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"Gilets jaunes", élections européennes et TGV Lyon-Turin : ce qui a mis le feu aux poudres entre Paris et Rome

La France a rappellé, jeudi, son ambassadeur en Italie, après des "déclarations outrancières" de la part du gouvernement italien.

Article rédigé par franceinfo
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Emmanuel Macron et le président du Conseil italien, Giuseppe Conte (gauche), à Bruxelles (Belgique), le 24 juin 2018. (YVES HERMAN / AFP)

"Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable." Paris a rappelé son ambassadeur à Rome, jeudi 7 février. "La France a fait, depuis plusieurs mois, l'objet d'accusations répétées, d'attaques sans fondement, de déclarations outrancières que chacun connaît et peut avoir à l'esprit", écrit le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. "Avoir des désaccords est une chose, instrumentaliser la relation à des fins électorales en est une autre", poursuit le Quai d'Orsay, soulignant que "cela n'a pas de précédent".

Avec les nombreuses polémiques sur la crise des migrants, les ralentissements industriels (comme sur le dossier des chantiers navals de Saint-Nazaire), le ton est monté à plusieurs reprises entre la France et l'Italie depuis quelques années. Mais ces dernières semaines, les attaques ont été particulièrement nombreuses. Franceinfo remonte le fil.

Le rapprochement du gouvernement italien avec les "gilets jaunes"

Luigi Di Maio, vice-Premier ministre italien, et chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème), a rencontré des "gilets jaunes" en France, mardi 5 février, à Montargis (Loiret). "Ceci est la photographie souvenir d'une belle rencontre, la première d'une série, pendant laquelle nous avons parlé de nos pays, des droits sociaux, de l'environnement et de la démocratie directe", a écrit le responsable italien sur Instagram.

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"Nous voulions vraiment éclaircir la position du M5S avec la Ligue, a expliqué à franceinfo Christophe Chalençon, leader des "gilets jaunes" dans le Vaucluse. Il était hors de question que nous nous rapprochions d'un mouvement classé à l'extrême droite." Le militant français a visiblement été convaincu par les échanges avec le M5S qu'il qualifie de "mouvement populaire" plutôt "de centre ou de gauche". "Cela donne une valeur internationale à notre action, s'est félicité Christophe Chalençon. Quand on voit que le gouvernement n'a pas été capable de nous recevoir et qu'il a fallu faire le forcing pour rencontrer le Premier ministre... C'est déplorable."

Cette réunion a provoqué l'ire du Quai d'Orsay : "Monsieur Di Maio, qui assume des responsabilités gouvernementales, doit veiller à ne pas porter atteinte, par ses ingérences répétées, à nos relations bilatérales, dans l'intérêt de la France comme de l'Italie", a déclaré un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, mercredi.

Cette nouvelle provocation n'est pas acceptable entre pays voisins et partenaires au sein de l'Union européenne.

Une porte-parole du Quai d'Orsay

lors d'un point presse électronique

Le soutien de Matteo Salvini à Marine Le Pen pour les élections européennes

Marine Le Pen s'est affichée, en octobre 2018, au côté du dirigeant italien d'extrême droite et ministre de l'Intérieur Matteo Salvini. Lors d'une conférence de presse commune à Rome, les deux leaders ont lancé leur campagne électorale pour les européennes. "Le rendez-vous de mai sera la fin d'un parcours, d'une révolution du bon sens", a lancé Matteo Salvini. "Les ennemis de l'Europe sont ceux retranchés dans le bunker de Bruxelles", a-t-il critiqué, fustigeant "les Juncker, les Moscovici, qui ont apporté la précarité et la peur en Europe et refusent d'abandonner leur fauteuil".

Marine Le Pen et Matteo Salvini (à gauche), à Rome, le 8 octobre 2018. (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

Le même mois, le gouvernement français a publié un clip pour encourager les Français à aller voter aux européennes. La vidéo pointe la montée du populisme en Europe et les images montrent notamment Matteo Salvini et le Premier ministre hongrois Viktor Orban.

"Le gouvernement français publie, avec l'argent des contribuables, un clip officiel pour les Européennes en m'utilisant comme un épouvantail", a réagi Matteo Salvini, sur Twitter, le 28 octobre. "Macron et ses amis doivent avoir très peur. En 2019, ils attendent un printemps des peuples qui va les balayer."

"J’espère que les Français pourront se libérer d’un très mauvais président, et l’occasion est celle du 26 mai [les élections européennes] quand finalement le peuple français pourra reprendre en main son avenir et son destin, son orgueil mal représenté par un personnage comme [Emmanuel] Macron", a-t-il déclaré en janvier.

