Guerre dans la bande de Gaza : quels sont les liens entre le Hamas et le Qatar, acteur clé des négociations sur une nouvelle trêve ?

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, lors d'un sommet à Jeddah (Arabie saoudite), le 19 juillet 2023. (SPA / AFP)
L'émirat, qui a des contacts directs avec le groupe islamiste, avait joué un rôle central dans l'obtention d'une première pause dans les combats à Gaza, fin novembre.

Vers un cessez-le-feu à Gaza ? Le sujet est au cœur des discussions entre Emmanuel Macron et l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, dont la visite d'Etat à Paris s'achève mercredi 28 février. Doha est "notamment à l'œuvre sur la libération des otages" encore retenus par le Hamas dans l'enclave palestinienne, a rappelé l'Elysée en début de semaine.

Le Qatar avait aussi joué un rôle clé dans les négociations pour parvenir à une trêve humanitaire d'une semaine à Gaza, fin novembre. Et pour cause : l'émirat entretient des liens étroits avec le Hamas, mouvement islamiste palestinien à l'origine des attaques du 7 octobre en Israël. Franceinfo vous explique la nature de ces relations.

Une proximité idéologique avec le mouvement islamiste

Les liens entre Doha et le Hamas remontent à plusieurs décennies. Pourtant, cette relation "peut apparaître comme un paradoxe sur le plan théologique", remarque David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Le mouvement nationaliste islamiste est "une émanation de la matrice des Frères musulmans", qui promeut une vision de l'islam politique différente de la doctrine officielle du Qatar. Mais l'émirat "est un tout petit Etat" qui "redoute de se faire dévorer par son grand voisin, l'Arabie saoudite", ajoute Didier Billion, directeur adjoint de l'Iris. "Au moment des printemps arabes, au début des années 2010, le Qatar a donc décidé de soutenir politiquement le mouvement des Frères musulmans pour se distinguer" de Riyad, poursuit l'expert.

"En développant un lien privilégié avec le Hamas, le Qatar a aussi voulu se présenter comme un Etat qui continuait à soutenir la cause palestinienne, alors que plusieurs autres pays arabes étaient accusés de la délaisser."

David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

Ce soutien a permis à Doha de tisser des "liens de confiance assez étroits" avec le Hamas, qui avait pris le pouvoir dans l'enclave palestinienne en 2007. "Le précédent émir s'est rendu avec sa femme dans la bande de Gaza en 2012. Peu de dirigeants l'ont fait, le symbole est fort", note Didier Billion. Selon le directeur adjoint de l'Iris, c'est notamment cette "ancienneté dans les relations" qui a fait du Qatar un "interlocuteur incontournable de la médiation" entre Israël et le Hamas depuis le début du conflit.

Un interlocuteur privilégié des dirigeants du Hamas

Cette proximité idéologique a mené à l'installation au Qatar du bureau politique du Hamas, après son départ de Syrie en 2012. Depuis 2019, le leader du mouvement palestinien, Ismaïl Haniyeh, vit aussi en exil dans la capitale qatarie. L'émirat est "l'un des seuls Etats qui reconnaît ouvertement discuter avec le Hamas", rappelle Didier Billion. Car ni les Américains, alliés historiques d'Israël, ni les Européens ne veulent négocier directement avec une organisation qu'ils ont classée comme terroriste.

"Les liens entre le Qatar et le Hamas sont connus de tous, y compris des services de renseignement israéliens."

Didier Billion, directeur adjoint de l'Iris

à franceinfo

L'accueil des responsables politiques du Hamas à Doha repose sur "un accord tacite avec Israël", souligne David Rigoulet-Roze. "Il implique qu'il n'y ait pas d'élimination de dirigeants du Hamas au Qatar, décrypte celui qui est également rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Il y en a eu ailleurs, mais pas sur le territoire de l'émirat." Pour Didier Billion, la poursuite de cette entente avec Tel-Aviv "sera un des enjeux de l'après-guerre à Gaza : que les Israéliens donnent des garanties qu'ils n'iront pas tuer les leaders du Hamas au Qatar".

Un important soutien financier pour la bande de Gaza

Les liens qui unissent le Qatar et l'enclave palestinienne sont avant tout financiers. L'émirat a participé "aux reconstructions dans la bande de Gaza à de multiples reprises, par exemple après les offensives israéliennes de 2014 et 2018, dans le cadre de programmes d'aide internationale", explique Didier Billion. Un accord, signé début 2022, prévoit par ailleurs que Doha approvisionne en gaz naturel l'unique centrale électrique du territoire, selon le quotidien israélien Haaretz.

Le Qatar verse aussi "30 millions de dollars [27,75 millions d'euros] par mois pour financer les salaires des fonctionnaires du Hamas", puisque le mouvement palestinien administre la bande de Gaza, "et la construction d'infrastructures socio-médicales", rappelle David Rigoulet-Roze. Ces versements ont été effectués "via des valises remplies d'espèces" et "avec l'aval d'Israël", précise le chercheur associé à l'Iris.

Tel-Aviv voyait en effet dans cette aide un moyen "d'éviter que la situation socioéconomique n'explose dans la bande de Gaza", soumise durant 15 ans à un blocus imposé par l'Etat hébreu, avec le soutien de l'Egypte. Une stratégie qui a valu de nombreuses critiques à Benyamin Nétanyahou, accusé d'avoir favorisé le développement du mouvement auteur des attaques du 7 octobre.

"Ces 30 millions par mois ne font pas l'objet d'une surveillance extérieure : une fois arrivé dans l'enclave, on ne sait pas nécessairement où l'argent est allé."

David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

"On ne peut pas exclure que certaines de ces sommes aient pu être détournées de leurs objectifs officiels", constate David Rigoulet-Roze. Mais il est "difficile de prouver que cet argent ait pu financer la branche armée du Hamas, et encore plus compliqué d'établir que ces détournements potentiels aient été connus" de Doha, nuance-t-il. Le mouvement islamiste "a une branche armée clandestine, avec une certaine autonomie, mais qui reste liée à la direction politique", ajoute Didier Billion. "On peut donc supposer que l'argent versé a servi à financer les opérations militaires, avance le directeur adjoint de l'Iris. Dans quelle proportion ? Cela, on l'ignore."

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