Ukraine : la Russie prépare-t-elle une intervention militaire ?
Manœuvres militaires, intervention de groupes pro-russes, rhétorique agressive… Dans le dossier ukrainien, Moscou fait monter la pression. Jusqu'à la guerre ?
Washington, Londres, l'Otan… Moscou reçoit des mises en garde de partout contre une intervention en Ukraine. La tension monte graduellement depuis jeudi 27 février. D'abord avec le drapeau russe hissé sur des bâtiments officiels en Crimée, une république autonome ukrainienne. Puis avec la réapparition de l'ex-président Ianoukovitch, introuvable depuis samedi, qui a demandé la protection de la Russie. Vendredi, des hommes armés se sont emparés de deux aéroports, à Sébastopol et Simferopol, dans ce que le ministre de l'Intérieur ukrainien par intérim a qualifié d'"invasion".
Certes, la Russie a promis de respecter l'intégrité territoriale de l'Ukraine, a fait savoir jeudi le secrétaire d'Etat américain John Kerry. Mais Moscou montre ses muscles et cultive une certaine ambiguité.
De troublantes manœuvres militaires
Malgré la destitution de Viktor Ianoukovitch le week-end dernier, Vladimir Poutine ne relâche pas la pression. Le président russe a réuni mardi son conseil de sécurité pour étudier la situation en Ukraine avant d'ordonner, mercredi, des manœuvres militaires d'urgence dans l'ouest du pays, pour vérifier l'aptitude de ses troupes au combat.
Au total, 150 000 militaires sont concernés, mais le ministère de la Défense assure qu'il n'y a aucun lien avec la crise en Ukraine. "Certes, ce n'est pas la première fois que de tels exercices sont réalisés, explique à francetv info Anne de Tinguy, professeure à l'Inalco et chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po. Mais la coïncidence entre les deux est troublante."
Donner des passeports russes aux Ukrainiens ?
Moscou laisse planer une autre menace. Anecdotique en apparence, elle serait pourtant lourde de conséquences : un député de la majorité pro-Poutine a évoqué la possibilité de faciliter l'octroi de la nationalité russe aux Ukrainiens, explique Libération. Autrement dit, leur accorder des passeports russes, comme cela avait été fait par le passé en Abkhazie et en Ossétie du Nord, deux provinces séparatistes de Géorgie. Histoire de souffler le chaud et le froid, cette annonce a été suivie d'un démenti d'un autre élu russe à l'agence de presse Ria Novosti.
"Les autorités russes font dire via les médias que bien sûr, elles reconnaissent l'intégrité territoriale de l'Ukraine, mais ajoutent que des Russes sont en danger", souligne Anne de Tinguy. Et c'est là que les passeports auraient leur intérêt : "Si la Russie veut intervenir, le scénario est tout prêt : comme en Géorgie en 2008, elle dira qu'elle doit porter secours aux Russes qui sont en Ukraine, et particulièrement en Crimée."
Un discours bien rodé
A l'époque, une courte guerre avait éclaté entre la Russie et l'ancienne république soviétique. Cinq ans plus tard, Le Monde (article payant) note que les services du Kremlin resservent le même discours, multipliant les références à la seconde guerre mondiale pour évoquer la situation en Ukraine.
En 2008, rappelle le quotidien, les médias russes n'hésitaient pas à comparer le président géorgien de l'époque, Mikheïl Saakachvili, à un "nouveau Hitler". Aujourd'hui, le ministre des Affaires étrangères russe dénonce la tendance "nationaliste et néofasciste", "les extrémistes armés et les pillards" dans l'ouest de l'Ukraine.
Des groupes pro-russes mobilisés
Dans l'est du pays en revanche, Moscou peut compter sur des populations acquises à sa cause. La situation s'est ainsi tendue en république autonome de Crimée, un bastion pro-russe situé à l'extrême sud-est de l'Ukraine. Après des heurts mercredi entre pro-Russes et partisans de la révolution, des manifestants se sont introduits jeudi dans le siège du gouvernement et du parlement local. Autant de signes qui alimentent, à Kiev, les craintes d'une sécession de la région.
"Il existe encore quelques associations locales, quelques partis régionaux en Crimée qui continuent d'évoquer un rattachement à la Russie", confirme Emmanuelle Armandon, politologue et spécialiste de l'Ukraine à l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales). "Moscou espère remobiliser les populations à l'est du territoire, estime Anne de Tinguy. Elle peut encourager ces mouvements séparatistes, attiser les tensions." Mais la chercheuse évoque un "jeu dangereux" pour Moscou : "Dans le climat de tension actuel, il peut y avoir des dérapages."
Plutôt qu'une intervention, l'arme de l'économie
Selon les deux expertes, le Kremlin n'a pas intérêt à reproduire le scénario géorgien et à envoyer ses troupes sur place. "L'Ukraine n'est pas un petit pays comme la Géorgie, elle est aux frontières de l'Europe", explique Emmanuelle Armandon. "Une intervention aurait des conséquences extrêmement graves sur le plan international", confirme Anne de Tinguy.
La Russie pourrait préférer utiliser une autre arme : celle des rétorsions économiques. "Ce qu'elle fait déjà depuis des mois, sinon des années, explique la chercheuse. Par exemple, l'Ukraine ne verra pas la couleur de la seconde tranche du prêt que lui avait promis Moscou. La Russie peut aussi augmenter les prix du gaz ou les droits de douane." Peut-être au fond l'arme la plus efficace, tant l'Ukraine est dans une situation financière critique.
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