Conflit au Proche-Orient : comment les Etats-Unis ont changé de ton avec Israël

Washington a fait évoluer sa position ces dernières semaines, appelant de plus en plus vigoureusement l'Etat hébreu à "en faire davantage" pour épargner et aider les civils palestiniens dans sa guerre contre le Hamas.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le président américain, Joe Biden, s'entretient avec le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à Tel Aviv le 18 octobre 2023. (MIRIAM ALSTER / AFP)

Depuis les assauts du Hamas en territoire israélien le 7 octobre, les Etats-Unis, allié indéfectible d'Israël, soutiennent la riposte de l'Etat hébreu contre le mouvement terroriste palestinien. Mais face à l'ampleur des représailles israéliennes dans la bande de Gaza, qui ont repris le 1er décembre après une semaine de trêve, les critiques et les appels à un cessez-le-feu immédiat s'enchaînent. "L'administration Biden soutient fermement Israël, alors même que les critiques internationales à l'égard de son opération militaire se multiplient", résume ainsi le média britannique The Guardian.

Cet appui américain, à la fois militaire et diplomatique, génère toutefois de plus en plus de gêne à l'étranger, mais aussi aux Etats-Unis. Critiquée notamment dans le monde arabe, l'administration américaine a donc changé de ton ces dernières semaines, affirmant de plus en plus fort qu'elle cherche à réduire les conséquences de la guerre sur les civils palestiniens. Washington a, en outre, annoncé mardi 5 décembre des sanctions contre des colons israéliens extrémistes responsables de violences en Cisjordanie occupée. Le soutien inconditionnel des Etats-Unis à l'Etat hébreu est-il en train de faiblir ? Eléments de réponse.

Des appels de plus en plus nombreux à protéger les civils et autoriser l'aide humanitaire

Sans remettre en cause le droit d'Israël "à se défendre" contre le Hamas, les Etats-Unis appellent désormais le gouvernement israélien à "en faire davantage" pour protéger les civils palestiniens dans la bande de Gaza et permettre l'entrée d'aide humanitaire dans l'enclave assiégée depuis deux mois. "Nous continuerons à surveiller ce qui se passe et à faire pression pour qu'ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour minimiser les dommages causés aux civils", a notamment déclaré mardi le porte-parole du département d'Etat américain, Matthew Miller. "Ils ont besoin de plus d'assistance humanitaire. Ils ont besoin de plus d'eau, plus de nourriture et, à cet égard, nous ne pensons pas qu'Israël en fasse assez", a ajouté le porte-parole de la diplomatie américaine.

Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, avait également averti le 2 décembre qu'Israël risquait de remplacer "une victoire tactique par une défaite stratégique" en poussant les civils "dans les bras des terroristes", rapporte le New York Times. Des mises en garde et des appels qui vont jusqu'à la vice-présidente américaine, Kamala Harris.

"Trop de Palestiniens innocents ont été tués. Franchement, l'étendue de la souffrance ainsi que les images et les vidéos qui nous viennent de Gaza sont dévastatrices. Israël doit en faire plus pour protéger les civils innocents."

Kamala Harris, vice-présidente des Etats-Unis

lors de son discours à la COP28 de Dubaï

Washington a d'ailleurs annoncé une rallonge pour l'aide humanitaire à Gaza. "Les Etats-Unis, par l'intermédiaire d'Usaid, vont fournir plus de 21 millions de dollars d'aide humanitaire supplémentaire aux habitants de Gaza et de Cisjordanie touchés par le conflit en cours, qui a laissé environ 2,2 millions de personnes dans le besoin", a déclaré Samantha Power, cheffe de l'agence américaine pour le développement international (Usaid). Cette somme s'ajoute aux 100 millions de dollars déjà annoncés par le président Joe Biden en octobre.

Conséquence de la pression exercée par les Etats-Unis sur le sujet : Israël a annoncé mercredi qu'il allait autoriser un "supplément minimal de carburant" qu'il juge "nécessaire pour éviter un effondrement humanitaire" à Gaza. Une annonce qui intervient deux jours après l'appel en ce sens de Washington, la diplomatie américaine ayant évoqué des "conversations très franches".

