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Guerre Israël-Hamas : une semaine après la fin de la trêve, le sud de la bande de Gaza s'enfonce dans "l'enfer" du conflit

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Des Palestiniens aident un homme blessé lors d'un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 3 décembre 2023. (SAID KHATIB / AFP)
La majorité de la population a fui le nord de l'enclave, où se concentraient initialement les combats. Mais depuis que l'offensive israélienne s'intensifie aussi dans le Sud, les Gazaouis n'ont "nulle part où aller".

"Quarante-cinq personnes ont été tuées lors d'une frappe israélienne. La plupart avaient fui la ville de Gaza pour Deir al-Balah [plus au sud]. Ils pensaient y être en sécurité." En trois phrases publiées sur le réseau social X, mercredi 6 décembre, Motaz Azaiza résume le quotidien de la population gazaouie. "Personne n'est en sécurité", dénonce le photojournaliste, qui collabore notamment avec l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Une semaine après la fin de la trêve humanitaire dans la bande de Gaza, l'armée israélienne a intensifié ses opérations dans le sud de l'enclave. Elle avait pourtant ordonné aux civils de s'y rendre, quelques semaines plus tôt, pour se mettre à l'abri des combats avec le Hamas.

Depuis le début du conflit dans la bande de Gaza, "il n'y a jamais eu d'endroit sûr", rappelle Juliette Touma, directrice de la communication de l'UNRWA. "Il y avait déjà des bombardements à Rafah et Khan Younès, mais moins que dans le Nord." Désormais, les plus de 1,8 million de déplacés internes — sur un total de 2,2 millions d'habitants — ne savent plus où aller. Khan Younès, où nombre d'entre eux avaient trouvé refuge, est devenue l'épicentre de féroces combats. "Nous avons dû évacuer un de nos centres d'accueil mercredi, rapporte Juliette Touma. Les horreurs que nous avons vues au nord, au début de la guerre, se reproduisent aujourd'hui au sud."

"Toute la population est poussée vers une zone minuscule"

"Certains déplacés veulent bouger à nouveau, mais il y a des bombardements partout", confirme Frédéric Joli, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)Les journalistes gazaouis, seuls à couvrir la guerre puisque les reporters étrangers ne sont pas autorisés à rentrer dans l'enclave, sont eux-mêmes victimes de cette situation. Selon le dernier décompte de RSF, jeudi 7 décembre, au moins 58 d'entre eux ont été tués à Gaza en deux mois. "J'ai fui le Nord avec ma famille. (...) Je suis actuellement seul à Khan Younès, pendant que mes proches sont dans le centre" du territoire, raconte Adnan el-Bursh, correspondant de la BBC qui se dit "déchiré par l'indécision".

"Est-ce que je dois aller à Rafah, au sud, pour continuer à travailler, en espérant que ma famille aille bien ? Ou dois-je essayer de les retrouver, arrêter de couvrir [la guerre] et, si on en vient au pire, au moins mourir avec mes proches ?"

Adnan el-Bursh, journaliste de la BBC

La plupart des déplacés se concentrent désormais à Rafah, à la frontière avec l'Egypte. "Presque toute la population est poussée vers une zone minuscule qui représente à peine plus d'un quart du territoire", s'alarme Juliette Touma. "L'ONU a qualifié la situation à Gaza 'd'enfer'. Et c'est ce que mes 27 collègues sur place confirment", abonde Gloria Donate, directrice du programme développement et qualité dans les territoires palestiniens occupés, pour l'ONG Save the Children. "Il n'y a littéralement plus de place pour accueillir ces déplacés. Certains se réfugient sur la plage, montent des tentes à l'extérieur des centres d'accueil de l'UNRWA ou dorment dans la rue", explique-t-elle.

Un camp de fortune de Palestiniens déplacés près de la frontière avec l'Egypte, à Rafah (bande de Gaza), le 7 décembre 2023. (MOHAMMED FAYQ / ANADOLU / AFP)

Déjà surpeuplés avant la trêve, les centres de l'UNRWA "ne peuvent plus héberger personne", selon Juliette Touma. "Nous accueillons 1,2 million de personnes, soit la moitié de la population gazaouie", relève-t-elle. Des lieux prévus pour prendre en charge un millier de déplacés "en comptent plus de 30 000. Et les gens continuent d'affluer en masse". "Les nouveaux arrivants dorment sur le béton parce que nous n'avons plus de matelas, ou sont accueillis par d'autres familles déjà installées", détaille Juliette Touma. Les humanitaires sont aussi affectés : 75% des employés de l'UNRWA sont déplacés, tout comme la totalité des 27 membres de Save The Children présents à Gaza.

Sans produits d'hygiène ni sanitaires en nombre suffisant, les conditions de vie sont déplorables. "Certains n'ont pas changé de vêtements depuis deux mois, parce qu'ils sont partis dans la précipitation", poursuit la responsable de la communication de l'agence onusienne. Combinée au manque d'hygiène et au manque d'eau potable, qui pousse la population à boire de l'eau souillée, la promiscuité engendre un risque élevé d'épidémies. L'OMS dénombrait le 5 décembre 120 000 cas d'infections respiratoires aiguës dans la bande de Gaza et 86 000 cas de diarrhée, dont la moitié chez des enfants de moins de 5 ans, particulièrement vulnérables à ce type de maladie, qui peut être mortelle.

