Guerre à Gaza : les Casques bleus peuvent-ils être déployés dans les territoires palestiniens, comme le propose la Ligue arabe ?

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des Casques bleus de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) près d'un blindé, le 24 novembre 2023, à Markaba (Liban). (AFP)
Les nations arabes ont suggéré, jeudi, l'envoi de "forces internationales de protection et de maintien de la paix de l'ONU" dans le cadre d'un vaste plan visant à régler le conflit. Mais ce projet a, à ce stade, peu de chances d'aboutir.

Des Casques bleus à Gaza et en Cisjordanie ? La Ligue arabe, réunie à Bahreïn jeudi 16 mai, le propose, dans le cadre d'un plan pour mettre un terme à la guerre entre Israël et le Hamas. Alors que Tel-Aviv a intensifié ses opérations à Rafah, où sont massés plus d'un million de déplacés, la Ligue réclame "une conférence internationale sous l'égide de l'ONU" pour régler le conflit "sur la base de la solution à deux Etats". Dans le communiqué final du sommet, les dirigeants arabes évoquent aussi le déploiement de "forces internationales de protection et de maintien de la paix de l'ONU dans les territoires palestiniens occupés", le temps que cette solution à deux Etats soit mise en œuvre.

En novembre, le ministre des Affaires étrangères italien, Antonio Tajani, avait déjà soulevé l'idée. "Je pense que l'ONU peut jouer un rôle comme elle est en train de le faire, avec la Finul, entre le Hezbollah et Israël", avait-il affirmé. Forte de 10 000 hommes, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) est chargée, depuis 1978, de contribuer au maintien de la paix à la frontière entre Israël et son voisin. Une présence qui n'a pas empêché les affrontements armés presque quotidiens entre le Hezbollah et Tsahal ces derniers mois.

Les Casques bleus ne peuvent pas "imposer la paix"

La proposition d'une mission onusienne similaire dans les territoires palestiniens n'a, à ce stade, que peu de chances d'aboutir. "Il faudrait déjà qu'il y ait une paix à maintenir. Nous n'intervenons pas dans les combats", rappelle le porte-parole de l'ONU, Farhan Haq, auprès du New York Times. Les Casques bleus "ne font pas d'imposition de la paix", expliquait déjà leur chef à l'AFP en novembre. Ils interviennent pour protéger les civils, si un accord de cessez-le-feu a été trouvé, afin de "créer les conditions pour qu'un processus politique avance et mène à une paix durable", expliquait Jean-Pierre Lacroix.

La fin des combats est d'ailleurs la première étape du plan mis sur la table par la Ligue arabe, relève Romuald Sciora, essayiste et directeur de l'observatoire politique et géostratégique des Etats-Unis à l'Iris. "Elle appelle en premier lieu à un cessez-le-feu immédiat, puis au retrait des forces israéliennes de la bande de Gaza, à la fin du siège imposé au territoire palestinien, à l'organisation d'une conférence internationale sous l'égide de l'ONU, à la reconnaissance d'un Etat palestinien et enfin, si toutes ces conditions sont réunies, au déploiement des Casques bleus jusqu'à ce que la solution à deux Etats soit effective", liste le chercheur.

Or, la perspective d'un cessez-le-feu à Gaza s'est à nouveau éloignée après le rejet d'un projet d'accord par Israël, début mai. L'offensive israélienne sur Rafah, lancée au même moment, a "fait reculer" les discussions avec le Hamas, a constaté le Qatar, l'un des trois médiateurs avec l'Egypte et les Etats-Unis. "En ce moment, nous sommes presque dans une impasse", a déploré le Premier ministre qatarien, mardi 14 mai.

"A ce stade, le plan de la Ligue arabe n'a aucune chance d'être mis en œuvre. Il est hautement improbable qu'Israël accepte un cessez-le-feu immédiat et, même si c'était le cas, il refusera à court terme de retirer ses troupes et de mettre un terme au siège de Gaza."