Des sanctions contre des colons israéliens extrémistes

Il s'agit d'"une rare mesure punitive contre Israël", commente le Guardian. Pour tenter d'enrayer les violences commises en Cisjordanie occupée, les Etats-Unis ont annoncé mardi des sanctions contre les colons israéliens extrémistes accusés d'attaques envers des Palestiniens. "Aujourd'hui, le département d'Etat met en œuvre une nouvelle politique de restriction des visas à l'encontre des personnes soupçonnées d'avoir contribué à saper la paix, la sécurité ou la stabilité en Cisjordanie, notamment en commettant des actes de violence", a déclaré le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, jugeant ces violences "inacceptables". Cela concerne "des dizaines" de personnes qui se verront interdire l'entrée sur le sol américain, a précisé Matthew Miller, en ajoutant que leurs proches seraient, le cas échéant, également sanctionnés.

Une partie de l'administration américaine opposée au soutien inconditionnel à Israël

Le soutien apporté à Israël depuis le début de la guerre a également divisé l'administration américaine en interne. Mi-octobre, un haut responsable du département d'Etat, Josh Paul, qui travaillait au sein du bureau chargé de superviser les livraisons d'armes aux alliés des Etats-Unis, a fait sensation en démissionnant, dénonçant notamment l'"assistance létale à Israël". Lors d'un entretien accordé à l'AFP mi-novembre, il a ciblé la politique américaine de livraisons d'armes. "Il était clair – et nous l'avons vu – que [les armes américaines] allaient être utilisées pour tuer des civils", a-t-il dénoncé, fustigeant le manque de "critique" de Washington envers son allié israélien.

Une lettre a par ailleurs été envoyée début novembre par plus de 600 membres de l'Usaid, a rapporté le Washington Post, "exhortant le président Biden à faire pression en faveur d'un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hamas". "Les employés de l'agence se sont déclarés 'alarmés et découragés par les nombreuses violations du droit international", peut-on encore lire.

Des "dizaines d'employés" du département d'Etat ont également adressé "des notes internes" à Antony Blinken, rapporte le New York Times, faisant part de "leur sérieux désaccord avec l'approche de l'administration Biden". "Nous vous écoutons : ce que vous partagez éclaire notre politique et nos messages", leur a répondu le secrétaire d'Etat, toujours selon le quotidien américain. "Le rééquilibrage de la position officielle, ces dernières semaines, avec plus d'attention portée à la détresse des civils palestiniens, est le reflet de cette grogne", avance Le Monde.

Une opinion publique américaine partagée

L'opposition trouve également un écho dans la population américaine. Des manifestations et des débats à propos de la guerre en cours au Proche-Orient ont éclaté aux Etats-Unis, en particulier sur les campus universitaires. "Les manifestations propalestiniennes sont monnaie courante près de l'enceinte de la Maison Blanche. Et cette semaine, l'une des entrées près de l'aile ouest était couverte d'empreintes de mains rouge vif – destinées à imiter le sang – et de mots comme 'Génocide Joe'", rapportait ainsi CNN début novembre. 

Selon un sondage de l'institut Gallup publié le 30 novembre, la moitié des Américains approuvent l'action militaire israélienne dans la bande de Gaza. A l'inverse, "plus de six démocrates sur dix (63%), les adultes de moins de 35 ans (67%) et les personnes de couleur (64%) désapprouvent", relève l'institut de sondage. "Certains se demandent désormais si cela ne va pas affaiblir Biden sur sa gauche et si ce soutien sans limites ne lui fera finalement pas perdre les élections, alors que s'ouvre la séquence présidentielle aux Etats-Unis", analyse Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), dans La Croix. De quoi pousser le président américain à revoir sa ligne.

Pas de virage diplomatique majeur à l'horizon

Malgré ces éléments, qui relèvent avant tout de la politique intérieure, les observateurs n'anticipent pas de virage politique majeur de la part du président Joe Biden, "le plus pro-israélien de tous les temps" selon le magazine américain Time. "Ils ont changé leur rhétorique, mais pas leur politique", estime de son côté l'expert Joseph Cirincione, cité par le Guardian. Pour réellement faire pression sur Israël, cet analyste de la sécurité nationale à Washington soutient qu'il faut poser des conditions au soutien américain.

"Retenir certains types d'équipements ou retarder le réapprovisionnement des stocks de diverses armes obligerait le gouvernement israélien à ajuster ses stratégies et ses tactiques, car il ne serait pas assuré d'en avoir davantage", explique également à Reuters Seth Binder, directeur du plaidoyer au sein de l'association Project on Middle East Democracy (Pomed). "Jusqu'à présent, l'administration a démontré sa réticence à utiliser ce levier."

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