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Pourquoi Palmyre est-elle une position stratégique pour l'Etat islamique ?

La perle antique n'est pas seulement importante pour son patrimoine. En plus d'être un bon coup de communication pour l'organisation terroriste, elle pourrait en effet contribuer à l'ouverture de la route de Damas.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
De la fumée s'élève dans le ciel de Palmyre (Syrie), cible de bombardements de l'Etat islamique, le 19 mai 2015, selon des activistes. (OMAR SANADIKI / REUTERS)

Aéroport militaire, prison, bureaux des renseignements… Les troupes du régime syrien ont abandonné toutes leurs positions. Palmyre, la perle antique du désert, est désormais aux mains de l'organisation Etat islamique, qui ne manquera pas de saccager la cité vieille de plus de 2 000 ans, comme elle l'a déjà fait ailleurs, pour d'autres sites historiques remarquables. Mais, au-delà de la menace pour le patrimoine, l'EI s'empare d'une position hautement stratégique et symbolique. Francetv info vous explique pourquoi.

Un axe de communication vital pour Deir Ezzor

Regardez la carte ci-dessus. A l'ouest, la grande ville de Homs et la capitale, Damas. A l'est, la ville de Deir Ezzor, chef-lieu de la région du même nom. Au centre, Palmyre. La ville est située peu après le point de jonction des routes de Damas et de Homs, quand on vient de l'ouest. En prenant Palmyre, on prend aussi l'axe de ravitaillement des troupes syriennes à Deir Ezzor, assiégée depuis plusieurs mois par l'Etat islamique.

"On parle d'une région désertique. Il n'y a qu'une seule route pour rallier Damas à Deir Ezzor. L'EI coupe donc tout ravitaillement et aide logistique aux troupes de Deir Ezzor", explique Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, contacté par francetv info.

Reste le support aérien, mais, "déjà, pour décoller de Deir Ezzor, il faut le faire de nuit, et cela n'empêche pas d'essuyer des tirs. Pour le régime, ça ne sera pas évident de conserver ses positions", remarque Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient (GREMMO), lui aussi joint par francetv info.

Un point qui permet de contrôler toute une région

L'EI a déjà chassé les autres groupes rebelles de la province de Deir Ezzor, et le régime reste seul pour lui opposer une résistance. Si les troupes du régime abandonnent la région, l'EI s'empare d'immenses pans de territoire.

Or, ces zones désertiques sont à la frontière de la province irakienne d'Al-Anbar (comme on le voit sur la carte ci-dessus), située à l'ouest de Bagdad. C'est un bastion historique de l'EI, qui vient d'y remporter une importante victoire en prenant la ville de Ramadi. Avec Palmyre, l'organisation terroriste contrôle non seulement un espace désertique du centre et de l'est de la Syrie, mais s'assure aussi une continuité territoriale, à cheval sur la Syrie et l'Irak.

L'EI s'était déjà ouvert un axe dans le nord de la Syrie et de l'Irak. Mais "de Raqqa à Mossoul [grandes villes syrienne et irakienne tenues par l'EI], les routes ne sont plus sûres pour eux. Les Kurdes ont avancé [vers le sud], et ils sont menacés par les bombardements de la coalition. En prenant Palmyre, ils ouvrent un nouvel espace de communication entre la Syrie et l'Irak, un espace très vaste", explique Fabrice Balanche.

De plus, les jihadistes cherchent désormais à se disperser pour échapper aux frappes de la coalition. Cette dernière n'ayant pas accès aux bases turques pour s'attaquer aux terroristes, "les vols se font à partir du Golfe persique ou de la mer Rouge, explique Fabrice Balanche. C'est assez loin et ça coûte cher. Bref, ça ne facilite pas la tâche. Du coup, on n'envoie pas un avion pour détruire trois pick-up qui passent par là. L'étalement est une stratégie. D'ailleurs, quand les jihadistes de l'EI attaquent, ils n'arrivent plus par colonnes, mais par petits groupes éparpillés, ils ont changé de technique d'assaut". Le désert syrien est donc un terrain propice pour échapper aux frappes.

