Frappes en Syrie, guerre en Irak... Même combat ?
Une opération militaire déclenchée sans l'aval de l'ONU sur la base de "preuves" accablantes : cela vous rappelle l'intervention américaine de 2003 ?
L'image est restée dans les mémoires. Le 20 janvier 2003, au Conseil de sécurité des Nations unies, Colin Powell agite devant les caméras du monde entier une fiole censée contenir de l'anthrax. A grand renfort de photos satellite, le secrétaire d'Etat américain l'assure : Saddam Hussein dispose d'"armes de destruction massive" et un "axe du mal" le lie à Oussama Ben Laden et Al-Qaïda. Le tout justifie aux yeux de l'administration de George W. Bush une intervention militaire en Irak.
L'ONU refuse de donner son aval à l'opération, mais la guerre en Irak est tout de même déclenchée. Le régime est renversé, Saddam Hussein capturé et exécuté. Les "armes de destruction massive", elles, ne seront jamais trouvées. Pas plus que les connexions entre la dictature irakienne et Al-Qaïda. Elles n'étaient qu'un mensonge, un prétexte fallacieux à un casus belli.
Quinze ans plus tard, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer les "preuves" de l'attaque présumée à l'arme chimique contre le fief rebelle de Douma, légitimant les frappes françaises, britanniques et américaines contre des installations du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, samedi 14 avril. L'histoire est-elle en train de se répéter ? Éléments de réponse.
Oui, le droit international n'a pas été respecté
Dimanche, lors de son interview télévisée, Emmanuel Macron s'est prévalu d'une "légitimité internationale". A travers la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, "c'est la communauté internationale qui est intervenue", a fait valoir le chef de l'Etat. Les frappes sanctionnaient, selon les mots du président français, le "non-respect de l'interdiction des armes chimiques" par le régime de Bachar Al-Assad. Mieux, cette opération en Syrie s'inscrivait "dans une démarche qui est la lutte contre Daech" et "ensuite la nécessité de construire une solution politique".
Pour autant, ces frappes restent illégales au regard du droit international, d'après Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "Comme George W. Bush en 2003, Emmanuel Macron n'a pas respecté la Charte des Nations unies", remarque-t-il, interrogé par franceinfo.
En vertu de l'article 42 du chapitre 7, aucun pays n'a le droit d'intervenir dans un autre pays sans résolution du Conseil de sécurité.
Karim Pakzadà franceinfo
"Le président de la République présente cette attaque comme légitime, parce que trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité en ont approuvé le principe et y participent", pointe cet expert.
Trois pays ne peuvent prétendre représenter à eux seuls la volonté unanime de la communauté internationale. Seule l'unanimité du Conseil de sécurité le peut.
Karim Pakzadà franceinfo
"En choisissant de dire que la majorité au Conseil de sécurité suffit, Emmanuel Macron rejette en quelques sortes le droit de veto, argumente encore le spécialiste. Certes le droit de veto est archaïque et bloque le fonctionnement du Conseil de sécurité, mais tant que ce droit existe et que la charte de l'ONU reste inchangée, outrepasser une résolution du Conseil de sécurité viole le droit international."
Oui, les "preuves" font débat
Emmanuel Macron assure que la France a "obtenu des preuves que du chlore, des armes chimiques avaient été utilisés" dans la ville de Douma, le mercredi 4 avril, et que ces dernières "pouvaient être attribuées au régime syrien". Reste qu'à aucun moment ces preuves n'ont été fournies par les autorités. Des inspecteurs internationaux ont bien été envoyés à Douma par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) mais dix jours après les faits présumés, les enquêteurs indépendants n'avaient toujours pas réussi à atteindre la ville.
Pour l'heure, "les preuves ne sont pas très solides", observe Karim Pakzad. "On n'aura jamais de preuves formelles", assure même Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie.
On en a l'intime conviction, on sait très bien que Bachar Al-Assad utilise des armes chimiques et s'en est servi par le passé, mais devant une Cour pénale internationale, on serait bien embêté. Les Russes et les Syriens ne s'en privent pas pour jouer sur cette ambiguïté.
Fabrice Balancheà franceinfo
L'expert doute aussi de la sincérité de la Russie, qui s'est engagée à "ne pas s'ingérer" dans le travail de la mission de l'OIAC, officiellement invitée par les autorités syriennes. "Les Russes sont tout à fait capables de faire disparaître les preuves. Et quand bien même les inspecteurs internationaux trouveraient des traces d'armes chimiques, il faudrait encore prouver que c'est bien le régime syrien qui s'en est servi cette fois-là", note-t-il.
