Guerre en Ukraine : pourquoi la Russie ne veut surtout pas perdre son siège au Conseil de sécurité de l'ONU
Le président ukrainien a appelé l'Organisation des Nations unies à exclure la Russie de son Conseil de sécurité afin de la priver de son droit de veto. Un pouvoir de blocage stratégique pour Moscou en termes diplomatiques, militaires mais aussi de communication.
Face aux "crimes de guerre" dont la Russie est accusée, il n'y a qu'une solution selon le président ukrainien : exclure ce pays du Conseil de sécurité de l'Onu. Images choc de victimes à l'appui, Volodymyr Zelensky a défendu son point de vue, mardi 5 avril, devant cette instance dont la Russie est un des cinq membres permanents. Mais cette demande a très peu de chance d'aboutir car elle nécessiterait l'accord de Vladimir Poutine lui-même. Or, ce statut et le droit de veto qu'il confère sont une arme particulièrement précieuse pour le chef du Kremlin dans le contexte de la guerre en Ukraine.
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Pour empêcher une condamnation de l'ONU
La Russie est, depuis sa création en 1945, membre permanent du Conseil de sécurité de l'Onu, tout comme la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Un siège qui lui permet d'opposer un veto sur les résolutions et décisions, quelque soit l'opinion majoritaire au sein du Conseil. Moscou ne s'en prive pas et détient même le record du nombre de vetos (29 depuis la chute de l'Union soviétique).
Le 25 février, soit au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, elle a ainsi empêché l'adoption d'une résolution déplorant "l'agression" contre le pays dirigé par Volodymyr Zelensky. Le texte, présenté par les États-Unis et l'Albanie demandait le retrait immédiat des troupes russes. Malgré 11 votes "pour" (et trois abstentions), le "non" russe a empêché toute forme de condamnation par l'ONU de l'invasion russe.
Pour s'opposer à l'envoi de Casques bleus
Cette possibilité de blocage permet aussi à la Russie de s'opposer à une potentielle intervention militaire des Nations unies. Dans le cadre de sa mission de maintien de la paix, l'ONU peut en effet déployer des Casques bleus pour s'assurer du respect d'un cessez-le-feu, comme ce fut le cas en 1992 en Bosnie. Ces civils, militaires ou policiers sont censés agir pour le "désarmement des ex-combattants, la défense des droits fondamentaux, la promotion de l’état de droit, le soutien aux élections libres et justes", comme l'affirme l'Organisation des Nations unies sur son site.
Mais pour qu'une telle force soit déployée en Ukraine après la fin des combats, l'accord du Conseil de sécurité est là encore requis. Et le veto russe ne fait guère de doutes, explique sur franceinfo Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences-Po et spécialiste de relations internationales : "La Russie répugne à l'idée d'être placée sous la surveillance d'une instance dont elle considère qu'elle est un des piliers."
Pour contrer certaines poursuites judiciaires
Avec son droit de veto, la Russie peut également s'opposer à la saisine par le Conseil de sécurité de l'ONU de la Cour pénale internationale. Elle empêcherait ainsi le lancement d'une enquête sur de possibles crimes de guerre en Ukraine. Cela ne la met toutefois pas à l'abri de toute poursuite judiciaire car la CPI peut également être saisie par un État membre du traité de Rome [texte fondateur de la Cour] ou par le procureur.
C'est ainsi que Karim Khan, le procureur général de la CPI, a annoncé mercredi 2 mars, l'ouverture d'une enquête sur la situation ukrainienne considérant qu'il existe une "base raisonnable" de preuves. Mais la procédure s'annonce longue et semée d'embuches. Notamment parce que pour qu'un responsable russe soit traduit devant la CPI, il faut qu'il soit arrêté sur le territoire d'un membre signataire du traité de Rome, ce qui n'est plus le cas de la Russie depuis 2016.
Pour envoyer un message à son opinion publique
Au-delà de ce pouvoir d'obstruction politique, militaire et judiciaire, être membre permanent du Conseil de sécurité de l'Onu, c'est aussi pour Vladimir Poutine, une question de prestige, estime Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie à l'université de Montpellier. En continuant à assister aux réunions du Conseil, et notamment à celle où est intervenu Volodymyr Zelensky en visioconférence, "la Russie veut montrer qu'elle est 'droite dans ses bottes', avance la chercheuse.
C'est aussi une façon de montrer à l'opinion russe que la Russie compte toujours dans ces instances-là malgré ce qui se passe en Ukraine, malgré les crimes à Boutcha, poursuit Carole Grimaud Potter. Elle doit être claire avec le message qu'elle donne à son opinion publique, comme quoi c'est une guerre juste. Le public russe n'aurait pas compris si la Russie n'avait pas participé et aurait peut-être pris cela comme finalement une débandade."
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