Des champs gaziers sont situés à proximité

Le sous-sol est tout aussi crucial pour l'organisation. Le 18 mai, l'EI s'est emparé des champs gaziers d'Arak et d'Al-Hail, situés à 25 et 40 km de Palmyre.

Pour remplir ses coffres, l'EI a déjà prouvé sa capacité à revendre du pétrole de contrebande. Cela devrait toutefois être plus compliqué avec le gaz, car "ça ne se déplace pas aussi facilement. Ils n'ont pas la technologie pour le faire", souligne Fabrice Balanche.

Difficile d'en tirer profit financièrement, mais cette prise devrait handicaper encore un peu plus le régime. "Les champs gaziers alimentaient les centrales électriques syriennes de Damas et de Homs", selon le chercheur.

Un bon coup de communication pour l'EI

Les sites patrimoniaux permettent aux terroristes de faire parler d'eux. Les jihadistes de l'EI ont choqué le monde entier, avec leurs vidéos de destructions d'œuvres antiques à Mossoul, à Ninive, à Hatra et à Nimroud. L'organisation n'hésitera pas à détruire de la même manière les vestiges de Palmyre, classés au patrimoine mondial de l'Unesco. Ces images de saccages permettent à l'EI "d'exister médiatiquement". "On ne parlait plus de la Syrie depuis quinze jours et maintenant mon téléphone n'arrête plus de sonner, remarque Fabrice Balanche. Ça remet en lumière l'EI."

Une lumière nécessaire pour recruter à l'étranger et attirer des financements dans un contexte de concurrence. La branche syrienne de l'EI cherche à avoir le leadership face à d'autres groupes jihadistes avides de nouveaux combattants. Le principal rival est l'Armée de la conquête, une nouvelle coalition rebelle, dont le Front Al-Nosra constitue "l'épine dorsale", selon Le Temps. Le Front Al-Nosra est lui-même affilié à Al-Qaïda, et figure sur la liste noire des organisations terroristes de Washington, mais cela n'empêche pas la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar de financer ouvertement cette coalition.

Face à ce concurrent de poids, la branche syrienne de l'EI a besoin de victoires symboliques. Or, elle a subi un cuisant échec dans la ville kurde de Kobani. De plus, "il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas qu'une seule branche de l'EI, mais une branche syrienne et une branche irakienne", soulève Hasni Abidi. La branche irakienne a enregistré un important succès à Ramadi. Ainsi, "la branche syrienne était sous la pression de sa base et de sa sœur jumelle. Avec cette victoire, elle assoit son pouvoir".

C'est sur la route de Damas

Enfin, en prenant cette immense portion de désert, l'EI se rapproche de la "Syrie utile" et de Damas. Déjà, il a montré l'incapacité du régime à garder Palmyre, l'humiliant au passage. Il pourra désormais mener des attaques sur Homs et, surtout, se rapprocher de Damas, dont Palmyre était l'un des derniers verrous.

Une bataille pour laquelle le Front Al-Nosra s'est déjà positionné. Qui entrera en premier dans Damas ? "Entrer dans un duel avec le régime est dangereux. Chaque groupe prendrait le risque de s'affaiblir davantage. Pour l'instant, chacun cherche à conquérir de l'espace et à rallier plus d'hommes", estime Hasni Abidi. Mais Damas est un enjeu de taille."

Pour Fabrice Balanche, cette bataille est inéluctable. "Il est clair qu'il y a une nouvelle bataille de Damas qui se prépare. Il reste des poches rebelles autour de Damas et celui qui arrivera à les 'sauver' sera accueilli en libérateur. Mais l'armée d'Assad renforce sa défense. Le Hezbollah et des milices chiites sont en place."

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