Grand entretien Conflit Israël-Hamas : "On assiste à une mise à mort de milliers de civils, y compris des acteurs humanitaires", alerte le vice-président de Médecins du Monde

"Les hôpitaux sont des mouroirs", s'indigne Jean-François Corty, qui indique que Médecins du monde a complètement perdu le contact avec son équipe à Gaza.
Article rédigé par franceinfo
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Le ciel du sud de la bande de Gaza illuminé par les intenses bombardements israéliens dans la nuit du 27 au 28 octobre. (SAID KHATIB / AFP)

"On assiste de manière assez claire, à une mise à mort de milliers, voire de centaines de milliers de civils, y compris des acteurs humanitaires", alerte samedi 28 octobre sur franceinfo Jean-François Corty, médecin, vice-président de Médecins du Monde, et chercheur associé à l'Iris. Israël mène depuis vendredi soir ses frappes les plus intenses contre Gaza depuis le début de la guerre contre le Hamas, le 7 octobre.

L'armée israélienne a lancé une troisième opération au sol dans l'enclave palestinienne. Dans un communiqué publié ce samedi matin, elle annonce avoir frappé 150 cibles souterraines Les Nations unies et les ONG qui opèrent sur place ont perdu le contact avec leurs équipes car les communications et internet ont été coupées. "La situation est totalement horrible", s'émeut Jean-François Corty, qui rappelle la demande de dessez-le-feu portée par les organisations humanitaires.


franceinfo : Comme d'autres ONG, vous n'avez pas pu joindre l'équipe de de Médecins du Monde qui est à Gaza ?

Jean-François Corty : Comme tous mes collègues humanitaires, à Médecins du monde, nous avons perdu le contact de notre équipe hier soir. C'est une vingtaine de personnes réparties sur toute la bande de Gaza. Les dernières nouvelles que nous avions, c'était que la plupart, comme les civils de Gaza, cherchaient de l'eau, la nourriture, essayaient de trouver un abri précaire. Et puis, nos quelques collègues soignants dans les hôpitaux, essayaient encore une fois de faire la médecine de guerre, mais sans électricité, sans eau, sans médicaments.

"On peut le dire concrètement : déjà, hier, on mourrait à Gaza sous les bombes, on mourrait de maladies dont on connaît les traitements parce qu'ils n'avaient pas de médicaments. Et on meurt dans la douleur parce qu'il n'y a pas d’antalgique."

Jean-François Corty, médecin, vice-président de Médecins du Monde

à franceinfo

C'est ça la réalité de ce qui se passe pour les civils et potentiellement pour les humanitaires à Gaza.

Il n'y a donc plus de système de santé à Gaza aujourd'hui ?

Au moins un tiers des hôpitaux, voire la moitié, déjà hier, n'avaient plus la capacité de faire tourner leurs groupes électrogènes, d'héberger des centaines, voire des milliers de blessés, mais aussi des malades pour lesquels il faut une prise en charge classique. Je peux vous dire concrètement et objectivement, qu'on assiste là de manière assez claire, à une mise à mort de milliers, voire de centaines de milliers de civils, y compris des acteurs humanitaires, y compris des acteurs des Nations unies. Pour rappel, plus de 50 personnes des Nations unies ont été tuées. On assiste à cela de manière impuissante alors qu'une aide massive est prépositionnée, notamment du côté de Rafah, en Egypte. Elle est prête à rentrer mais qu'il n'y a pas les conditions pour cela. Des centaines d'organisations humanitaires dont Médecins du monde appellent à un cessez-le-feu pour que l'aide puisse entrer, pour qu'un répit pour les civils puisse se faire. La situation est totalement horrible.  

 

Une trêve demandée aussi par les Etats-Unis ou la France. Mais pour l'instant, la réponse d'Israël est très claire : c'est non. L'Etat hébreu dénonce même "l'infamie" de la résolution de l'ONU qui appelle à cette trêve. Espérez-vous néanmoins qu'une trêve puisse survenir dans les heures ou les jours qui viennent ?

Je ne sais pas si on peut parler d'espoir aujourd'hui. Tout le monde appelle à un cessez-le-feu, à une trêve. Je pense que le bloc occidental qui est à la manœuvre sur des négociations doit aussi dénoncer les moteurs, la dynamique et les raisons du drame aujourd'hui que sont le blocus total et les bombardements massifs. Je le redis, on est en train de vivre en direct, à huis clos, sans contact, la mise à mort de centaines d'humanitaires, de centaines voire de dizaines de milliers de civils, dans une forme d'indifférence. Des éléments de communication sont mis en avant sur le fait que l'aide rentre potentiellement, mais de manière sous-calibrée depuis Rafah. On demande tous un cessez-le-feu et dans le même temps, les États qui pourraient le faire ne dénoncent pas les causes du conflit. On est dans cette situation d'horreur absolue où nous sommes plus qu'inquiets pour la vie et la survie de nos équipes et pour la vie de centaines de milliers de personnes.  

Israël accuse le Hamas de se servir des hôpitaux de Gaza d'abriter des chefs militaires, notamment dans les sous-sols des hôpitaux. Le Hamas dément. Qu'en savez-vous à Médecins du monde ?  

Ce que je peux vous dire, moi, c'est que nos collègues soignants qui n'ont rien à voir avec un mouvement terroriste et les collègues des Nations unies qui n'ont rien à voir avec les mouvements terroristes travaillent dans des dispositifs qui ne sont plus fonctionnels, qui ont été par dizaines détruits. Des dizaines de centres de santé ont été détruits, des hôpitaux ont été soufflés par les effets collatéraux des bombardements de proximité.

"Les hôpitaux ne sont plus des hôpitaux, ce sont des mouroirs."

Jean-François Corty, médecin, vice-président de Médecins du Monde

à franceinfo

Il y a des dizaines voire des milliers de familles, accompagnées de leurs blessés, qui ne peuvent pas se déplacer, notamment vers le sud où les bombardements sont aussi importants. On est évidemment dans un combat médiatique ou d'information. Mais moi, la réalité que j'ai et que mes collègues humanitaires ont, c'est que les hôpitaux aujourd'hui sont gavés de malades. 

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