Les hôpitaux saturés de blessés et de cadavres

Le système de santé gazaoui est au bord de l'effondrement. Seuls 18 des 36 hôpitaux sont encore opérationnels, selon l'OMS. Trois n'assurent que des soins de base, tandis que les autres n'offrent que des services partiels. "L'équipe chirurgicale de l'hôpital européen de Khan Younès ne fait plus que des amputations, résume Frédéric Joli, du CICR. Pas pour traiter des personnes blessées par les bombardements. Ils amputent des patients parce que ces derniers n'ont pas reçu les soins nécessaires pour de petites plaies, et qu'ils risquent la septicémie ou la gangrène."

"L'afflux de blessés est tel que les hôpitaux sont contraints de faire du triage : ils doivent choisir qui vit et qui meurt, entre ceux dont on sait qu'on a de quoi les soigner et ceux qui sont dans un état trop grave pour survivre."

Frédéric Joli, porte-parole du CICR

à franceinfo

Les ambulances amènent parfois plus de dépouilles que de vivants. L'hôpital al-Aqsa, à Deir al-Balah, a ainsi vu arriver "plus de morts que de blessés" jeudi, selon Médecins sans frontières"Les morgues sont saturées. Au milieu des bombardements, les enterrements sont très compliqués à organiser, note Frédéric Joli. Les hôpitaux se retrouvent donc dans l'incapacité de gérer les dépouilles, et vivent dans une odeur constante de mort."

Un blessé est amené par des ambulanciers, dans la cour bondée de l'hôpital Nasser, à Khan Younès (bande de Gaza), le 7 décembre 2023. (SAHER ALGHORRA / MIDDLE EAST IMAGES / AFP)

Face à l'avancée des forces israéliennes, les établissements de santé se sont, eux aussi, transformés en centres d'accueil pour les déplacés. Juliette Touma décrit "des cours et des couloirs bondés de gens cherchant à se mettre en sécurité, bien que l'on sache que les hôpitaux aussi peuvent être visés par Tsahal". "Epuisés", les soignants "manquent de matériel et de médicaments", ajoute Frédéric Joli. "La trêve avait permis d'améliorer un peu l'approvisionnement dans le Sud, mais la situation est à nouveau catastrophique."

"On est en train de nous étouffer"

Carburant, eau potable, nourriture, traitements médicaux... La bande de Gaza manque de tout. "La trêve avait apporté un peu de répit et de calme à une population éprouvée, mais avait aussi permis d'enfin faire entrer l'aider humanitaire", rappelle Juliette Touma. Après six semaines de siège total, ces livraisons sont restées largement inférieures à celles qui avaient lieu chaque jour avant la guerre. "C'était une goutte dans l'océan : on ne peut pas nourrir 2,2 millions d'habitants avec 200 camions par jour", explique Gloria Donate, de l'ONG Save The Children. Depuis la reprise des combats, le nombre de poids lourds passant quotidiennement le poste-frontière de Rafah "a fortement diminué", déplore l'UNRWA.

Des enfants récupèrent de la nourriture lors d'une distribution humanitaire à Rafah, dans la bande de Gaza, le 6 décembre 2023. (MOHAMMED ABED / AFP)

Distribuer le peu d'aide humanitaire qui arrive pose en outre "un véritable défi logistique", selon Frédéric Joli. "Tout est urgent pour la survie de la population : l'eau, la nourriture, le carburant... Il est difficile de prioriser ce qu'on doit délivrer." Et encore plus difficile pour les ONG et les agences de l'ONU d'acheminer ces biens de première nécessité où que ce soit. "Ce n'est pas sous les bombes qu'on organise des distributions alimentaires. Il est impossible de déplacer les camions sous les frappes et avec de nombreux débris de guerre non explosés", s'agace le porte-parole du CICR, qui souligne que "même les humanitaires risquent leur vie". Depuis le début du conflit, plus de 130 membres de l'UNRWA ont été tués dans les bombardements israéliens. 

"A part assister à la mort de milliers de personnes, les scénarios à ce stade [pour les humanitaires] sont plus que pessimistes. Et le temps joue contre toutes celles et ceux qui essaient d'alléger la souffrance de la population de Gaza."

Frédéric Joli, porte-parole du CICR

à franceinfo

Pour "une population exsangue", dans un territoire où l'insécurité alimentaire était déjà élevée en raison d'années de blocus imposé par Israël et l'Egypte, "chaque heure a des conséquences délétères", martèle-t-il. Comme l'a fait le secrétaire général de l'ONU quelques jours plus tôt, Gloria Donate met en garde contre "l'effondrement de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza""L'UNRWA gère la plus grande opération humanitaire du territoire, mais on est train de nous étouffer", s'inquiète Juliette Touma.

"Un de mes collègues, lui-même déplacé, m'a appelée hier. Les frappes sont tellement intenses à Khan Younès qu'il a fondu en larmes. Il m'a dit : 'Sortez-moi de là, je ne sais plus quoi dire à mes enfants.'"

Juliette Touma, directrice de la communication de l'UNRWA

à franceinfo

Après "deux mois de cauchemar", les Gazaouis éprouvent "un mélange d'épuisement, d'impuissance et surtout de peur", estime Juliette Touma. "L'état général de la population, qui vit dans le stress permanent, est de plus en plus mauvais", abonde Frédéric Joli. Alors que le ministère de la Santé du Hamas dans la bande de Gaza affirme que les bombardements israéliens ont déjà fait près de 17 500 morts (un bilan impossible à vérifier par des sources indépendantes), toutes les organisations interrogées par franceinfo appellent à un cessez-le-feu immédiat et durable, ainsi qu'au respect du droit international. Sans cela, "on voit mal comment la population va pouvoir survivre", alerte le porte-parole du CICR.

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