Les Etats-Unis ont d'ailleurs pris les devants d'un éventuel échec de la mission de l'OIAC, laissant entendre qu'ils soupçonnaient déjà la Russie d'avoir manipulé le site de Douma pour empêcher la découverte de preuves. "Les Russes pourraient avoir visité le site de l'attaque. Nous craignons qu'ils ne l'aient altéré dans l'intention de contrecarrer les efforts de la mission de l'OIAC pour mener une enquête efficace", a déclaré Ken Ward, l'ambassadeur américain auprès de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.
Non, l'intervention militaire n'a pas la même ampleur
Les frappes occidentales contre la Syrie diffèrent de la guerre en Irak de 2003 par leur durée et par les moyens déployés. "On est dans une opération ponctuelle", confirme sur franceinfo le général Patrick Charaix, ancien commandant les forces aériennes stratégiques. "Il n'y a pas eu de déclaration de guerre, c'est une action vraiment limitée, approuve Karim Pakzad. La France n'a pas déclaré la guerre la Syrie, elle ne l'a pas envahie, elle n'a pas déployé de troupes au sol."
Les bombardements ont été aussi brefs qu'intenses. Une centaine de missiles ont été tirés dans la nuit de vendredi à samedi. Les Etats-Unis ont mobilisé des bombardiers stratégiques B-1B, un sous-marin nucléaire et trois destroyers. Côté français, ce sont 17 avions qui ont été engagés, notamment cinq Rafale et quatre Mirage 2000, ainsi qu'un sous-marin d'attaque et trois frégates. Le Royaume-Uni, lui, a mobilisé quatre chasseurs Tornado, liste Le Monde (article payant).
En Irak, il y avait 200 000 hommes sur le terrain et une large coalition. En Syrie, la coalition se réduit à trois pays et les frappes sont conduites à distance depuis des navires ou des avions.
Fabrice Balancheà franceinfo
Sans oublier que la guerre en Irak, déclenchée en 2003, a officiellement pris fin en 2011, soit huit ans plus tard.
Non, l'objectif politique n'est pas le même
La différence n'est pas seulement sur la forme, elle est aussi sur le fond, relève Karim Pakzad : "En 2003, en Irak, George W. Bush a déclenché une guerre de grande envergure pour changer le visage d'un pays avec la volonté d'y instaurer la démocratie." "Les néoconservateurs américains étaient persuadés de pouvoir instaurer la démocratie par la force", poursuit Fabrice Balanche.
"En 2003, les Etats-Unis voulaient montrer leur 'hard power'. Il ne faut pas oublier que la guerre d'Irak a été déclenchée dans la foulée des attentats du 11-Septembre. Il y avait une ambiance très va-t-en guerre à Washington", continue le spécialiste. "Les Etats-Unis craignaient un soulèvement généralisé contre l'empire. Frapper Saddam Hussein, c'était refroidir les ardeurs des éventuels ennemis de l'Amérique. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, même chez les néoconservateurs qui pointent la responsabilité de Bachar Al-Assad dans l'expansion de l'Etat islamique. Après l'Afghanistan, la Libye, les Etats-Unis sont beaucoup plus réalistes."
Ce sont des frappes symboliques. Les frappes ont été négociées avec les Russes. Il n'y a eu aucune victime, de l'aveu même de Moscou, cela veut bien dire que les lieux ont été vidés avant les frappes.
Fabrice Balancheà franceinfo
"L'objet est de dissuader les usages d'armes chimiques, que ce soit en Syrie ou ailleurs", confirme Jean-Marc Lafon, cofondateur de l'institut Action résilience et observateur des conflits au Proche-Orient. "Depuis 2013, à chaque fois qu'un usage d'armes chimiques a lieu, on parle de 'ligne rouge' et il ne se passe pratiquement jamais rien. De ce point de vue-là, effectivement, si l'on voulait restaurer cette capacité à être dissuasif, il fallait faire quelque chose."
En Syrie, "les frappes ne vont rien changer en terme stratégique de rapport de force sur le terrain. Le régime syrien est en train de gagner la guerre", juge aussi Karim Pakzad.
En revanche, ces frappes vont changer le rapport de force entre les occidentaux et les alliés du régime syrien : l'Iran et la Russie.
Karim Pakzadà franceinfo
L'opération des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France permet donc à Washington de bomber le torse face à Moscou et Téhéran. "L'objectif pour Donald Trump est aussi de montrer qu'il n'est pas un faible, de se démarquer de Barack Obama qui avait renoncé à la dernière minute à frapper la Syrie", estime Fabrice Balanche. "Il se paie même le luxe de passer pour un tacticien : il compte retirer les troupes au sol avant les élections de mi-mandat, en novembre, mais il les remplace par des frappes depuis les airs et la mer, sans risquer la vie de GI."
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