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Tribune "Refuser de voir l'évidence est un déni d'humanité" : la colère des médecins de guerre face à l'immobilisme de la communauté internationale en Syrie

Cinq jours après une nouvelle attaque chimique présumée dans la Ghouta orientale, des médecins et des urgentistes de guerre appellent sur franceinfo à la reconnaissance de la catastrophe humanitaire en Syrie.

Article rédigé par franceinfo
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Des Syriens devant un bâtiment détruit de la ville de Zamalka dans la Ghouta (Syrie), le 4 avril 2018. (CHINE NOUVELLE/SIPA/XINHUA)

Il faut "éviter une situation hors de contrôle", a martelé le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, cinq jours après une nouvelle attaque chimique présumée sur la dernière poche rebelle de la Ghouta orientale en Syrie. Sur place, des secouristes ont dénoncé une possible attaque au chlore et fait état de cas de suffocation. Face à cette nouvelle escalade de violence, le médecin de guerre Raphaël Pitti pousse un cri d'alarme : il appelle la communauté internationale à respecter le droit international humanitaire et reconnaître l'état de catastrophe humanitaire en Syrie. Avec ses collègues anesthésistes-réanimateurs Ziad Alissa et Anas Chaker, membres de l'Union des organisations de secours et des soins médicaux (UOSSM), ils décrivent une situation d'urgence extrême en Syrie et appellent les gouvernements à cesser leur "hypocrisie". Ils s'expriment ici librement.


Après plusieurs mois de bombardements intenses sur la Ghouta orientale où les civils sont les premières victimes, l’horreur est encore montée d’un cran ce week-end [7 et 8 avril]. Une attaque chimique en deux temps a semé la terreur en faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, un bilan qui reste encore provisoire à ce jour. 

Les symptômes des victimes sont évidents : aucune présence de lésion traumatique, gêne respiratoire avec parfois suffocation, irritation oculaire, odeur de chlore, qui démontre une attaque au chlore.

Les médecins de guerre de l'UOSSM

à franceinfo

D’autre part, des morts foudroyantes en grand nombre dans une même zone avec des brûlures oculaires, qui nous laissent supposer la présence d’un second agent chimique très mortel que le chlore a servi à masquer. Ce sont les populations civiles qui en paient le prix le plus fort. Les enfants, en premier lieu, qui de part leur taille et leur poids, succombent plus rapidement à une attaque chimique. Les preuves sont donc bien là – évidentes –, collectées par les médecins restant à Douma, qui nous ont fait parvenir les photos ainsi que leurs rapports médicaux.

Face à ces attaques, les médecins et les hôpitaux sont totalement démunis. Dans une situation de catastrophe humanitaire et sanitaire aussi dégradée que vit la Ghouta, les soignants ne disposent pas des traitements adéquats pour sauver les blessés, ni d'aucun moyen pour réaliser une décontamination des victimes avant leur entrée à l’hôpital, les oxygéner, ou assumer une réelle prise en charge respiratoire. Le personnel médical est épuisé par les afflux de victimes de jour comme de nuit, les hôpitaux sont, eux aussi, des cibles de bombardements et y demeurer est extrêmement dangereux.

"Ces attaques ont fait plus de 15 000 victimes"

Derrière les attaques chimiques de cette ampleur, il y a une volonté de semer la mort et la terreur parmi les populations. Une des plus importantes, au sarin, ayant eu lieu dans la Ghouta le 21 août 2013, et aussi en avril 2017 à à Khan Sheikhoun. Une stratégie de guerre, qui a cours en Syrie depuis plusieurs années. Avec mes collègues de l’UOSSM, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises en Syrie pour former les secouristes et les soignants à la prise en charge des victimes de guerre et au chimique. Près de 187 attaques chimiques ont été recensées par l'UOSSM en se basant sur différents rapports. Ces attaques ont fait plus de 15 000 victimes, dont 1 800 morts.

L’histoire se répète depuis sept ans. Lors de la première attaque chimique en 2013, la communauté internationale ne s’est pas mobilisée. Elle n’a cessé d’attendre des “preuves”, alors que les attaques chimiques sont évidentes. Je n’ai pas arrêté, avec mes collègues, d’envoyer des preuves au gouvernement. Je l'ai submergé de vidéos et de photos. Maintenant, qui est coupable ? Ce n’est pas mon problème. Refuser de voir l'évidence est un déni d'humanité.

Nous constatons que la situation en Syrie n’a jamais cessé de se dégrader dans ce qui est aujourd’hui la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les médecins de guerre de l'UOSSM

à franceinfo

"Il faut que s'impose le droit humanitaire international"

Aujourd’hui, nous ne pouvons que continuer de nous indigner et de faire entendre notre voix de médecins, de soignants pour dire stop à la terreur, stop à la mort qui n’en finit pas de s’abattre, que ce soit par la voie d’armes conventionnelles ou d’attaques chimiques. Assez de ces gesticulations, de cette hypocrisie, de ces raisonnements qui visent à préserver des intérêts géopolitiques, géostratégiques ou que sais-je encore ! Mais aussi la lâcheté des autres.

Ce que nous demandons à tous les belligérants, à la France, à l’Europe, à la communauté internationale à tous les peuples au-dessus de leur gouvernement c’est de faire entendre la voix de la paix, trop de sang a coulé, trop d’enfants sont morts. Nous ne demandons pas d’intervention militaire, mais le respect du droit humanitaire, la reconnaissance de la catastrophe humanitaire en Syrie.

Ce n’est pas en bombardant que nous sortirons de cette escalade de violence qui dure depuis sept ans. Nous demandons a minima la mise en place de corridors humanitaires pour que les populations puissent être protégées et que les ONG puissent intervenir à leurs côtés. Assez de vouloir rajouter de la guerre à la guerre, de la violence à la violence. Il faut que s’impose le droit humanitaire international. Que la raison revienne.

Signataires : Pr Raphaël Pitti, médecin-anesthésiste humanitaire, responsable formation de l’UOSSM France, Dr Ziad Alissa, médecin-anesthésiste réanimatrice, président de l'UOSSM France, Dr Anas Chaker, médecin-anesthésiste, porte-parole de l'UOSSM France

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