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Attaque du Hamas contre Israël : pourquoi la prise d'otages massive par les terroristes met le gouvernement israélien dans une position délicate

Au moins 130 personnes ont été capturées par le Hamas et le Jihad islamique depuis l'attaque lancée contre Israël samedi. Une situation "sans précédent" pour l'Etat hébreu.
Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un manifestant brandit une pancarte "Libérez les otages" pendant une marche en soutien au peuple israélien, à Nice le 9 octobre 2023. (VALERY HACHE / AFP)

Trois jours après l'attaque meurtrière lancée par le Hamas sur Israël, le mouvement islamiste palestinien et un autre groupe armé, le Jihad islamique, assurent détenir au moins 130 otages. "Jamais dans l'histoire de notre pays il y a eu autant d'Israéliens entre les mains d'organisations terroristes", a déclaré dès samedi un porte-parole de l'Armée de défense d'Israël à la chaîne américaine CNN. Parmi ces otages, des femmes, des enfants et des personnes âgées. Lundi 9 octobre au soir, le Hamas a menacé d'exécuter des otages en réaction aux frappes israéliennes sur la bande de Gaza, riposte de l'Etat hébreu à l'offensive massive déclenchée par le mouvement islamiste palestinien.

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Franceinfo décrypte pourquoi cette prise d'otages d'une ampleur jamais vue met le gouvernement israélien dans une situation compliquée.

Parce que l'attaque révèle une défaillance sécuritaire inédite

Malgré son "dôme de fer", Israël ne renvoie plus l'image d'une forteresse impénétrable. Les services de renseignement et de sécurité israéliens ont été visiblement dépassés par l'attaque du Hamas. Il s'agit d'"un désaveu énorme sur le plan sécuritaire", estime Etienne Dignat, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, auteur de La Rançon de la terreur (PUF, 2023). "Vous pouvez concevoir que le Hamas arrive à capturer un soldat israélien. Mais 100 à 150 personnes, c'est inédit", relève-t-il. "Les seules fois où cela est arrivé, c'était dans des pays beaucoup moins structurés qu'Israël : l'enlèvement des lycéennes de Chibok par Boko Haram au Nigeria (en 2014) ou les enlèvements par les Farc en Colombie", illustre le chercheur.

"Des familles vont demander au gouvernement de rendre des comptes, parce qu'il n'a pas réussi à protéger ses ressortissants. Même en cas d'issue pacifiste, l'image du gouvernement restera ternie", anticipe Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève. Par ailleurs, en capturant des femmes, des enfants et des personnes âgées, le Hamas a "brisé un tabou", souligne Etienne Dignat.

Parce que les otages risquent de servir de boucliers humains

En cas d'opération contre le Hamas dans la bande de Gaza, l'armée israélienne fait courir un risque élevé aux otages. "Le Hamas a pensé au coup d'après : utiliser ces otages comme des boucliers humains pour retarder les attaques aériennes par Israël ou la réoccupation du territoire palestinien", analyse Hasni Abidi.

Selon un rapport (PDF) de l'Otan publié en juin 2019, le Hamas est familier de cette stratégie. Depuis 2007, l'organisation au pouvoir dans la bande de Gaza a positionné ses infrastructures dans des zones très peuplées et affronte régulièrement les forces israéliennes près de zones commerciales et résidentielles. Cette méthode, qui expose la population civile palestinienne, est pourtant interdite par la Convention de Genève et peut être qualifiée de crime de guerre.

L'usage de la force par l'armée israélienne dans la bande de Gaza, zone très peuplée, s'annonce donc compliqué. "C'est quasiment insoluble sur le plan militaire", estime le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue défense nationale, sur franceinfo. "Des frappes massives pourraient provoquer la mort de ces otages."

Selon le militaire français, l'objectif premier de l'armée de l'air israélienne reste de bombarder des cibles militaires dans la bande de Gaza. "La problématique, c'est qu'il faut que le renseignement sache où sont les otages. Il semblerait qu'ils soient dans le réseau souterrain qu'a construit le Hamas depuis des années. C'est extrêmement difficile de les localiser", détaille Jérôme Pellistrandi. Pour l'heure, Tel Aviv fait pression sur le territoire palestinien. Le ministre de la Défense israélien a prévenu qu'un "siège complet" serait imposé à la bande de Gaza.

Parce que le "coût" des otages israéliens est élevé

L'histoire récente d'Israël montre que d'éventuelles négociations s'annoncent délicates. En 2008, les dépouilles des soldats israéliens Ehud Goldwasser et Eldad Regev avaient été rapatriées en échange de cinq prisonniers, dont Samir Kantar, figure du Hezbollah, détenu depuis trente ans en Israël pour avoir perpétré un attentat. En 2011, le soldat franco-israélien Gilad Shalit avait été libéré contre 1 027 prisonniers palestiniens, au bout de cinq ans de détention dans la bande de Gaza. "Quand vous partez sur ces bases, la négociation pour 150 personnes apparaît démentielle", prévient Etienne Dignat.

"La négociation s'annonce très compliquée car les Israéliens ont mis la barre très haut dans les négociations précédentes."

Etienne Dignat, chercheur au Ceri

à franceinfo

Un des dirigeants du Hamas, Saleh al-Arouri, a assuré samedi dans une interview à Al-Jazeera avoir kidnappé des "officiers supérieurs" israéliens et disposer d'assez d'otages pour libérer l'ensemble des prisonniers palestiniens. L'ONG israélienne B'Tselem, spécialisée dans la défense des droits humains dans les territoires occupés, dénombrait 4 500 détenus palestiniens en Israël fin juin 2023. Le plus célèbre d'entre eux est Marwan Barghouti, un des dirigeants du parti nationaliste palestinien Fatah, condamné en 2004 à la prison à perpétuité.

Parce qu'Israël a pour doctrine de ne jamais lâcher ses otages

"Depuis la création de l'Etat d'Israël, une doctrine s'est construite sur l'objectif d'offrir un foyer sécurisé à tous les Juifs, où qu'ils se trouvent dans le monde", constate le chercheur Hasni Abidi. Cet héritage remonte même aux origines du judaïsme. "Il y a ce devoir de racheter des Juifs captifs pour empêcher qu'ils ne soient convertis de force", explique Etienne Dignat. Ce devoir religieux, appelé pidyon shvuyim ou "rédemption des captifs" en français, est inscrit dans le Talmud, un des textes fondamentaux du judaïsme, et théorisé par le rabbin Moïse Maïmonide depuis le XIIe siècle.

"Ce devoir de secourir les otages est très important dans la pensée juive. Cela concerne les civils comme les militaires, d'autant plus que dans un pays de 9 millions d'habitants, les otages deviennent vite le proche d'un proche", analyse Etienne Dignat. Cet engagement constitue aussi, pour le gouvernement, un moyen de faire accepter à la population l'existence du service militaire obligatoire en Israël, selon le politologue.

L'Etat hébreu arrivera-t-il à tenir cette promesse complexe ? "Ce qui est le plus probable, c'est que les Israéliens arrivent à secourir des otages par la force, moyennant des pertes, et qu'ils négocient une autre partie avec des concessions très fortes qui risquent d'amplifier la psychose israélienne", poursuit le chercheur du Ceri. Dans ces négociations, estime Hasni Abidi, "la communauté internationale doit plaider en faveur de la libération des personnes âgées, des femmes et des enfants", dont la protection est prévue par la Convention de Genève.

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