Guerre entre Israël et le Hamas : l'ONU peut-elle ramener la paix dans la bande de Gaza ?

Plus de deux mois après les attaques terroristes du mouvement islamiste et l'offensive lancée en représailles par l'Etat hébreu dans l'enclave palestinienne, les Nations unies ont multiplié les initiatives en faveur d'un cessez-le-feu.
Article rédigé par Elise Lambert
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Les Nations unies ont une nouvelle montré leur impuissance sur la scène mondiale lorsque la guerre entre Israël et le Hamas a éclaté le 7 octobre. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Un vote joué d'avance ? Le Conseil de sécurité de l'ONU doit voter, mardi 19 décembre à New York, pour se prononcer sur une nouvelle résolution appelant à une "cessation urgente et durable des hostilités" dans la bande de Gaza, pour permettre l'entrée et la distribution de l'aide humanitaire dans l'enclave palestinienne dévastée par les bombardements israéliens depuis plus de deux mois. Dix jours après l'échec de l'adoption d'une précédente résolution en faveur d'un cessez-le-feu, en raison du veto des Etats-Unis, les Nations unies ont reporté le vote prévu lundi pour éviter une nouvelle impasse. La situation est pourtant dramatique : près de 18 800 personnes ont été tuées à Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas, et les Gazaouis manquent de tout.

Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre, le conflit israélo-palestinien est au cœur des discussions aux Nations unies. A plusieurs reprises, l'Assemblée générale de l'ONU comme le Conseil de sécurité ont bien tenté de trouver une issue à la crise. En vain. Une brève trêve humanitaire a certes pu entrer en vigueur fin novembre, afin d'échanger des otages contre des prisonniers palestiniens, mais à la suite d'un accord entre les belligérants, sans le concours des Nations unies. L'organisation onusienne est-elle devenue un "machin", comme Charles De Gaulle la surnommait ? Soixante-dix-huit ans après sa création, comment expliquer cette apparente impuissance ?

Une bataille de formulations

Après plus de deux mois de guerre, le Conseil de sécurité de l'ONU n'est toujours pas parvenu à imposer un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Seule instance apte à voter des décisions contraignantes, le Conseil est composé de cinq membres permanents – Russie, Etats-Unis, Chine, France et Royaume-Uni – et de dix membres élus pour deux ans par l'Assemblée générale des Nations unies. Pour être adoptée, une résolution doit être votée par au moins neuf membres, sans aucun veto des membres permanents.

Après les attaques du Hamas, les principales divergences tournaient autour de la formulation du texte. La Russie a présenté un projet appelant à un "cessez-le-feu immédiat", mais sans nommer le Hamas qu'elle ne reconnaît pas comme une organisation terroriste. En réponse, les Etats-Unis, alliés d'Israël, ont insisté pour mentionner les "actes terroristes odieux". Le Brésil, membre non permanent, a alors présenté un nouveau texte incluant le mot "terrorisme", mais sans inscrire "le droit d'Israël à se défendre", entraînant le veto de Washington. En moins de deux semaines, quatre projets de résolution ont été rejetés. 

L'ambassadeur d'Israël à l'ONU Gilad Erdan porte une étoile jaune lors d'un Conseil de sécurité de l'organisation, le 30 octobre 2023, après les attaques du Hamas le 7 octobre. (MICHAEL M. SANTIAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

A la tribune de l'ONU, le ton est également monté. L'ambassadeur israélien Gilad Erdan a accroché une étoile jaune sur sa poitrine, assurant qu'il la porterait jusqu'à ce que l'instance condamne "les atrocités" du Hamas. Lorsque le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré que ces attaques ne s'étaient "pas produites en dehors de tout contexte", le diplomate israélien a réclamé à cor et à cri sa démission. Il a fallu attendre un mois pour que le Conseil de sécurité finisse par s'accorder sur un appel à des "pauses humanitaires", le 16 novembre, lors d'un vote pour lequel les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie se sont abstenus.

L'impossible consensus sur la Palestine

Cet imbroglio est loin d'être nouveau. Au cours des dernières décennies, l'ONU a toujours peiné à parler d'une même voix sur le dossier israélo-palestinien. Depuis 1970, les Américains ont mis 35 fois leur veto à une résolution sur ce sujet, sur 39 au total, rappelle l'AFP. En revanche, l'Assemblée générale a toujours voté plus largement en faveur des territoires palestiniens. Cette instance qui regroupe 193 Etats membres peut faire des recommandations, qui ne sont toutefois pas contraignantes. Depuis le 7 octobre, elle a voté à plusieurs reprises pour un cessez-le-feu ou une trêve humanitaire à Gaza, à rebours du Conseil de sécurité.

Dans l'histoire des Nations unies, c'est aussi à l'Assemblée générale que des positions fondamentales pour les territoires palestiniens ont été prises, rappellent Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert dans leur livre Qui veut la mort de l'ONU ?. En 1947, elle a ainsi voté en faveur du plan de partage de la Palestine en un Etat juif et un Etat arabe. En 1974, elle a voté à une large majorité la reconnaissance du droit des Palestiniens à l'autodétermination et à la souveraineté. En 2012, elle a attribué à la Palestine le statut d'"Etat non membre", lui permettant de saisir la Cour pénale internationale ou de signer des traités.