Romuald Sciora, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

Une opération des Casques bleus nécessiterait par ailleurs l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU, où les Etats-Unis ont déjà plusieurs fois mis leur veto à des projets de résolution condamnant l'offensive menée par Tel-Aviv. Selon le New York Times, un porte-parole du Département d'Etat a déjà laissé entendre que la Maison Blanche ne soutiendrait pas le déploiement des forces onusiennes, déclarant à la presse que "l'envoi de forces de sécurité supplémentaires" pourrait mettre en péril l'objectif israélien de démanteler le Hamas.

"Israël a une attitude très négative envers l'ONU"

Une intervention des Nations unies ne peut de toute façon s'organiser qu'avec l'accord d'Israël. "Les parties prenantes [au conflit] doivent accepter la présence des forces de maintien de la paix", souligne le porte-parole de l'ONU, Farhan Haq, auprès du New York Times. "Nous n'intervenons pas comme force ennemie ou d'occupation." Difficile d'imaginer le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, fervent opposant à la création d'un Etat palestinien, accepter une mission censée maintenir la paix jusqu'à la mise œuvre de la solution à deux Etats.

"Israël a actuellement une attitude très négative envers l'ONU", remarque aussi Richard Gowan, spécialiste des Nations unies au sein de l'ONG Crisis Group. Ces derniers mois, Tel-Aviv a accusé des employés de l'UNRWA, l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, d'avoir collaboré avec le Hamas, sans fournir de preuves étayant ses dires. "Les Israéliens se sont aussi montrés très critiques de [la Finul], dont ils estiment qu'elle ne fait pas assez pour contrôler le Hezbollah dans le sud du Liban", rapporte-t-il.

"Il n'est pas certain que les Israéliens feraient confiance à l'ONU pour assurer le maintien de la paix dans la bande de Gaza."

Richard Gowan, spécialiste de l'ONU

à franceinfo

Même si la communauté internationale donnait son feu vert, le déploiement des Casques bleus poserait des questions logistiques. "Une fois que le Conseil de sécurité a voté en faveur d'une opération de maintien de la paix, le secrétaire général de l'ONU est chargé de consulter différents Etats membres pour réunir un contingent de militaires", détaille Romuald Sciora. Le mode de financement et la mission de cette force doivent aussi être définis avec l'accord du Conseil. Un processus qui prend généralement "beaucoup de temps".

"Si toutes les conditions étaient réunies, le déploiement d'une force de maintien de la paix pourrait aller très vite, car ce serait une priorité de l'ONU", croit au contraire savoir Richard Gowan. Cependant, "l'exemple du Mali a montré que les forces onusiennes sont mal équipées pour faire face aux groupes terroristes, met-il en garde. Si le Hamas était vaincu militairement mais que des combattants restaient en capacité de mener des attaques, [les Casques bleus] pourraient être très vulnérables."

Un plan "crédible", mais pas à court terme

A ce stade, les conditions préalables à une opération des Casques bleus dans les territoires palestiniens sont loin d'être réunies. Alors pourquoi les pays arabes ont-ils mis ce plan sur la table ? Il "leur permet de signaler qu'ils feraient partie des principaux contributeurs de troupes" en cas de déploiement, analyse Richard Gowan.

Cette proposition marque aussi un "compromis important" de la part de la Ligue arabe, argue Romuald Sciora. "C'est la première fois qu'elle ne fait pas de la reconnaissance d'un Etat palestinien le préalable à toute discussion, note le chercheur. Ce plan est crédible, mais dans plusieurs années, avec un autre gouvernement à la tête d'Israël."

"Il y a un peu d'hypocrisie dans ce plan. Il n'est pas réalisable dans l'immédiat, mais c'est un geste des dirigeants arabes envers leurs populations, très remontées contre la guerre à Gaza, pour montrer qu'ils peuvent être unis."

Romuald Sciora, chercheur associé à l'Iris

à franceinfo

Pour Richard Gowan, cette proposition permet aussi aux pays arabes de "challenger le plan israélien pour le futur de Gaza". "Benyamin Nétanyahou a déclaré qu'il souhaitait qu'Israël conserve une forme de contrôle militaire [sur l'enclave], avec la possibilité d'y mener des opérations quand il le souhaite, décrypte l'expert. Avec ce plan, la Ligue arabe offre une alternative."

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