La chaîne italienne La 7 a diffusé, début février, un échange entre la chancelière allemande Angela Merkel et le président du Conseil italien Giuseppe Conte. "Le M5S est contre la France, Salvini contre tous", expose ce dernier, en marge du Forum économique mondial de Davos. Selon Giuseppe Conte, Matteo Salvini et Luigi Di Maio optent pour cette stratégie car "ils sont très inquiets" au regard des sondages pour les élections européennes.

La réponse à la crise des migrants

L'Italie est en première ligne face à l'arrivée de migrants en Europe et les désaccords comme les polémiques entre Rome et Paris sont nombreux. Slate.fr raconte qu'en octobre 2018, à Clavière, à la frontière franco-italienne, un camion de la gendarmerie française a été photographiée en train de débarquer deux migrants sur le territoire italien. "Macron qui se dit bon et généreux décharge de nuit des migrants en Italie ? Nous exigeons de Paris des réponses claires, rapides et sans équivoque", avait tweeté Matteo Salvini. "Si quelqu'un pense vraiment à nous utiliser comme camp de réfugiés en Europe, en violant les lois, les frontières et les accords, il a tort", avait-il ajouté.

Pendant la crise de l'Aquarius, en juin 2018, le ton était rapidement monté, lorsque l'Italie avait refusé d'accueillir le navire dans l'un de ses ports : Emmanuel Macron avait dénoncé le "cynisme" italien, Rome avait jugé la France "hypocrite" puis exigé des excuses. Emmanuel Macron avait ensuite dénoncé la "lèpre qui monte" en Europe, "le nationalisme qui renaît, la frontière fermée que certains proposent". Réponse immédiate de Matteo Salvini : "Nous sommes peut-être des populistes lépreux mais, moi, les leçons, je les prends de qui ouvre ses ports." Sans mentionner l'Italie, Emmanuel Macron a reparlé de la "lèpre nationaliste" en Europe, en octobre 2018.

Le TGV Lyon-Turin dans l'impasse

Le gouvernement français a défendu, mercredi, le projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin qui aurait le mérite de diviser par deux le temps de trajet entre les deux villes. Mais le projet est suspendu à une décision du gouvernement italien, tiraillé entre la Ligue qui y est favorable et le Mouvement 5 étoiles qui dénonce un gaspillage des deniers publics.

Le ministre italien des Transports Danilo Toninelli a critiqué un "trou inutile dans la montagne", selon Il Messaggero (en italien). "Mais franchement qui se soucie d'aller plus vite à Lyon ?", a-t-il également déclaré sur La7 (en italien), "comprenez, cette ville française dont tout le monde se fiche", sous-titre France Culture.

"La France est vraiment engagée dans ce projet. C'est plus qu'un projet, c'est une réalisation", a insisté Elisabeth Borne, début février, lors de la visite du chantier, a rapporté Challenges. "Nos voisins italiens souhaitaient des expertises complémentaires et nous respectons leur processus de décision. Mais il y a aussi des échéances qui nécessitent que des décisions soient prises dans un calendrier compatible avec la mobilisation des financements européens", a-t-elle prévenu.

Des propos "inacceptables" sur la situation en Libye

"Cela fait des années que la tension monte autour de plusieurs questions : en particulier l'intervention française en Libye en 2011 et l'attitude de Paris par rapport à l'afflux de migrants sur les côtes italiennes", a analysé dans un entretien au Figaro (article abonnés), Marc Lazar, directeur du Centre d'histoire de Sciences-Po et président de la School of Government de la Luiss, à Rome.

"En Libye, la France n'a pas intérêt à stabiliser la situation, probablement parce qu'elle a des intérêts qui sont contraires à ceux de l'Italie", a déclaré, en janvier, Matteo Salvini à la chaîne de télévision Canale 5, comme le rapportait franceinfo. Cette nouvelle déclaration de Salvini, sur la politique française en Libye, intervient au lendemain de celle de Luigi Di Maio, accusant la France de poursuivre sa colonisation du continent et d’aggraver la crise migratoire. "Si la France n’avait pas les colonies africaines, parce que c’est ainsi qu’il faut les appeler, elle serait la 15e puissance économique mondiale, alors qu’elle est parmi les premières grâce à ce qu’elle est en train de faire en Afrique", avait-il ajouté.

Après ces sorties, l'ambassadrice d'Italie en France a été convoquée le 21 janvier au Quai d’Orsay. Le cabinet de la ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, avait condamné "des propos inacceptables et sans objet tenus par des autorités italiennes".

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