L'Assemblée générale de l'ONU vote en grande majorité une résolution demandant un "cessez-le-feu immédiat" dans la bande de Gaza, le 12 décembre 2023. (ANGELA WEISS / AFP)

"Au cours des dernières décennies, les discussions sur le conflit israélo-palestinien à l'ONU ont suivi la même dynamique fondamentale, résume Richard Gowan, spécialiste de l'ONU au sein de l'ONG Crisis Group. Les Etats-Unis utilisent leur veto pour bloquer les critiques d'Israël, tandis que les pays arabes rallient les pays en développement pour défendre les Palestiniens", écrit-il dans la revue spécialisée Foreign Affairs.

Une situation qui fait passer l'ONU pour une "naine sur la scène politique internationale", avance Romuald Sciora. Dans leur charte fondatrice de 1945, les Nations unies affichent le but de "maintenir la paix et la sécurité internationales", "mais, dans les faits, l'ONU n'a plus cette influence ni les moyens d'imposer un quelconque cessez-le-feu", critique ce spécialiste de l'ONU, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Des échecs répétés depuis les années 1990

Tout cessez-le-feu dans la bande de Gaza dépend donc de l'aval des Etats-Unis. Or Washington est un partenaire historique d'Israël. De nombreux juifs survivants de la Shoah ont rejoint les Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale et les deux pays entretiennent de solides relations économiques. D'après un rapport du Congrès américain publié en mars, l'Etat hébreu est le pays qui a reçu le plus de fonds américains avec environ 260 milliards de dollars (238 milliards d'euros) d'aide depuis 1946. Après les attaques du 7 octobre, le président américain Joe Biden n'a cessé d'apporter un soutien "inébranlable" à Israël. Une position qu'il a toutefois commencé à infléchir, tant l'action israélienne dans la bande de Gaza suscite de critiques y compris dans l'opinion publique américaine. 

"Le soutien à Israël crée des polémiques au sein des démocrates, une partie de la communauté juive américaine proteste contre les frappes à Gaza, et le pays entre dans une période électorale" avec la présidentielle de 2024, explique Yves Doutriaux, ancien représentant permanent adjoint de la France auprès de l'ONU. "Il n'est pas exclu qu'avec le temps, les Etats-Unis exercent une pression encore plus forte sur Israël", estime-t-il. Jusqu'à se désolidariser ? La question reste entière. Quoi qu’il en soit, pour l'ancien diplomate, si les membres permanents du Conseil de sécurité sont incapables de s'entendre en raison de leurs alliances divergentes, ce n'est pas de la faute de l'ONU.

"Quand les nations sont désunies, ce n'est pas l'organisme qui est en cause, mais les nations elles-mêmes."

Yves Doutriaux, ancien diplomate français

à franceinfo

Cette incapacité à bâtir la paix n'est pas propre au dossier israélo-palestinien, reprend Romuald Sciora. Depuis les années 1990, "l'ONU a peu de fois contribué à la résolution directe d'un conflit", souligne le chercheur. La fin de la Guerre froide et des blocs Est-Ouest avaient ouvert un espace prometteur pour le multilatéralisme, ce système des relations internationales favorisant la coopération entre les Etats. "Mais les années 1990 ont marqué un tournant, avec les Etats-Unis notamment qui entendaient élargir les conditions d'entrée en guerre en vertu d'un 'devoir d'ingérence'", illustre-t-il.

Durant cette décennie, et jusqu'à maintenant, "que ce soit au Rwanda, en Syrie ou au Kosovo", "l'organisation a échoué à maintenir la paix", observe le chercheur. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont eux-mêmes fragilisé l'organisation en abusant de leur droit de veto ou en recourant de façon illégale à la force, rappelle-t-il, citant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 ou les tensions en mer de Chine provoquées par Pékin.

Les dirigeants ont en outre montré ces dernières années "leur préférence pour des instances comme le G20 ou le G7, marginalisant l'ONU", ajoute Romuald Sciora. Lors de la dernière session de l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre, le président chinois Xi Jinping, Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Rishi Sunak ne se sont pas déplacés. "C'est l'ensemble du système multilatéral qui est en déclin", estime Romuald Sciora.

Vers une meilleure représentation ?

Face à ce constat, des voix appellent à changer les institutions onusiennes. "Le monde a changé. Nos institutions, non. Nous ne pouvons pas traiter efficacement les problèmes tels qu'ils sont si les institutions ne reflètent pas le monde tel qu'il est", a ainsi déclaré Antonio Guterres lors de l'Assemblée générale de l'ONU en septembre. Des Etats appellent à élargir le Conseil de sécurité, qui réunit depuis sa création les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. "La France y est très favorable, notamment pour inclure l'Allemagne, le Brésil, le Japon, un grand pays d'Afrique... Et mieux représenter le monde tel qu'il est", pointe Yves Doutriaux.

Des manifestants pro-palestiniens se rassemblent devant les bâtiments de l'ONU à New York pour demander un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, le 12 décembre 2023. (SELCUK ACAR / ANADOLU / AFP)

En 2022, le Liechtenstein a appuyé une résolution pour obliger les Etats ayant dégainé un veto à venir s'expliquer devant l'Assemblée générale. Un "sommet de l'avenir" de l'ONU est notamment prévu pour 2024, pour aborder l'avenir des institutions et du multilatéralisme. Si l'ONU ne semble plus pour certains être le cadre principal des négociations politiques pour préserver la paix, il en reste que ses agences, comme l'Agence pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à Gaza, font un travail humanitaire "remarquable" sur le terrain et œuvrent à la paix, rappelle Romuald Sciora. A ce jour, l'Assemblée générale de l'ONU reste également la seule instance au monde où presque tous les Etats du monde sont réunis, et où chaque pays, riche ou pauvre, dispose du même poids.

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