: Vidéo Au nord de la Syrie, dans ces camps où les déplacés cohabitent avec les femmes et enfants de jihadistes étrangers
Des centaines de femmes et enfants étrangers issus des bastions du groupe État islamique sont passés dans le camp de déplacés de Roj, à l'extrême nord-est de la Syrie. franceinfo s'y est rendu.
En ce jour froid de fin janvier, les allées sont désertes dans le camp de déplacés de Roj, planté au milieu de champs de pétrole du Kurdistan syrien, à l’extrême nord-est du pays. Quelques moutons paissent. La pluie incessante ruisselle des grandes tentes recouvertes de bâches blanches et bleues.
Le directeur du camp confirme qu'Émilie König a bien transité par ici. La Française, propagandiste du groupe État islamique arrêté en Syrie, l'avait affirmé dans une vidéo diffusée par les forces kurdes. Impossible en revanche de savoir si d'autres jihadistes français sont passés par le camp de Roj. Le directeur n'en dira pas plus. Bien qu'on ne distingue aucun dispositif de sécurité particulier, l'accès à l’intérieur du camp n’est pas autorisé.
Des "milliers de personnes sont toujours en détention", selon le Comité international de la Croix-Rouge. Dans le nord de la Syrie, parmi les jihadistes détenus, il y aurait une soixantaine de Français, dont une vingtaine d'enfants. Depuis l'effondrement du "califat" auto-proclamé du groupe État islamique, tout est à reconstruire, et face à la crise humanitaire et ses millions de déplacés (plus de 10 millions en Syrie, 3 millions en Irak), refonder une justice post-conflit constitue un défi de taille.
Dans les camps de déplacés, des centaines de femmes et d'enfants du jihad
Plusieurs cas de rougeole ont été détectés au camp de Roj. Ils viennent des zones tenues par Daech, assure-t-on ici. Mais, officiellement, les conditions de vie sont relativement bonnes. "Jusqu’à présent, la situation est correcte, confie Nura Abdu, membre de l’administration du camp. En ce moment, avec la tempête, certaines tentes sont emportées ou détruites et l’eau pénètre à l’intérieur. Pour le reste, ça va : nous avons de la nourriture, de l’eau potable et de l’électricité."
Mais on manque de médicaments et, surtout, on n’a pas de lait en poudre pour les bébés.
Nura Abdu, membre de l’administration du camp de Rojà franceinfo
Une grande partie du camp est peuplée de femmes et d’enfants dont les maris ou les pères sont impliqués dans l'organisation jihadiste. Ce sont uniquement des familles étrangères et elles attendent qu'une décision sur leur sort soit négociée entre les autorités kurdes et leur gouvernement.
Au loin, on distingue une femme en niqab noir s’aventurer sous la pluie. Une petite fille ébouriffée vient remplir un bidon d’eau à une pompe. Elle fait partie des enfants qu'il a fallu prendre en charge dans le camp. "Au début, ces enfants de Daech étaient très réticents, raconte Salah Ahmed, le directeur de l'école du camp de Roj. Nous avons des cours de musique, par exemple, et ils disaient que c’était interdit. Après, ils ont vu l’école et ils ont commencé à venir. Là-bas, sous Daech, le système éducatif avait été détruit."
Certaines des filles que nous avons ici ont été mariées à 11 ans. Nous avons des fillettes enceintes ou qui ont déjà des enfants.
Salah Ahmed, directeur de l'école du camp de Rojà franceinfo
Dans ce camp, enfants et femmes du groupe État islamique cohabitent avec des déplacés qui ont fui les jihadistes, comme Salam Al Kurdi, un quinquagénaire qui a dû abandonner sa maison près de Mossoul. Il assure que la cohabitation se passe bien : "Ce ne sont que des enfants et des femmes. Celles-ci ont été obligées par leurs hommes d’être avec l'État islamique. On essaye de les remettre sur le droit chemin quand c’est nécessaire, de les déradicaliser."
Ces femmes ont été trompées et oppressées par leurs maris, donc on les traite bien.
Salam Al Kurdi, déplacé syrien du camp de Rojà franceinfo
Les jihadistes les plus menaçants ou les plus sensibles ne se trouvent pas dans le camp de Roj, mais dans des prisons pour les hommes et dans des "centres de réhabilitation et de réinsertion" pour les femmes et les jeunes de moins de 18 ans. C'est dans l'un de ces centres, sorte de maison de détention, que se trouverait aujourd'hui Émilie König. Ici aussi, l'accent est mis sur le désendoctrinement
"On reprend tout à zéro : ce que la religion signifie, ce que les savants en disent, détaille Abdul Baset Oso, le responsable de l’autorité de la justice du canton de Djézireh. On leur montre l’idéologie noire qui a été implantée dans leur cerveau, on leur montre qu’on ne peut pas tuer des gens qui ont été créés par Dieu. On parle de liberté d’expression, du vivre ensemble. On a des spécialistes qui font ce travail auprès d’eux, petit à petit."
Dans les centres de détention, des accusations de torture
Officiellement, les détenus pour terrorisme peuvent voir leurs proches, même si, pour cela, il faut attendre la fin de l’enquête. Ce discours officiel concernant les conditions d'incarcération est difficile à vérifier car l'administration autonome du nord de la Syrie interdit la visite des centres de détention.
Nadim Houry, lui, a pu y entrer il y a six mois, en mission pour l'ONG Human Rights Watch. "Les conditions en soi étaient acceptables, indique ce responsable des questions liées à la lutte anti-terroriste au sein de l'ONG. Après, on n'a pas pu enquêter. Il y a des gens qui accusent les autorités locales de torture."
On est loin des standards internationaux.
Nadim Houry, Human Right Watchà franceinfo
Loin des standards internationaux, notamment pour l’accès à un avocat. Cela n'est pas prévu dans la procédure anti-terroriste. Il n'y a pas de protection consulaire non plus pour les Français qui y sont détenus : le Kurdistan syrien n'est pas un État, donc Paris n’y a pas de représentation diplomatique et les détenus ne peuvent pas recevoir la visite ou l'assistance d'un fonctionnaire français. Le Comité international de la Croix-Rouge, lui, marche sur des œufs et se contente de dire qu’il est "en constants pourparlers concernant l’accès aux lieux de détention" dans cette région.
Des familles de jihadistes français arrêtés en Syrie ont annoncé, le 17 janvier, avoir porté plainte contre les autorités françaises pour détention arbitraire. Elles demandent à ce que leurs proches soient rapatriés en France pour y être jugés.
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