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Malgré la polémique, le "triple" intérêt de la France à la visite de Mohammed Ben Salmane

La visite du prince héritier saoudien jeudi à Paris s'inscrit dans le cadre très particulier de la guerre en Ukraine et de la hausse des prix de l'énergie. Et c'est un moyen pour Emmanuel Macron de se replacer, selon une spécialiste du Moyen-Orient.

Article rédigé par Valérie Crova - édité par Xavier Allain
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Mohammed ben Salmane et Emmanuel Macron le 4 décembre 2021. (BANDAR AL-JALOUD / SAUDI ROYAL PALACE)

L'"opération spéciale" de la Russie en Ukraine a décidément changé bien des choses. Quatre ans après l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, Mohammed Ben Salmane, le prince héritier d'Arabie Saoudite, un temps mis au ban de la communauté internationale, est donc attendu jeudi 28 juillet pour un dîner de travail avec Emmanuel Macron.

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Suscitant la colère des défenseurs des droits de l'Homme, cette rencontre signe un peu plus la "réhabilitation" du prince héritier saoudien, moins de deux semaines après la visite du président américain Joe Biden en Arabie saoudite - et ce fameux "check" de la main, qui a définitivement consacré le retour de "MBS" sur la scène internationale. 

"La France considère qu'elle doit jouer un rôle"

À la faveur de la guerre en Ukraine et de l'envolée des prix du pétrole, MBS est donc de nouveau fréquentable. Après l'avoir ostracisé, les Occidentaux cherchent d'ailleurs à rétablir des relations de proximité avec le jeune prince héritier.

La France y a d'ailleurs un "triple intérêt" que détaille Agnès Levallois, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. En premier lieu, "La France considère qu'elle doit jouer un rôle dans ce Moyen-Orient, qui est dans une période quand même compliquée", détaille la spécialiste. Et la question du pétrole est un point-clé : "Il y a un volet évidemment particulier lié aux questions énergétiques, parce que l'Arabie saoudite a les moyens de faire baisser les prix du pétrole. Et il y a un autre dossier particulier entre la France et l'Arabie saoudite, qui concerne le Liban. La crise économique et financière du Liban est toujours aussi dramatique. On peut imaginer que ce dossier sera aussi évoqué par la France. Ça fait partie de ses priorités diplomatiques", précise Agnès Levallois.

Sur franceinfo, le journaliste Georges Malbrunot, spécialiste de la monarchie, précise ainsi que le Royaume est plus que jamais "incontournable et l'est encore plus depuis la crise ukrainiennne."

"Les Occidentaux ont besoin que l'Arabie saoudite, un des principaux pays exportateurs et producteurs de pétrole, augmente sa production", décrypte George Malbrunot, tout en avertissant : "On risque d'être déçu parce que l'Arabie saoudite est tenue par certains engagements pris dans le cadre de l'Opep, dans laquelle se trouve la Russie de Vladimir Poutine et avec laquelle l'Arabie saoudite entretient de bonnes relations. (...) Surtout, l'Arabie saoudite n'a pas assez investi ces dernières années dans ses structures de production de pétrole pour pouvoir faire passer sa production de 10 millions de barils par jour à 13 millions", assure-t-il.

Avant de mettre en avant la "realpolitik froide" de cette venue à Paris : "L'Arabie saoudite est un pays qui sera dirigé par Mohammed Ben Salmane pendant 40 ans. C'est quelqu'un qui va imprimer sa marque sur le Moyen-Orient pendant trois décennies. On ne peut pas se recroqueviller dans sa tour d'ivoire et dire qu'au nom des valeurs, on ne reçoit pas ce monsieur", juge Georges Malbrunot.

"Un dictateur instable"

Emmanuel Macron réussira-t-il à convaincre Mohammed Ben Salmane d'ouvrir les vannes pour faire baisser les cours de l'or noir ? Joe Biden, qui avait traité MBS de paria, s'y est cassé les dents il y a dix jours. La position moins tranchée du président français, qui a été le premier dirigeant occidental à se rendre au palais royal de Jeddah, juste avant le déclenchement du conflit ukrainien, pourrait être un atout. 

Reste que l'image de la France pourrait en prendre un coup : selon Abdullah Alaoudh, directeur pour la région du Golfe de l'organisation Democraty for the Arab World Now fondée par Jamal Khashoggi, cette venue en France est "une honte". Sur franceinfo, il ne mâche pas ses mots : "Nous pensons que MBS cherche à blanchir ses crimes. Il a soutenu les leaders de la guerre en Libye et ailleurs, et qui a arrêté tant d'activistes, de défenseurs pacifiques et d'humoristes en Arabie saoudite."

"C'est une personne à qui on ne peut pas faire confiance en tant que partenaire."

Abdullah Alaoudh

à franceinfo

"Il suffit de regarder la visite de Biden à Riyad : MBS ne lui a fait aucune faveur, ne lui a rien donné de ce qu'il voulait. Il devrait donc en tirer des leçons : c'est un dictateur instable et marcher la main dans la main avec lui est une honte et un déshonneur", dénonce le militant des droits de l'Homme.

Un avis partagé par Julien Bayou, secrétaire national Europe-Écologie-Les-Verts, qui le nuance toutefois. "Je suis choqué qu'on puisse accueillir un dictateur étranger avec les honneurs. La France d'Emmanuel Macron abandonne complètement l'idée de défendre les droits humains partout dans le monde. J'ai le sentiment qu'avec l'Arabie saoudite, malgré l'assassinat de Jamal Khashoggi, la situation des LGBT et des femmes dans ce pays, Emmanuel Macron est finalement contraint de sortir le tapis rouge parce que nous avons  besoin de son pétrole. Finalement, la dépendance aux énergies fossiles fait que nous bradons notre diplomatie", accuse-t-il.

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