain / RADIO FRANCE)

Boulevard Zubovsky, à Moscou. La chaussée est large comme un fleuve sibérien. Le flot des voitures ne se tarit jamais. C’est l’adresse de Rossia Segodnia, "Russie d'aujourd'hui" en français, la maison mère de la chaîne Russia Today et du site Sputnik, les deux visages de l'offensive médiatique du Kremlin à l'étranger, et notamment en France. La bâtiment n'est autre qu'un monstre de béton et de verre à la soviétique, recomposé en open space, studios et rédaction.

Proche de Poutine et amateur de thèses complotistes

À la tête de cette "structura", Dmitri Kisseliov. Il est le présentateur vedette de la première chaîne publique. Une grande gueule proche de Vladimir Poutine et amateur de thèses complotistes et de science-fiction. Mais Dmitri Kisseliov dirige de très loin, déléguant de nombreuses tâches à un petit groupe de responsables.

Pillier de cette équipe, Anna Belkina nous accueille et s'étonne que nous voulions faire l'interview en russe. La jeune femme souriante et énergique est responsable du développement stratégique. Elle a passé vingt ans aux États-Unis dans le domaine de la communication. 

La Russie est accusée de vouloir peser sur l'élection présidentielle française ? "Le monde n'est ni noir ni blanc. Il est de toutes les nuances et complexe", martèle Anna Belkina. "C'est le peuple qui décide. Les élections, c'est son affaire. Les autorités russes affirment d'ailleurs qu'elles travailleront avec celui qui sera élu, affirme-t-elle. Pour nous, le plus important est de traiter les sujets ignorés ou cachés par les grands médias français. Et de mettre en valeur des analyses et des discours différents."

Illustrer le "malaise français"

Proposer une information alternative. C'est le mot d'ordre. Officiellement, Russia Today et Sputnik n’ont pas de candidat. Mais les deux médias affirment remplir les silences coupables de la presse francaise, en soulignant et amplifiant ce qui illustre aux yeux de Moscou un malaise français : la crise identitaire, les réfugiés, l'immigration ou encore la fracture sociale. Ils n'ont pas de candidat, mais une nette préférence pour Marine Le Pen et le Front national, même si cela n'est jamais dit. 

Davantage que diffuser des "fake news", il s’agit d’abord de créer un climat politique favorable aux intérêts du Kremlin, estime Konstantin von Eggert. Lui est commentateur sur la web-télévision privée Dozhd : "Le but est plutôt de semer ce cynisme, cette méfiance de la classe politique et de ses décisions. Cette attitude est très utile pour le Kremlin qui veut une levée des sanctions et aider les entreprises comme Gazprom à conclure des deals avec l'Occident."

120 millions de visites chaque mois

Tout cela demande des moyens importants. Environ 2 500 personnes travaillent pour Russia today dans le monde. Son budget public s'élève à 300 millions d'euros. La chaîne, qui diffuse ses programmes en huit langues, est présente dans une centaine de pays, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. En France, Russia Today doit ouvrir une rédaction avant fin 2017. Si l'on en croit Anna Belkina, Russia Today est également la chaîne de télévision la plus regardée sur Youtube, avec 120 millions de visites chaque mois.

Interactifs, modernes, les sites de Russia today et de Sputnik s'avèrent plutôt attirants. Mais derrière cette façade, la même verticale éditoriale se manifeste. On ne change pas des méthodes éprouvées, héritage d’une longue histoire : l'administration présidentielle et le ministère des Affaires étrangères sont aux commandes.

Téléphones sans cadran et articles envoyés par l'administration 

Alexei Kovalev a créé un site qui recense les "fake news" dans les médias russes. Il a travaillé de longues années au sien des grandes chaînes publiques. Au sixième étage de l'immeuble du boulevard Zubovsky, l'étage des directeurs adjoints et des principaux rédacteurs, se trouvent selon lui des "téléphones sans cadran", dont se servent les hauts fonctionnaires. "Avec ce téléphone, ils appellent directement les principaux rédacteurs, alors que ces derniers ne peuvent pas appeler dans l'autre sens, explique Alexei Kovalev. Ou alors ils envoient des mails avec les nuances qu'il faut politiquement mettre en valeur ou qui illustrent la position russe. Ou alors l'article est directement envoyé, il n'y a plus qu'à faire un copier-coller. Les gens qui ont construit ce système n'imaginent même pas que cela puisse fonctionner autrement."

Ces directives sont les mêmes pour Russia Today et Sputnik, qui mettent leurs moyens en commun. Sacha, qui tient à rester anonyme, a travaillé comme producteur à la chaîne : "Si quelque chose arrive en Russie ou si la Russie est impliquée dans un événement mondial, les mêmes journalistes et experts vont produire les mêmes commentaires sur Russia Today et Sputnik. C'est la même organisation." Le Kremlin, qui parle volontiers de "guerre d’information" couve étroitement Russia Today et Sputnik, les deux perles du soft power à la russe...

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